Y a-t-il des Idées? Peut-on démontrer leur existence? Quelles en sont les preuves et ont-elles toutes la même valeur? Aristote aborde ces questions dans deux documents célèbres de la controverse qui a opposé partisans et adversaires des Formes séparées au sein de l’Académie de Platon : le traité perdu, cité par Alexandre d’Aphrodise sous le titre de Peri ideôn, et le réquisitoire qu’on peut lire, à quelques variations mineures près, dans les livres A et M des Métaphysiques. Comme le premier ne nous est parvenu qu’à l’état de fragments et que le second se caractérise à la fois par son allure récapitulative et un style très laconique, on a beaucoup spéculé sur le nombre et la nature exacte des arguments avancés en faveur des Idées et des objections soulevées à leur encontre. Un problème a principalement retenu l’attention des spécialistes : quels sont les arguments auxquels Aristote reproche tantôt de produire des Idées de relatifs, tantôt d’entraîner le troisième homme? Pourquoi les qualifie-t-il de plus rigoureux que les autres? S’il ne s’agit pas des mêmes raisonnements, en quoi seraient-ils plus ou mieux argumentés que ceux qu’Aristote évoque par ailleurs, à savoir les arguments que les platoniciens tiraient des sciences, de l’unité d’une pluralité et de la pensée de ce qui n’est plus? S’appuyant sur un dispositif de lectures détaillées de textes tirés du corpus aristotélicien et du commentaire d’Alexandre au premier livre des Métaphysiques, Rationes ex machina propose une nouvelle instruction du dossier des akribesteroi tôn logôn et une solution micrologique du puzzle qui s’est imposé comme une figure obligée de l’exégèse de la critique aristotélicienne des « Idées de Platon ».
Leone Gazziero, né à Rome en 1971, est maître-assistant en philosophie ancienne et médiévale à l’Université de Genève.