L’époque qui a vu naître la pensée de Deleuze s’est ouverte à des débats innombrables, passionnés. Elle a engendré un foisonnement de sensibilités multiples, traversées par des lignes de force irréductibles : phénoménologie, structuralisme, psychanalyse, antipsychiatrie, anthropologie, littérature, linguistique, art, sciences… Elle a en retour contraint la philosophie à se poser la question de sa valeur propre, de sa validité, de sa cohérence. Or, non seulement Gilles Deleuze a su redonner voix à « la grandeur de la philosophie », mais de surcroît, il a fait bouger la philosophie bloquée dans ses propres clivages : fini et infini, chair et univers, ontologie et phénoménologie, esprit et corps… Par son art du paradoxe, découvrant ce qui ne peut être que pensé, par l’érection au cœur de la pensée d’une vraie « passion de la pensée », par l’ouverture enfin, ce qui n’est pas la moindre des choses, au dehors, au dehors non philosophique, la philosophie s’est remise en mouvement et a redécouvert la puissance de désillusion qui fait l’essentiel de son action.
Pierre Montebello est professeur à l¹université de Toulouse le Mirail