« Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli. Sous la mémoire et l’oubli, la vie. Mais écrire la vie est une autre histoire. Inachèvement ». Placées en conclusion de son dernier grand livre, ces quelques lignes expriment bien la tension qui traverse toute l’œuvre de Paul Ricœur : une recherche du fondamental qui jamais ne s’achève dans l’exhibition d’une origine. Si, par exemple, la « vie » peut être dite à la source de toute pensée et de tout agir, c’est seulement en tant qu’elle est déjà articulée dans un langage (une « histoire ») qui, à son tour, appellera une interprétation. Entre les choses et ce que nous disons d’elles, il existe un écart qui contredit la tentation idéaliste, mais qui ne peut être directement mesuré depuis les choses mêmes. Abandonnant, dès le commencement de son itinéraire intellectuel, tout espoir dans une intuition de soi par soi, Ricœur a multiplié les détours, mis à l’épreuve les méthodes, découvert de nouvelles apories – comme si l’« inachèvement » était l’horizon indépassable d’une pensée qui refuse de se placer sous l’arbitraire d’un unique principe.
Les textes présents dans ce volume voudraient donner un aperçu du spectre large des thèmes que Ricœur a parcourus dans son œuvre, privilégiant chaque fois la « voie longue » et s’exerçant dans plus d’une tradition. Mais, qu’il soit question de son dialogue avec les autres philosophies (ici, celles de Platon, Aristote, Gabriel Marcel, Husserl, Merleau-Ponty) ou des différents champs de compétence investis (phénoménologie, herméneutique, éthique, politique, théologie, etc.), il s’agit toujours de souligner un certain style d’écriture et de pensée qui lui revient en propre, et se reconnaît dans un art maîtrisé de la confrontation et une constante réflexion d’ordre méthodologique sur les limites de la philosophie. Ne pas craindre le conflit, aller même au devant, travailler aux frontières, éprouver la philosophie par ce qui vient la contester du dehors : loin de l’affaiblir, c’est là révéler et renforcer l’affirmation originaire d’être, jamais démentie, qui se retrouve dans toute l’œuvre de Ricœur – laquelle prend le pari d’obtenir par cette traversée une meilleure compréhension de soi et du monde. C’est à cette exigence dans l’acte de philosopher, incarnée par Ricœur, qu’a d’abord cherché à s’élever chacune des contributions ici offertes.
Michaël Fœssel et Camille Riquier
Sommaire
Camille Riquier et Michaël Foessel
Présentation. Paul Ricœur, le conflit et l’affirmation
Dominique Pradelle
Ricœur lecteur de la phénoménologie transcendantale : entre idéalisme et engagement ontologique
Julien Farges
L’héritage de Gabriel Marcel :
Paul Ricœur et la question des limites de la phénoménologie Camille Riquier
Ricœur en « contrepartie » de Merleau-Ponty : un prolongement philosophique ?
Jean-Claude Monod
Y a-t-il une « mémoire juste » ?
De la phénoménologie du souvenir à la Historikerstreit
Mariana Larison
L’imaginaire et ses lieux communs
Christian Berner
Le monde, le texte et le dialogue. Le sens de l’herméneutique de Ricœur
Jérôme de Gramont
Le récit gardien du monde
Sylvain Roux
Éthique et ipséité :
Aristote dans la pensée de Paul Ricœur
Philippe Capelle-Dumont
Paul Ricœur et la théologie
Claire Marin
Penser la souffrance avec Paul Ricœur
Marc Faessler
Le défi du mal
La méditation philosophique de Ricœur à l’épreuve du tragique
Myriam Revault d’Allonnes
Souci de soi, souci du monde
Denis Kambouchner
Ricœur, philosophie en acte
Note de lecture