Pascale Hummel : L’antinietzsche. Essai sur l’oeuvre de Lou Andreas Salomé

« […] quiconque ne l’a pas connue tout personnellement ne comprend pas Lou, peut-être même est-il incapable de la comprendre, car elle avait quelque chose de très inhabituel, à quoi les autres humains ne sont tout simplement pas préparés », écrit Anna Freud (1980) en évoquant le mélange d’admiration et d’incompréhension que suscite depuis un siècle la figure de son amie Lou Andreas-Salomé (1861-1937). Abondamment narrée et glosée, la vie de la femme de lettres germano-russe offre l’épaisseur énigmatique d’une légende à bien des égards impénétrable. Trop souvent occultée par l’approximation du folklore biographique, l’œuvre de celle qu’Anna Freud distingue des « autres humains » explore les mystères de l’inconnaissable et les ressorts d’un divin à échelle humaine. La totalité du sens s’impose à elle dans l’immédiateté d’une expérience qu’elle s’employa toute sa vie à partager. Telle une prophétesse habitée par son dieu, Lou vaticine autant qu’elle pense. À la fois en deçà et au-delà du dicible, sa langue-langage (dense, complexe et spontanée) requiert la participation empathique du lecteur placé dans la position active d’analysant-analysé. En mystique laïque refusant tout dogme, l’écrivain interroge les secrets de la matière et de l’antimatière, l’identité de Dieu et de Satan, l’aberration de la croix qui fonde le christianisme, et l’immensité nourricière du vivant (présente en « Jésus le juif » notamment). Si les idées de Lou sont difficiles à résumer et parfois même à cerner, c’est parce qu’elles ne sont jamais dissociables de l’élan vital qui organiquement les porte.

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