Dans cet essai l’auteur s’est donné pour tâche de dégager la « leçon de Fichte ». En effet, qu’a voulu dire Fichte, tant dans ses textes les plus philosophiques que dans ses discours et écrits à l’adresse de tous ? A suivre Philippe Riviale, Fichte serait le frère savant de Gracchus Babeuf : selon lui, ils partagent le même désir de faire venir la vie en nous, de dénoncer l’imposture de la civilisation marchande et de la propriété, fondées sur le déni du moi, tel qu’il est en son impulsion originaire. Le moi, loin d’être déjà constitué, s’élabore dans l’agir et le pâtir par quoi il se fait place dans le monde à venir, qui ne saurait être sans former un « nous » ensemble.
Fichte, tout comme son frère en pensée, ne nous parle pas d’un monde hors de notre atteinte. Il ne pose pas l’esprit en marche, qui mènerait les hommes malheureux à un fabuleux destin. Par avance, il réfute Heidegger qui prétend nous donner à voir qu’il n’est rien d’autre que ce que nous sommes, en tant qu’existants ; que la pensée de la liberté est l’illusion suprême qui nous cache le devenir qui nous attend. A l’inverse, Fichte nous fait découvrir qui nous sommes, qui nous avons vocation à être si seulement nous acceptons de faire taire en nous le désir de servitude, la crainte des puissants, la croyance en un au-delà réparateur. C’est de la destination de l’homme qu’il s’agit.
Mais Fichte ne fut compris ni de ses contemporains, ni des nôtres. A défaut d’être compris, il fut comparé à Hegel, à Schelling, renvoyé du côté des illuminés, des prémodernes. Cette tendance ne serait pas grave, s’il n’y avait là matière à recherche sur les complications de celui qui voulut annoncer sans répit, comme Babeuf le fit, qu’il n’y a pas de secret. ll est en nous d’aller là où nous conduit notre impulsion, au lieu de stagner misérablement dans des formes d’existence aliénée. Les hommes ne sont pas condamnés à errer sans avenir, nus, ignorants et traîtres à eux-mêmes. C’est de l’écoute de ce projet – fonder un vivre-ensemble par libre choix – que dépend la chance d’un éveil à l’autonomie et à l’humain.