Le présent volume part d’une question simple : comment le christianisme occidental, à partir du XVIe siècle, parvient-il à incorporer, dans son histoire et dans son destin, la découverte des peuples non-chrétiens ? Comment peut-il chercher à convertir des peuples qu’il avait repoussés, jusqu’ici, aux limites de sa propre assurance à se tenir au centre du monde ? Cette question ne concerne pas seulement l’aventure des missions de Chine, mais la Chine porte à ses sommets l’angoisse théologique et anthropologique d’une autre civilisation, seule comparable aux grandes civilisations antiques. N’a-t-il pas fallu pour cela tenter de transférer la relation des juifs et des chrétiens à celle des confucéens et des catholiques ? Ce moment crucial de l’époque moderne redécouvre d’autres grandes scansions de l’histoire de l’Occident, non pas seulement dans le rapport entre judaïsme et christianisme, mais dans ce que l’on peut appeler l’invention chrétienne du « paganisme » comme religion des autres, ou du passé.
Sommes-nous aujourd’hui aussi loin de tout cela qu’on pourrait le penser ? Qu’en est-il du statut des autres religions dans une période de grand reflux de l’œcuménisme religieux ? La reconnaissance de la « vertu des païens », reconnaissance ambiguë, proche d’une tolérance toute aussi ambiguë elle-même, est pour nous aujourd’hui un miroir tendu, dans l’épaisseur du temps, au malaise d’une civilisation qui se veut post-chrétienne.
Le volume propose, à partir de ce moment essentiel, un retour en arrière dans le temps – l’Antiquité, le Moyen Âge – et un saut vers le futur, notre présent, et entend confronter les débats historiques les plus complexes, éclairés par les meilleurs spécialistes, avec une réalité contemporaine dans laquelle, comme nous le savons parfois trop bien, l’« Autre » hante encore l’identité incertaine des sociétés et des peuples.
Sylvie Taussig (dir.) : La vertu des païens
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