L’œuvre d’Aristote fait la synthèse du courant de la pensée grecque dont l’influence domine toute l’histoire de la métaphysique. Ses choix continuent d’orienter la tradition philosophique ; il importe donc de les voir comme tels, dans ce qu’ils ont de décisif, mais aussi de problématique. Les plus importants se regroupent autour du concept de « monde ». Ce terme désigne soit l’ensemble de ce qui est présent en son arrangement ordonné, soit, de façon plus énigmatique, ce dans quoi nous sommes, ce à quoi nous venons en naissant — notre présence irréductible à tout autre dans le monde. Fascinée par le concept cosmologique de monde, la pensée grecque a le plus souvent enjambé son concept phénoménologique. L’œuvre d’Aristote témoigne ainsi du refoulement du second par le premier : la présence durable de l’univers devient le modèle de ce que signifie « être ». La façon dont nous « sommes » est alors masquée au profit d’un étant particulier, l’homme. À chaque fois, le caractère total de la présence le cède à un étant souverain : la sphère cosmique englobe l’univers, l’homme récapitule le vivant, la contemplation accomplit l’activité. Aristote laisse pourtant deviner aussi le concept phénoménologique de monde qui lui fournit son point de départ : la théologie de la pensée de la pensée, l’ontologie de l’acte et du mouvement, la psychologie de l’intellect agent transposent, mais évitent aussi bien l’expérience que nous faisons de notre être-dans-le-monde.