Quand Théodule Ribot (1839-1916) publie en 1874 sa première étude, La Philosophie de Schopenhauer, l’œuvre principale du philosophe allemand, Le Monde comme Volonté et comme Représentation (1844), est mal connue en France. C’est en 1886 seulement que J.-A. Cantacuzène en fait une première traduction, suivie en 1890 par celle d’A. Burdeau.
Le descriptif conçu par Ribot du grand traité se veut net et objectif, il cite de longs passages qu’il lie adroitement par une paraphrase, recourant à des pages des Parerga, ces suppléments au système.
L’analyse qu’il donne de la « représentation » en rapport avec l’impossibilité d’atteindre à l’inconnaissable de la « volonté » qu’il assimile un peu vite au noumène kantien, éclaire le lecteur d’alors tout en faisant entrer Schopenhauer par la grande porte de la philosophie officielle – avec ce léger inconvénient, toutefois, qu’en bon intellectualiste, il privilégie la « représentation », pouvoir de connaissance limité, au détriment de la révélation de Schopenhauer : la tyrannie pulsionnelle, inconsciente, de la « volonté » présente en chacun.
Le succès de ce « digest » a préparé la vogue d’un penseur qui avait fondé en raison son propre malaise existentiel, imposant une nouvelle conception de la psyché qui va modifier la création littéraire notamment. C’était aussi préparer l’introduction en France de Wagner, Nietzsche et Freud.