Le livre de Ulysse Chaintreuil [désormais UC] L’Unité de la forme. L’ontologie d’Aristote et le défi de la complexité (Classiques Garnier, 2024, 380 p.) est une monographie qui traite du problème de l’unité de la forme dans la pensée aristotélicienne. Dans l’introduction, UC met bien en évidence la question qui commande toute l’enquête philosophique du livre : « comment cet ensemble de parties qu’est la Forme constitue-t-il une totalité véritablement une ? » (p. 11). Il fournit aussi un certain nombre de précisions utiles pour comprendre non seulement le cadre théorique de l’étude – UC nous informe par exemple qu’il existe une unité sémantique de la notion de forme chez Aristote (p. 15) – mais aussi les enjeux du questionnement autour de l’unité de la forme. On verra tout de suite, en effet, que le problème posé au début se dédouble, dans le sens qu’il faudra expliquer à la fois le caractère pur de la forme aristotélicienne et son caractère total (p. 18-19). UC précise aussi que le problème traité est avant tout un problème qu’Aristote se pose dans la Métaphysique, c’est pourquoi la présente étude se concentre davantage sur ce traité aristotélicien (p. 22).
La première partie est une analyse de la notion de substance et se divise en deux sections : la première qui s’intitule « Une approche de la substance » et la seconde qui traite de la relation entre le composé et la forme. Il s’agit avant tout pour UC de préparer le terrain pour la discussion sur l’unité de la forme en analysant la première moitié du livre Z de la Métaphysique (du chapitre 1 à 9) où Aristote discute notamment sa propre théorie de la substance. Les analyses ici menées sont importantes, car elles fournissent le cadre théorique pour la compréhension du problème de l’unité. UC s’appuie sur les résultats de plusieurs commentateurs contemporains de la Métaphysique (la littérature secondaire est maîtrisée de manière exemplaire dans le livre, sans jamais tomber dans la lourdeur de l’encyclopédisme) et offre un panoramique assez clair des questions herméneutiques qui hantent depuis toujours le texte aristotélicien. Dans la première section (p. 27-59), UC met bien en évidence la double dimension de la substance : à la fois intransitive (la substance en tant que substrat, à savoir la substance tout court) et transitive (la substance de quelque chose). Ces deux aspects sont déjà présents dans la première caractérisation de la substance en Métaph. Z 1, où Aristote parle d’un upokeimenon orismenon. UC traduit l’expression par « substrat défini », en s’éloignant ainsi de la traduction « standard » de orismenon dans ce passage qui est « déterminé ». Ce choix est expliqué de manière convaincante par le fait qu’ici le terme aurait un sens technique, désignant le fait que la substance est bien un definiendum, à savoir l’objet d’une définition (p. 35). Dans la seconde section (59-90), qui s’occupe de Z 7-9, il est question de la priorité de la forme au sein des sens de la substance (matière, forme et composé). L’analyse de la génération des vivants et de la production des artefacts de ces chapitres de Z a comme finalité ultime celle de distinguer entre substance formelle et substance composée. Autrement dit, il s’agit de comprendre s’il y a une relation de priorité de l’une sur l’autre. En suivant de près le texte aristotélicien, on comprend que la forme est une substance éternelle (dans le sens qu’elle est atemporelle) et qu’elle est immanente au composé (ce qui distingue nettement Aristote des platoniciens, lesquels sont critiqués en Z 8). Ce dernier aspect est fondamental pour que la forme puisse avoir un rôle explicatif réel dans la génération, car un principe extérieur (les Idées platoniciennes par exemple) ne peut pas avoir d’efficacité au sein du processus génératif. La forme est donc un principe qui est dans l’être qui s’engendre sans pour autant être soumise à la génération, puisqu’elle est éternelle comme on l’a vu (p. 88).
La deuxième partie de l’ouvrage aborde le premier problème évoqué dans l’introduction, à savoir la pureté de la forme. Cette partie se divise en trois sous-sections : la première énonce les termes du problème à travers l’analyse des chapitres 10 et 11 de Métaphysique Z ; la deuxième termine l’analyse de Z (avec le chapitre 17) et inclut dans la discussion le livre H ; la troisième prend en compte la prédication hylémorphique afin de proposer une solution au problème discuté.
La première sous-section traite donc des parties de la forme. En suivant la progression du livre Z, UC décrit tout d’abord les difficultés qu’Aristote remarque une fois que la correspondance entre les parties de la définition et celles de la substance est posée (p. 94-98). En effet, la possibilité qu’il y ait des parties « comme matière » semble invalider la pureté de la forme et demande aussi une nouvelle justification de l’antériorité de la forme (et de ses parties) sur la matière. À ce dernier problème, il faut répondre que les parties « comme matière » sont postérieures à la substance tandis que les parties de la forme (soit toutes, soit certaines) sont antérieures à cette dernière (p. 118). Il reste alors de comprendre lesquelles des parties de la substance sont les parties de la forme. Aristote traite de cela dans le chapitre 11 de Métaphysique Z et son intention semble être celle d’admettre une certaine présence de la matière dans la définition (et donc dans la forme) et d’atténuer une position radicalement essentialiste (p. 127) ou de réductionnisme essentialiste, qu’on peut attribuer aux pythagoriciens et aux platoniciens. On voit alors dans ce contexte que la pureté de la forme est perdue, car elle serait constituée d’éléments exogènes, à savoir des éléments matériels (p. 128). Le caractère aporétique de Z 10-11 est toutefois surmonté par la caractérisation de la forme comme principe et – surtout – cause de la substance composée qu’on trouve à la fin du livre Z (chapitre 17) et dans le livre H. Au travers d’une discussion critique de Métaphysique Z 17 et du deuxième livre des Seconds Analytiques, UC montre le modèle explicatif de la substance, un modèle à trois termes distincts les uns des autres (X est Y à cause de Z) et reliés entre eux par une ou plusieurs relation(s) de prédication (p. 147). L’hylémorphisme d’Aristote est ainsi caractérisé non tant comme une structure méréologique du réel, mais plutôt comme une structure aitiologique où la forme est cause. Cela permet en outre de dépasser le faux problème de l’unité de la forme avec la matière, dans la mesure où la forme cesse d’être traitée comme un élément qui compose la substance, car elle est plutôt ce qui organise et donc unifie le composé sensible. Autrement dit, la forme garantit l’unité substantielle de la substance sensible en tant que cause de cette substance. De cette manière, on préserve aussi la pureté de la forme, car elle n’est pas un élément du composé sensible (p. 167). UC termine ensuite l’analyse du problème de la pureté de la forme en prenant en compte la prédication hylémorphique (p. 169-205). Celle-ci est déterminée comme une prédication qui exprime, à l’intérieur de la substance, la relation entre ce qui est déterminable (la matière) et ce qui la détermine (la forme). Toutefois, il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une simple formulation linguistique, mais plutôt de l’expression d’un rapport causal bien réel qui existe entre la forme et le substrat matériel (p. 174). En effet, la prédication hylémorphique permet d’articuler la relation entre matière et forme de sorte que la première soit un sujet pour la deuxième et non une de ses parties. Ainsi, la pureté de la forme est sauvegardée tout comme son rôle causal par rapport au composé sensible. Dans la dernière partie de cette section, UC étudie la relation entre la prédication hylémorphique et la compréhension téléologique de l’appropriation de la matière à la forme. Il s’agit à la fois de comprendre que la matière ici en question est la « matière appropriée », à savoir la matière appropriée à la réalisation d’une certaine fonction (et non pas la matière « première » encore éloignée de la substance), et que cette matière est nécessaire hypothétiquement à la réalisation de la forme. UC exploite ici les résultats qu’Aristote expose en Métaphysique H 4 et en Physique II 9. Dans les pages finales de cette deuxième partie, UC résume ainsi la stratégie d’Aristote, laquelle est « de refuser à la fois la position réductionniste idéaliste qui consiste à « ramener » […] la définition au seul énoncé de la seule détermination formelle, et à la fois la position réductionniste des physiologues qui « ramènent » […] la définition et l’explication d’un phénomène au seul énoncé de ses conditions matérielles » (p. 204).
La troisième partie de l’ouvrage traite du caractère total de la forme. UC retourne ici sur la méréologie de la forme et sur ses difficultés. Il s’agit tout d’abord d’identifier les parties de la forme avec les parties de la définition de la forme (ce qui signifie que la forme et la définition partagent la même méréologie) et de caractériser la définition comme ce qui est obtenu par division du genre. Or, la première section de cette partie est consacrée à montrer les réformes qu’Aristote introduit dans la méthode de division de Platon. En effet, le Stagirite reprend la pratique de la diaresis platonicienne tout en changeant sa méthode dans le but de produire une forme une et indivisible. Après une brève reconstruction de la critique aristotélicienne à la division académicienne (p. 217-224), UC précise ce qu’une méthode de division correcte doit pouvoir garantir, à savoir que « les termes contenus dans l’énoncé définitionnel signifient un seul et unique objet » (p. 227). La division aristotélicienne parvient à ce résultat de deux manières : par l’exclusivité et par l’exhaustivité des prédicats essentiels dans l’énoncé définitionnel. Dans le contexte du premier aspect, l’exclusivité des prédicats essentiels, UC montre la place centrale que le genre occupe dans toute division définitionnelle. En effet, la limitation aux frontières du genre est une clause épistémique qui sert à garantir que la définition par division porte sur une unique essence ; elle permet ainsi de sauvegarder l’unité de la définition (p. 232). Quant au second aspect, celui de l’exhaustivité, il est garanti par le fait qu’à chaque étape de division, le genre est intégralement divisé par la division posée. Autrement dit, la division devient alors une division essentielle du genre qui non seulement garantit la validité de la définition ainsi trouvée, mais assure également que l’objet de la définition soit bien un unique objet (p. 237). En outre, le genre assume le rôle de sujet pour les différences, comme UC le montre à partir de plusieurs passages issus des Topiques, et en particulier du livre IV. La méthode de division, au lieu de mettre en cause l’unité de la forme, est ce qui en garantit l’unité, car c’est un seul et unique objet qui est examiné dans le procédé diairétique, objet qui est de plus en plus qualifié et spécifié par la suite des différences, jusqu’à ce qu’on arrive à un terme indivisible qui correspond à la forme recherchée (p. 245-246). UC passe ensuite à l’examen des parties qui constituent la forme, à savoir le genre et la différence dernière, pour définir leur statut à l’intérieur de la méréologie déjà esquissée dans ce qui précède. Il s’agit d’analyser en détail l’argumentation aristotélicienne des chapitres 12 à 14 du livre Z de la Métaphysique. Les sections examinées sont parmi les plus débattues de la Métaphysique et ont produit les interprétations les plus divergentes. En montrant que ces textes sont engagés dans le problème de l’unité de la forme, UC arrive à restituer une certaine cohérence interne aux chapitres 12-14 et aussi par rapport au projet philosophique de Métaphysique Z. Le premier aspect qu’on souligne est que l’unité de la forme ne peut pas être une unité accidentelle et qu’il doit bien y avoir un principe qui garantit l’unité des parties de la forme. Or, ce principe est soit le genre soit la différence. Après avoir éliminé la première solution par les difficultés évoquées en Metaph. Z 12, Aristote individue dans la dernière différence le principe garantissant l’unité de la forme. En effet, la dernière différence représente la fin du processus de division, c’est pourquoi elle est indivisible et spécifique (p. 263). Autrement dit, elle coïncide en extension avec la forme elle-même et garantit son unité au travers de son caractère indivisible (p. 265). La suite de cette section s’achève avec un examen des chapitres 13 et 14 de Metaph., qui sont aporétiques dans la mesure où Aristote s’interroge sur le statut de l’universel en tant que partie de la forme (cette spécification est importante dans la lecture qu’UC propose de ces chapitres) et ne peut pas parvenir à dissoudre la difficulté suivante : les universels apparaissent ne pas pouvoir être des substances ni des non-substances (p. 278). La solution aristotélicienne de l’aporie sera proposée seulement dans le livre H de la Métaphysique, mais UC montre que déjà dans la discussion de Z on peut trouver des traces indiquant le chemin à suivre, à savoir l’introduction de la distinction entre acte et en puissance. Dans la dernière section de cette partie, le problème de la totalité de la forme est finalement résolu grâce à l’apport du livre H et de la théorie de la « totalité hylémorphique » qu’UC décrit en utilisant non seulement Metaph. H, mais aussi le chapitre 8 du livre Iota. L’enjeu est ici de proposer un hylémorphisme de la forme qui pourrait résoudre le problème de l’unité de celle-ci tout comme l’hylémorphisme avait permis de résoudre le problème de l’unité complexe de la substance composée (p. 287). Le premier pas est l’analyse de Métaphysique H 3, où l’on trouve la première application du schéma hylémorphique à la forme. La solution esquissée est donc de garantir l’unité de la forme (à savoir le caractère total de ses parties), « d’une manière identique à celle du composé sensible, c’est-à-dire par une structure hylémorphique et plus précisément par une ἐνέργεια qui, parce qu’elle est prédiquée à une matière (générique), organise cette pluralité matérielle en une totalité » (p. 293). Dans ce chapitre (3) du livre H, Aristote propose aussi une analogie entre la définition et le nombre. Cette analogie porte sur quatre aspects : a) les deux sont divisibles et leur division permet d’obtenir des termes indivisibles ; b) la soustraction d’un seul élément produit la perte de leur nature ; c) les deux sont des totalités et sont davantage uns que des tas ; d) les deux ne peuvent pas varier en degrés (p. 298). UC passe ensuite à l’examen du chapitre 6 de Métaphysique H, ce qui représente le lieu où Aristote cherche à résoudre l’aporie concernant l’unité complexe de la forme. Le Stagirite montre qu’une simple reformulation de l’aporie dans les bons termes peut permettre sa résolution. Il s’agit de cesser de comprendre la forme et la matière comme deux parties du composé et de constater plutôt l’unité de facto de la substance. En effet, la matière et la forme ne sont que deux aspects d’une seule et même réalité (p. 311). Cela passe notamment par la reconduction du couple matière-forme au couple puissance-acte. Or le but de Metaph. H 6 est, d’après UC, de montrer qu’il y a une seule et unique solution au problème de l’unité à la fois dans le cas des substances sensibles et dans le cas de la définition ou de la forme elle-même : la prédication hylémorphique. Si l’application de l’hylémorphisme au composé ne pose pas de problème à ce stade de la recherche d’Aristote (UC renvoie justement à la discussion du traité De l’âme où le Stagirite affirme qu’il ne faut pas rechercher si l’âme et le corps sont une seule chose, II 1, 412b6-7), la détermination de la forme comme composé ayant une unité hylémorphique représente une difficulté remarquable. La solution proposée est de comprendre le genre comme la matière intelligible (je reviendrai sur cette notion) et en puissance de la forme et la dernière différence comme l’acte qui détermine cette matière comme telle forme déterminée (p. 333). L’avantage d’une telle théorie est qu’elle utilise le même outil conceptuel de la prédication hylémorphique pour expliquer l’unité des substances sensibles et des formes. Bien que convaincante sur plusieurs aspects, cette reconstruction présente quelques difficultés qu’il faudra mentionner. Le genre est caractérisé comme matière et substrat par Aristote dans plusieurs endroits de son œuvre et UC montre très bien son statut ontologique en s’appuyant aussi sur Métaphysique Iota 8 (p. 324-329). Dans le cours de son analyse, UC prend en compte aussi la notion de matière intelligible et défend l’interprétation qui voit dans l’occurrence de cette notion en Metaph. H 6 un cas différent par rapport aux autres occurrences de l’expression (dans les chapitres 10 et 11 du livre Z) où ὕλη νοητή signifie sans doute la matière des composés mathématiques. Or cette lecture problématique est assumée et défendue dans trois pages (p. 322-324) sans que les arguments contraires à une telle interprétation soient vraiment pris en compte, à l’exception de la position de R. Rorty. Nous ne pouvons pas aborder ici les détails de cette querelle, mais je voudrais au moins citer l’article récent de B. Michetti (« “The Matter Present in Sensibles but not qua Sensibles”. Aristotle’s Account of Intelligible Matter as the Matter of Mathematical Objects », Methexis 34 (2022), p. 42-70) qui présente des arguments convaincants pour la position « traditionnelle » d’après laquelle la ὕλη νοητή désigne toujours – avec certes quelques différences – la matière des objets mathématiques.
Quel que soit le statut de la matière intelligible dans Metaph. H 6, il reste que la solution aristotélicienne se trouve dans l’application de la prédication hylémorphique tant à « la structure réelle des substances constituées de puissance et d’activité » qu’à « la structure de l’énoncé linguistique définitionnel de ces substances » (p. 339). Il me semble qu’il s’agit là d’un acquis majeur de la philosophie première Aristote, qu’UC met parfaitement en valeur avec son étude. Toutefois, des incertitudes subsistent concernant la transition du niveau épistémique au niveau ontologique, notamment dans le contexte de la totalité hylémorphique de la forme. En effet, insister si longuement sur le fait que la forme soit elle aussi un composé (dont les parties seraient d’une part le genre-matière/en puissance et d’autre part la différence dernière-forme/acte) risque de pousser trop loin l’analogie entre la structure de la substance sensible et la structure interne de la forme. On a vu (p. 167) que ce qui garantit l’unité du composé sensible est la forme d’une telle substance, mais si telle forme est elle aussi composée d’une manière analogue (sauf pour le fait d’avoir une matière intelligible et non sensible), qu’est-ce qui réalise alors l’unité de la forme ? La réponse qu’Aristote donne selon UC est : la dernière différence, dans la mesure où elle détermine les éléments génériques. Cette réponse, bien qu’elle soit convaincante lorsqu’on s’adresse à l’énoncé définitionnel, qui montre effectivement une telle structure, soulève des interrogations quant à sa pertinence sur le plan ontologique. Dans le premier livre du traité De l’âme, Aristote aborde le problème des parties de l’âme et il désigne l’âme comme ce qui garantit l’unité du composé, mais il ajoute aussi une précision intéressante : « Qu’est-ce donc alors qui peut bien tenir ensemble (συνέχει) l’âme, si par nature est divisée en parties ? Car, en définitive, ce n’est pas le corps de toute façon. On pense, en effet, qu’au contraire, c’est plutôt l’âme qui assure la cohésion du corps, puisque, lorsqu’elle s’en est allée, il se dissipe et se putréfie. Par conséquent, s’il est autre chose (ἕτερόν τι) qui produit l’unité de l’âme (μίαν αὐτὴν ποιεῖ), cette chose-là va être une âme au plus haut point ! Mais on devra reposer la question à son sujet : est-ce une chose une ou comporte-t-elle plusieurs parties ? Car, dans la première hypothèse, pourquoi ne pas directement conférer à l’âme l’unité ? Et, dans l’hypothèse d’une chose divisée en parties, le raisonnement demandera de nouveau ce qui en assure la cohésion, et, de la sorte, on ira donc à l’infini » (De l’âme I, 5, 411a27-b13 – le passage n’est pas cité dans le volume d’UC). Dans le cadre de cette perspective, le risque d’une prolifération d’entités intelligibles est une possibilité à considérer. En effet, la dernière différence pourrait être interprétée comme « une forme au plus haut point » (elle est déterminée comme εἴδος et οὐσία du genre en Metaph. Z 12), et il serait alors nécessaire de rechercher la cause de l’unité de cette dernière différence. En effet, l’unité de la forme est présentée comme une unité de facto par UC, la matière et la forme d’un composé intelligible étant considérées comme des aspects (l’un en puissance et l’autre en acte) d’un même être. Il convient également de noter que la dernière différence s’identifie, dans une certaine mesure, à la forme elle-même. Cependant, dans ce cas comme dans celui du composé sensible, il y aura besoin de quelque chose qui puisse garantir l’unité des parties du composé. Le défi de la complexité se traduit alors dans l’hypothèse que la forme soit ontologiquement une comme tout autre composé, possédant des parties qui nécessitent une unification.
En conclusion, il convient de mentionner les nombreux apports de cet ouvrage dans le domaine des études aristotéliciennes. En premier lieu, l’auteur met en lumière la centralité du problème henologique pour l’ousiologie d’Aristote, permettant ainsi une meilleure compréhension du statut de l’un dans la philosophie première du Stagirite. En deuxième lieu, l’ouvrage se présente comme une feuille de route pour les livres centraux de la Métaphysique (en particulier Z et H), offrant un éclairage nouveau sur de nombreux passages jusqu’alors mal compris. Enfin, l’ouvrage d’UC s’appuie sur un cadre théorique solide et unifié, et se distingue par la clarté de son exposition des problèmes et des solutions. En outre, la monographie d’UC est remarquablement structurée, les erreurs de citation que nous avons relevées étant sporadiques et sans doute négligeables. Il s’agit, je pense pouvoir l’affirmer sans exagération, d’un ouvrage essentiel pour tout chercheur s’intéressant à la pensée d’Aristote.