Introduction à la pensée de Maxence Caron (2/3) : La Transcendance offusquée

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II. Connaître

 

« C’est un aveuglement singulier de notre intelligence de ne point considérer ce qui s’offre d’abord à ses regards, ce sans quoi il lui est impossible de rien connaître. »

(Saint Bonaventure, Itinéraire de l’esprit vers Dieu, V, §4)

 

La Transcendance offusquée, parue neuf années après La Vérité captive, se présente comme l’approfondissement dans et par elle-même de ce que son prédécesseur avait découvert et nommé « réflexivité », à savoir ce fait que la pensée se précède toujours, et à l’infini, en chacun de ses actes. Penser, c’est poser un acte qui est toujours déjà antécédé par une infinité de rétrocession intérieure : penser n’est possible que parce que l’on peut penser que l’on pense, et penser que l’on pense que l’on pense, etc. La réflexivité donc, pour être tout à fait précis, n’est pas un nom tout simplement synonyme de « pensée », elle désigne bien plutôt la dimension qui rend possible toute pensée, la dimension en quoi se tient toute pensée, enfin la dimension par quoi toute pensée est précédée, et qui la fait capable précisément d’être toujours sur elle-même puissance de précédence, et dans elle-même. Or, comme l’a montré La Vérité captive, il faut pour rendre compte de la différence infinie de la pensée non seulement avec le monde, c’est-à-dire avec tout cela qu’elle est capable de faire apparaître, mais aussi avec elle-même, il faut remonter à la consistance en soi-même de l’Être en tant qu’être, pensé dans sa Différence fondamentale avec ses effets, et particulièrement avec l’image de lui-même qu’il transmet à la créature humaine. La pensée ne se fonde qu’à voir au-delà du réel donné son suprême fondement. Ainsi s’explique le titre choisi par l’auteur pour la partie principale de son livre : « Panoranoèse et antéréalité ». La pensée, dont l’essence est de se tenir à l’extrémité (ora) de la totalité mondaine (pan), afin de la pouvoir faire paraître (noèsis), la pensée ne peut avoir son origine dans rien de tout cela qu’elle est capable de penser pleinement, de penser objectivement. Elle a source donc avant la réalité qu’elle envisage, dans le Principe même de toute réalité par elle envisagée. « L’antéréalisme […] perce au dehors vers la Substance d’ultime possibilisation. »[1] Le premier de ces deux néologismes désigne l’essence de la pensée en tant que réflexive, c’est-à-dire toujours, répétons-le, en tant qu’infiniment réflexive dans elle-même, en précédence infinie d’elle-même, sur elle-même, en sa propre architecture fractale intime. Le second dit le lieu où, seulement, cette essence peut rationnellement trouver fondation, à savoir hors du champ qu’elle ouvre elle-même, hors du champ de toute réalité lui apparaissant. La pensée regardée en face, dès lors, conduit dans elle-même à plus qu’elle-même, ou plutôt à ce qui est infiniment plus qu’elle-même, c’est à savoir le Transcendant, l’Être trinitaire envisagé dans sa pleine et parfaite consistance en soi.

Et c’est pourquoi l’examen par elle-même de la pensée, qui remonte à Dieu comme à sa principielle condition de possibilité, ne peut se faire selon une autre méthode qu’absolument inductive, en un sens bien précis. « Située dans la lumière émanée en elle et dont elle est sémaphore, écrit Maxence Caron, la pensée est in-ductive parce qu’elle in-habite : habitant certes en sa dimension propre elle conduit dans (in-ducere) l’essentiel, elle est ainsi cheminement dans la méthode qu’elle porte en précédence et dont prendre conscience la conduit, la méthode étant : la réflexivité. »[2] Et de poursuivre : « Telle est donc la méthode : une pensée qui se connaît comme pensée, et donc sa seule et propre teneur comme méthode au-dessus de soi et en soi, autrement dit une pensée infiniment inductive et extensive dont l’objet est la précédence et, lorsqu’il se découvre, se montre comme ayant été sorti de l’oubli, comme ayant été retrouvé, comme étant lui-même à l’initiative de la structure et de la liberté qui reviennent à lui. » La pensée est cette réalité singulière qui 1/ peut se regarder elle-même à l’infini, c’est-à-dire prendre toujours un pas de recul sur l’acte même de se regarder, puis sur l’acte de se regarder se regardant, bref, être toujours à distance d’elle-même sans sortir d’elle-même ; et 2/ agissant selon son essence, à savoir en se pensant elle-même, est conduite par elle-même et en elle-même à plus qu’elle-même : à la consistance de l’Être dans sa Différence fondamentale d’avec tout ce qui est par lui, y compris la pensée elle-même qui en est l’image. Le seul chemin (ὁδός) à suivre est donc celui qui, par le regard qu’elle porte sur elle-même, conduit la pensée au-delà (μετά) d’elle-même. Elle se découvre alors réflexivité, puis elle constate que la réflexivité est inexplicable par aucun étant dont elle peut faire un objet, puisque tout cela qu’elle peut considérer objectivement, par le fait même, se révèle inférieur à elle, au plan de la rétrocession infinie sur soi : son principe n’est pas dans le monde, il est hors du monde et avant lui, puisqu’il est l’origine d’elle et du monde lui-même. La panoranoèse se connaît fondée en antéréalité, autrement dit la réflexivité se connaît fondée dans la Différence fondamentale du Principe. Rappelons ce que cela signifie.

Selon Maxence Caron, l’histoire de la philosophie a toujours échoué à penser l’essence de la pensée, d’une part, et d’autre part, corrélativement, l’Être en tant qu’être selon lui-même, et non pas en le rapportant toujours à ses effets, pour le faire dépendre d’eux à quelque échelle que ce soit. L’Être n’a jamais été médité dans sa consistance en soi qui, nécessairement, rend possible qu’il crée, c’est-à-dire qu’il donne à d’autres étants que lui-même la joie d’être, et d’être de manière infiniment différente. Regarder en face, longuement, la transcendance du Principe, qui signifie sa plénitude et sa perfection ontologiques, telles qu’il ne nécessite rien d’autre que lui-même pour être identique à soi, – ce sera la tâche du troisième volume de l’exposition du système, le plus difficile en son fond comme en sa forme, Le Verbe proscrit. Quant à la Transcendance offusquée, son objet propre est donc la pensée, dans sa nature réflexive, en tant que de cette considération se peut déduire une doctrine de la connaissance nouvelle et très originale, dont l’exposition constitue, au sein de la tétralogie, l’apport propre le plus considérable de ce livre. Il faut cependant, avec que d’y pénétrer, faire remarquer l’élément qui constitue la colonne vertébrale, pour ainsi dire, de l’organisme néologistique que l’auteur constitue afin de décrire son objet au plus près, et avec le plus de précision possible. L’essentiel de la néologie repose ici sur le terme grec « διαφορά », qui signifie la différence, et à partir de quoi se déclinent tous les comportements du Principe d’une part, et de la pensée d’autre part[3]. Ainsi donc, la pensée de la Différence fondamentale, en un mot, devient « diaphorisme », et tout ce qui relève du statut de radicale différence où se tient la pensée par rapport au monde, ou l’Être par rapport à la pensée et au monde, pourra être dit « diaphorique ». Et si le lecteur, au détour d’une page, tombe nez à nez avec « l’essence diaphorique de la panoranoèse », qu’il ne s’effarouche pas trop vite, ni ne crie tout de suite à l’hermétisme : il s’agit par-là très simplement de désigner dans les termes adéquats, au sein de la configuration spéculative construite par le système de Maxence Caron, l’être-différent de la capacité réflexive de l’esprit humain, cette dimension intime de différence dans laquelle seulement la pensée advient possible, en tant que puissance de rétrocession finie sur elle-même, en son propre sein. Venons-en à présent à l’exposé de la théorie de la connaissance, décrite comme « Déquation soit comme le processus d’adéquative inadéquation »[4].

Partons de ce que la Vérité captive avait établi. Penser, c’est mettre à distance ce que l’on pense, en faire un objet dont on se distingue au moment même où il paraît comme tel, et dont on se distingue infiniment, puisque l’on peut prendre encore de la distance avec cet acte même de prise de distance, et avec l’acte second, et avec l’acte troisième, et ainsi de suite. Penser fait donc toujours paraître, à même soi, une dimension de différence, de décalage, de recul – une dimension d’inadéquation. Ce qu’il faut comprendre en deux sens : inadéquation avec l’objet, bien sûr, mais aussi avec la pensée elle-même, qui ne coïncide jamais simplement avec son acte, contrairement à ce que pensait Descartes. Ainsi, « par la différence réflexive l’objet est tenu à distance rétrocessive, dans la différence radicale entre la nature de la conscience et celle de ce qu’elle envisage ; cette distance réflexive est celle-là même qui établit l’objet dans le champ distancié de son espace objectif propre, loin de toute implication que l’on y voudrait placer »[5]. Connaître, c’est libérer l’objet, le rendre à lui-même, et c’est précisément ce que rend seule possible une radicale prise de distance de la pensée par rapport à tout ce qu’elle pense. Et l’on doit alors tenir ferme ce paradoxe : penser quoi que ce soit, c’est toujours faire paraître dans la distance, c’est donc se porter auprès de ce qui est infiniment éloigné – et même, analogiquement, que l’acte créateur signifie transmettre la possibilité à ce qui n’est pas par soi, d’être, c’est-à-dire d’imiter à sa mesure l’acte parfait de l’Être transcendant. Il n’y a pas connaissance digne de ce nom s’il y a engagement, implication, intéressement du sujet dans l’apparition de l’objet. Il n’y a pas connaissance digne de ce nom, autrement dit, tant que l’on reste prisonnier d’un schème de pensée par exemple kantienne, qui voudrait considérer que la projection des structures subjectives constitue l’objectivité même des objets, et par-là permet que leur saisie par la raison soit nommée « connaissance », lors même que la chose en soi, la chose telle qu’en elle-même, dans son être c’est-à-dire dans son identité à soi-même, est exclue de ce procès – et en quelque sorte le rend possible de par son exclusion même. La connaissance en effet est encore formulée par Kant en termes de correspondance, puisqu’elle est définie « un jugement d’où procède un concept qui a une réalité objective, c’est-à-dire auquel un objet correspondant peut être donné dans une expérience »[6] ; et c’est précisément cette correspondance même qui sera par lui profondément transformée, dès lors que le sujet ne peut jamais que rencontrer dans l’objet, qu’il constitue comme tel, rien d’autre que ses propres catégories dont le sens et la fonction sont dans cette ouverture à la seule réalité empirique. Or, précisément, pour Maxence Caron, la pensée se définit non pas d’imposer sa loi aux objets pour les constituer tels, non pas donc de s’impliquer dans son appréhension mais au contraire de se désimpliquer radicalement, pour laisser paraître toute chose dans sa singularité. Pour Kant, connaître c’est lier ; pour Maxence Caron, connaître c’est libérer, c’est délier la chose dans le champ d’un regard qui la rend à elle-même, et qui lui donne de se manifester telle qu’en elle-même. Comment cela est-il possible ? Par le fait que la pensée, comme je l’ai dit, n’est jamais rien de ce qu’elle pense ; elle est toujours à distance de ce qu’elle pense, même lorsqu’elle se pense elle-même. La pensée est toujours déjà plus loin que son objet, elle le précède, et se précède. On ne peut donc reconduire la connaissance à un simple procès de correspondance, ou d’adéquation – même si l’on veut, avec Kant, le ramener à son tour à une correspondance des structures du sujet avec l’objet qu’elles fabriquent à leur propre usage. La connaissance est toujours manifestation de la chose dans la différence d’avec elle, et dans la différence d’avec soi, qu’est la pensée. Or, « l’inadéquation native de la conscience à l’objet, autrement dit la différence réflexive elle-même, trouve son principe dans la Différence fondamentale ». Car « dans son rapport à tout autre objet qui est moins que l’Absolu diaphorique elle se tient en inadéquation c’est-à-dire en rétrocessive inadéquation »[7]. C’est pourquoi, avant de regarder la doctrine de la connaissance se déployer pleinement, il convient d’approfondir d’abord ce que La Vérité captive avais mis en lumière, et que nous avons rappelé pour commencer, à savoir : le fait de fondation de la pensée, comme réflexivité, en Dieu.

Posons une question simple : d’où vient la pensée comme puissance de phénoménalisation de toute chose dans le monde et dans la nature, et du monde et de la nature comme tels ? L’embarras est inextricable, au point de vue rationnel, si l’on répond : elle vient précisément de cela dont elle diffère infiniment, au point de pouvoir déployer en elle-même leur champ d’apparition. Il faut donc admettre que « l’esprit d’homme, l’ontoréflexivité diaphorique ne surgit pas au sein de l’immanence naturelle ou historique, mais à partir de la décision du Transcendant qui est la Différence fondamentale »[8]. Au sens littéral du terme, la pensée est événement surnaturel, car il faut plus que toute la nature, plus que la nature saisie dans l’intrication et dans la complication totalisante de ses déterminations, pour expliquer en son sein le surgissement de ce qui peut prendre par rapport à elle une distance intime telle que soudain elle apparaisse comme telle. Il faut donc aller quérir l’origine de la pensée à même elle, comme nous l’avons indiqué, et cette origine n’est rien dans la nature, ni la nature elle-même : elle est antéréelle, c’est-à-dire qu’elle précède le monde comme son principe transcendant. Car la fractale réflexive que découvre la pensée comme sa structure propre lui découvre dans le même temps qu’elle ne s’appartient pas, qu’elle s’échappe toujours à elle-même, que précisément parce qu’elle est capacité de recul infinie, elle ne peut faire en elle le tour du propriétaire. En somme, la pensée qui se pense s’aperçoit qu’elle ne s’appartient pas, qu’elle n’est pas pleinement ce qu’elle a (ie. sa puissance réflexive). Dès lors, « quoi que je sois je ne suis pas à la hauteur de ce qui est en moi, je ne suis pas pleinement moi-même : la Différence fondamentale d’un Principe dont la constitution panoranoétique de l’âme porte l’image et qui la met à distance qualitativement infinie de tout monde et de l’univers entier, me désigne la dimension propre de cette âme dont la propre différence réflexive est tissée, en son cœur, par la présence d’une Substance dont l’antéréalité rend possible que surgisse au cœur de l’univers le diaphorisme d’une telle panoranoèse – la présence de la Différence fondamentale du Transcendant que l’âme ne peut atteindre et à l’initiative principielle de qui elle est remise »[9]. Pour que la pensée soit pensable en sa singularité, c’est-à-dire en son être-différent de tout cela par rapport à quoi elle peut prendre de la distance, donc de tout étant mondain, et du monde même dans sa totalité, il faut qu’elle soit rattachée à son origine hors monde, à la Différence fondamentale d’un Principe transcendant, dont la présence par mode d’image dans l’esprit de l’homme rend possible qu’il puisse accomplir en soi la rétrocession infinie que contient tout acte de connaissance.

Donc, point capital, dès lors que la pensée est placée en face d’elle-même en sa vérité réflexive, elle se voit telle qu’elle est, mais dans le même temps elle se voit aussi constituée par la présence en elle-même d’une transcendance dont la Différence infinie avec elle-même et avec le monde possibilise chacun de ses comportements, et sa constitution même la plus intime. La vérité de la pensée est dans la transmission à l’esprit de l’homme de l’image du Principe – et c’est pourquoi approcher la connaissance de l’âme, c’est approcher toujours, par-là même, la connaissance de la relation de l’âme à Dieu, puisque l’âme n’est âme qu’en étant image de Dieu, c’est-à-dire réalité dont la structure ontologique même renvoie et la renvoie incessamment vers son origine. Là où il y a image (par l’origine) il y a aussi ressemblance, autrement dit polarisation dynamique vers son origine comme aussi vers sa fin. Rendue à son essence propre, la pensée ne peut donc s’honorer elle-même qu’en rendant à son tour le Principe à son être propre, qui est l’Être même subsistant par soi. « Puisque la Différence fondamentale est omniprécédente, écrit Maxence Caron, et que la pensée rendue à son propre ontodiaphorisme découvre le Transcendant comme ce qui rend possible le comportement antéréel de l’ontoréfléxivité et ce qui est infiniment Différent d’elle, la seule façon d’honorer la rationalité est de laisser le Transcendant être le Transcendant qu’il est, autrement dit de ne pas fausser la relation que l’ontoréflexivité consciente de soi entretient avec la Transcendance diaphorique source de soi et d’elle-même. »[10] Ce qu’il faut bien comprendre ici, c’est que l’acquis principal de La Vérité captive, à savoir la consistance en soi de l’Être, n’est pas le produit médiat, pour la pensée, d’une raisonnement déductif, il est au contraire la conclusion inductive de la connaissance par elle-même de la pensée comme réflexivité, qui découvre sa condition de possibilité comme étant nécessairement Principe, c’est-à-dire nécessairement premier en tout et pour tout. Ainsi, « ne pas fausser cette relation signifie, lors du constat de la Différence infinie existant par nature entre le Transcendant et la conscience réflexive, laisser la raison donner l’initiative à celui à qui elle vient justement de reconnaître l’initiative »[11]. Il en va de l’essence de la pensée que de pouvoir considérer son principe en sa principialité, c’est-à-dire en sa transcendance absolue, en son antécédence non seulement sur elle, mais aussi sur la totalité du monde dont elle est le champ intime de phénoménalisation. L’induction de la pensée en elle-même, l’entrée de la pensée dans sa dimension intime, l’avancée intérieure de la pensée vers sa vérité, ne la conduit pas à se faire principe d’elle-même, mais au contraire à reconnaître la transcendance de son Principe, dont le mode de présence en elle reste encore à faire venir au jour. Mais il y a plus.

Reconnaître que la condition suprême de possibilité de la pensée est nécessairement dans l’Être transcendant, c’est reconnaître que la pensée n’est pas en position de formuler la moindre parole sur son propre Principe, si cette parole ne vient pas de lui. Sans quoi il y aurait là contradiction, puisque le Principe serait alors déchu de sa principialité, et de sa transcendance, s’il pouvait être atteint par ce qui dépend intégralement de lui, et lui est infiniment différent. Parler donc du Principe, c’est parler toujours depuis le Principe, depuis sa présence au sein de la pensée qui est cette présence sur le mode de l’image, au sein du monde. Ainsi donc, et simultanément, l’être du Principe est connu 1/ dans sa transcendance, dans sa différence infinie d’avec l’homme, et 2/ dans le franchissement de cette différence infinie à fin de communiquer à l’homme une image de lui-même. L’être du Principe est alors connu comme être trinitaire, tout à la fois acte de pleine subsistence en soi-même (le Père), de pleine connaissance de soi (le Fils), et d’amour de soi-même (l’Esprit) ; ce qui le rend capable de créer, c’est-à-dire de disposer dans l’être d’autres étants que lui, non par nécessité de nature, mais par libre décision. La Trinité en effet « rend possible que nous voyions ce qui a pour essence de n’avoir pas besoin d’être vu, donc ce qui a voulu l’être »[12]. La Différence fondamentale apparaît alors comme 1/ cathestécodiaphora, c’est-à-dire constituante de la structure du soi, et comme 2/ paradidonodiaphora ou metadiaphora, c’est-à-dire capable de franchir sa transcendance, de transcender en quelque sorte sa transcendance, pour donner à d’autres qu’elle de participer à la joie d’être. Elle est donc transcendantale (1) et créatrice (2). Le fondement de la théorie de la connaissance à laquelle nous allons atteindre apparaît alors possible en tant qu’elle est la jonction ou la conjonction de deux mouvements spéculatifs. L’un partant de l’homme, du fait de pensée dans l’homme, qui en manifeste la fractale réflexive infinie, et fait voir la Transcendance de l’Être comme principe nécessairement possibilisateur de cette constitution ontologique en constance rétrocession sur soi, et à distance de toute chose. L’autre partant du Principe lui-même, qui en manifeste l’indépendance et la consistance, sans lesquelles l’élan créateur du monde est impossible, et qui de là en fait apparaître la liberté et l’amour, c’est-à-dire la figure trinitaire. De cette façon, la conscience « s’ouvre à la dimension qu’elle comporte et qu’elle reçoit la substance superlative dont la décision ouvre cette dimension même »[13]. Le Principe comme Trinité rend raison de la réflexivité présente au sein d’un monde dont elle est diffère infiniment, et qui ne contient aucun élément capable d’en fonder l’existence ni le fonctionnement. C’est alors bel et bien un jeu « communion en disproportion et réciprocité »[14] qui s’établit entre la conscience humaine et la Trinité, la première ne pouvant se connaître en vérité qu’à remonter à la seconde, et à se tenir en elle-même face à plus qu’elle-même. Et l’on peut bien dire que c’est dans le Principe que la pensée se peut connaître, et par lui : renvoyée d’elle-même à la Trinité, elle est ensuite ramenée de la Trinité à elle-même, et se reçoit d’elle, ou encore reçoit d’elle la possibilité de demeurer dans sa propre dimension, dans la lumière qu’elle est et dont elle connaît désormais l’origine. Aussi peut-elle à présent, comme nous l’allons faire, approfondir sa propre structure, en une doctrine de la connaissance qui explicitement bouscule d’emblée la position du problème en termes d’adéquation de la chose et de l’intellect.

La conscience donc est pour Maxence Caron « précédée par la différence réflexive et celle-ci, dans sa rétrocessive inadéquation qui l’excepte du monde et de tout objet, est fondée dans l’antéréalité de la Substance qui est Transcendance diaphorique donc Trinité »[15]. Il ne peut y avoir apparition pour la pensée de quelque objet que ce soit, sinon sur fond, toujours reconduit à lui-même, d’inadéquation native : la conscience ne correspond jamais, elle met à distance, ou bien plutôt elle est un acte de mise à distance ayant toujours déjà eu lieu, et se démultipliant dans sa propre intimité, afin précisément de rendre possible qu’une « chose » soit donnée comme telle. C’est parce que la pensée n’est absolument rien de ce qui lui apparaît, que tout ce qui est lui peut apparaître. Dans la conscience, s’ouvre un espace de liberté, de respiration ontologique pour toute chose qui, là seulement, est rendue à elle-même, dégagée de toute implication (désir, besoin, instinct), extirpée au-dehors de tout réseau déformant par adhérence et confusion. En d’autres termes, le propre de la conscience est d’être toujours avant soi-même, et au-dessus de soi-même ; elle se précède toujours, ce qui signifie qu’elle n’est jamais toute engagée dans les configurations mondaines par quoi elle serait alors débordée, elle n’est jamais engloutie sous l’enchevêtrement des rapports naturels entre les étants ; elle est en somme ce qui jamais, contrairement à la belle formule de Pascal, n’est compris ni surtout englouti par la nature[16]. La réflexivité permet à la pensée de n’être jamais seulement là où elle est, d’être toujours déjà ailleurs, plus loin, au-dessus – mais toutefois en trouvant cet espace de jeu au-dedans d’elle-même. Sa transcendance n’est pas, comme le voulait Sartre, un acte d’éclatement vers son objet, elle n’est pas « un glissement hors de soi »[17] qui toujours s’échappe en direction des choses. Au contraire, sa différence est un être-différent, sa transcendance est non pas un « transcender », mais un être-transcendant dont l’examen révèle une plénitude ontologique et non pas une vacuité intérieure. La conscience connaît parce qu’elle est fractale réflexive infinie, c’est-à-dire immensité intime qui l’excepte du domaine de tous ses objets possibles, en lui donnant précisément de faire apparaître ce domaine comme tel, comme cela qui s’ouvre devant elle, hors d’elle, à distance infinie d’elle. C’est parce que la pensée ne peut pas rejoindre les choses, au sens d’une confusion d’elle avec elles, qu’il y a connaissance. Autrement dit, la question de l’adéquation de la chose et de l’intellect doit se poser comme suit : la différence posée par l’élément de la pensée, la différence qu’est la pensée et qu’elle introduit dans le monde, ne cause précisément pas une non-conformité nécessaire entre l’un et l’autre des pôles ici en question, mais bien au contraire elle rend possible « à la chose de se manifester en soi, et hors la moindre implication d’une subjectivité dont l’essence consiste précisément à se tenir à distance afin, dans sa liberté et dans sa pure réflexivité, d’ouvrir la libre manifestation de ce dont elle est par nature infiniment à distance »[18].

Comment se pose la question, traditionnellement, de l’adéquation ? De la façon suivante : y a-t-il correspondance entre cela que la conscience connaît, et ce qui est dans le monde, c’est-à-dire ce dont l’être lui est extérieur ? Mais précisément, pour qu’une telle question puisse être posée par la pensée elle-même, il faut qu’elle fasse fond sur la position d’extériorité du monde, c’est-à-dire sur la prise de distance qu’elle est toujours déjà. Soit en effet la conscience n’a aucune extériorité radicale, mais dès lors il devient inexplicable qu’elle soit tentée de justifier par des arguments plus ou moins contournés son absence de vis-à-vis ; car si la conscience n’a aucun dehors, ce qu’il faudrait commencer par expliquer, c’est qu’elle se sente obligée de raisonner longuement sur l’hypothèse de ce dehors (d’où sort-elle ?), dont l’instinctive perception en elle apparait alors comme le comble de la bizarrerie. Si, en effet, esse est percipi, il reste encore à faire voir comment et pourquoi la conscience possède en elle la capacité de forger le concept d’esse, au lieu qu’elle se contente, de toute éternité, du percipi. Soit la conscience est ouverture d’un champ d’extériorité dont elle peut se demander si les conceptions qu’elle s’en fait lui corresponde ou ne lui corresponde pas, mais alors il fait nécessairement admettre qu’elle est bel et bien, toujours déjà, domaine d’apparition de cette différence même, infinie, entre son dedans et le dehors que, de manière structurelle, elle laisse paraître en le rendant à lui-même. Là encore, la comparaison avec Kant fait voir par contraste l’originalité de la doctrine exposée par Maxence Caron, puisque ce dernier peut écrire que lorsque la réflexivité se connaît, « elle connaît ainsi le natif et radical éloignement qu’elle laisse au monde, elle connaît la pureté de la sphère d’indépendance en quoi elle établit toute relation avec toute chose – dont elle ne peut tout simplement pas ne pas connaître d’abord l’en soi »[19]. Il faut bien admettre que cette dernière affirmation, pour qui a philosophiquement grandi parmi les grandeurs du cartésianisme, puis du kantisme, puis parmi les voluptés spéculative de l’idéalisme réaliste hégélien, heurte tant d’habitudes intellectuelles, qu’elle oblige avant que d’être admise à une méditation approfondie, afin de tâcher d’en cerner le sens et d’en traquer la signification avec le plus d’exactitude possible.

Partons de la conception classique du rapport de la chose et de l’intellect. D’un côté, la pensée qui peut se « représenter » les choses ; de l’autre, les choses qui font face à la pensée, et ne dépendent pas d’elle. Comme la pensée n’est pas les choses, et que les choses ne sont pas la pensée, la correspondance n’est pas nécessaire : la pensée peut se représenter faussement les choses, c’est-à-dire de manière inadéquate. L’on considérera par conséquent la vérité comme atteinte lorsqu’il y a identité, ou du moins ressemblance, entre la chose telle qu’elle est, est la chose telle qu’elle est pensée. Et l’inadéquation sera donc synonyme de non-connaissance, et l’adéquation sera le signe de la connaissance accomplie. Mais précisément, c’est là que paraît l’insurmontable difficulté de cette conception, dont le fondement est que la pensée et les choses sont toujours données (à la pensée) comme tout à la fois unies par la possibilité de la connaissance, et cependant séparés par cette même connaissance en tant que toute conscience est toujours conscience de quelque chose. La ressemblance a toujours lieu sur fond de différence, sur fond de distance ; ou plutôt faut-il dire que la prise de distance que la pensée est, cette prise et position de distance est le fond sur lequel, seul, la connaissance peut advenir comme adéquation du connaissant et du connu. Si en effet, comme le pensait Aristote, l’âme peut devenir toute chose[20], c’est en demeurant absolument elle-même – c’est-à-dire cela qui, différant de tout, peut tout devenir sans jamais se confondre purement et simplement avec quoi que ce soit d’autre qu’elle-même. Car, selon l’exemple fameux, ce n’est pas la pierre même qui est dans l’âme, mais sa forme[21], c’est-à-dire la pierre en tant que connaissable. La connaissance advient dans une dimension, l’âme, qui diffère radicalement du lieu où les choses se tiennent dans leur être, en extériorité par rapport à elle. Toute correspondance doit donc toujours être considérée comme fondée sur l’identité à jamais impossible entre le connaissant et le connu, sur leur inadéquation irréductible et radicale ; et si l’âme peut devenir en quelque façon toute chose, cette puissance précisément la met à part, la distingue de « toute chose », et l’installe sans le dire dans la consistance de son être le plus propre, qui est différence réflexive. Par conséquent, parler de ressemblance entre la chose telle qu’elle est, et telle qu’elle est conçue, est parfaitement insuffisant si l’on ne reconduit pas la possibilité même d’une telle ressemblance, et de la comparaison qu’elle implique, à l’essence « inadéquate » de la pensée à tout objet possible pour elle. En outre, cette inadéquation native apparaît non comme source d’erreur, c’est-à-dire de non-correspondance entre l’objet hors de moi, et sa représentation en moi, mais comme fondement même de la connaissance. « C’est parce qu’elle est en soi prise de distance, écrit Maxence Caron, que [la réflexivité] est une mise à distance et que cette inhérente et structurelle désimplication ouvre au regard l’existence en soi. C’est parce qu’elle est prise d champ, recul rétrocessif fractal, que la réflexivité déploie en même temps que son élément propre la singularité de ce qui lui est extérieur. Ainsi, le terrain structurel sur lequel l’extériorité de la chose se dessine est celui-là même que déploie l’agir réflexif de la pensée comme différence. »[22] En d’autres termes, l’intériorité de la conscience, en son être-différent, c’est l’extériorité de la chose ; et l’extériorité de la chose, laissée à elle-même, c’est l’intériorité infinie de la conscience, qui n’a pas pour essence de se « jeter » sur les choses mais au contraire de se tenir toujours déjà dans une distance infinie par rapport à elles, ouvrant par-là même l’espace de leur manifestation comme choses extérieures et substantielles :  « La réflexivité pose l’extériorité au moment où elle se pose elle-même »[23]. Le problème de la connaissance, s’il peut se poser en termes toujours d’adéquation et d’inadéquation, doit cependant être profondément reconfiguré. L’adéquation n’est jamais autre que paradoxale : elle n’est pas une simple correspondance entre les contenus de pensée d’un côté, et les étants extérieurs de l’autre. L’adéquation est le champ de phénoménalité ouvert par la réflexivité en sa constante position et prise de distance, où précisément la chose et l’intellect correspondent dans et par l’espace même de la considération de leur différence. Ou encore : c’est dans la séparation, dans la distance, dans l’éloignement, que toute chose peut être présente et présentée à la conscience en étant simultanément et toujours rendue à sa teneur propre, car la connaissance n’est pas un contact mais bien plutôt « une déférence dans l’intact »[24]. L’adéquation s’enracine dans l’inadéquation, et « la différence réflexive est l’inadéquation adéquative »[25]. Il ne peut y avoir ni de simple adéquation, ni de simple inadéquation entre le monde et le moi, puisque toujours déjà le monde et le moi tombent dans le champ de la pensée, qui pour cela peut s’amuser ensuite à les comparer, à les déclarer en état de correspondance ou de non-correspondance, voire à nier l’extériorité du second.

Toute chose est connue dans la distance, y compris l’existence, qui se révèle alors comme une catégorie de la réflexivité[26], ainsi que les essences, qui s’avèrent accompagner la manifestation de la chose mais ne précèdent pas absolument la pensée qui n’est pas simplement identique au « domaine des essences » mais qui, par rapport aux essences, leur champ d’apparition – et puissance de recul pris sur elles aussi[27]. En effet, connaître une chose telle qu’en elle-même, c’est la révéler tout à la fois dans la singularité de son être propre, qui est extériorité radicale, ainsi que dans la particularité de son identité formelle à soi-même. Être et essence, ou existence et essence, selon les termes exacts dont use Maxence Caron, sont deux aspects de tout étant que seule la liberté infinie de la différence réflexive peut faire paraître, et qu’elle ne peut rendre manifester qu’à condition, aussi, de les tenir à distance, ou bien plutôt de les tenir dans la distance qu’elle est. Commençons par l’existence[28]. La pensée, en tant qu’intériorité réflexive, est la dimension d’une commune apparition : elle-même et la chose laissée à son extériorité, à son en soi. Simultanément, parce qu’il y a présence de la pensée dans le monde, il y a l’espace laissé à toute chose pour apparaître telle qu’en elle-même, pour prendre place au sein d’un champ de phénoménalité unifié, où soudain chaque étant peut éventuellement être considéré dans toutes les déterminations de sa singularité. La couleur, par exemple, peut apparaître comme ce qu’elle est, désimpliquée de tout intérêt où l’absorbe la conscience animale ; et dès lors, il peut y avoir art pictural, qui regarde la couleur en soi, la couleur laissée à elle-même, et voit en elle la multiplicité des combinaisons où elle pourrait entrer afin de servir à l’expression d’un sens, – au sein d’une œuvre. Il y a contemplation possible, donc remise de l’étant à lui-même, à son être propre, à sa singularité, et regard posé sur lui par-delà toute implication qui l’absorberait dans les préoccupations déformatrices d’une conscience sans pensée, sans raison. Tel fruit n’est plus seulement « à manger », il apparaît et déploie la richesse de sa consistance ontologique en lui-même, il se montre comme précédant et excédant mes désirs, mes besoins, mes appétits, mes instincts, bref tout cela qui tendraient à me faire accroire que lui et moi sommes pris et compris dans l’étouffante et l’inextricable complexité d’un réseau de dépendances où la nue présence de lui et de moi disparaît. Il n’est plus question d’un rapport à l’objet tel que par exemple Thomas d’Aquin le reconduisit, chez les animaux, à une faculté dite « estimative », qui les rendent capables de réagir non seulement à l’agrément et à la douleur, mais aussi à l’utile et au nuisible, « sicut ovis videns lupum venientem fugit, non propter indecentiam coloris vel figurae, sed quasi inimicum naturae » [29], « comme le mouton voyant le loup arriver s’enfuit, non parce que sa couleur ou sa forme ne sont pas belles, mais parce qu’il est comme l’ennemi de sa nature ». Précisément, l’homme est capable de choisir telle ou telle couleur parce qu’il la juge (et non plus l’estime, au sens instinctif que donne saint Thomas à ce terme) belle, d’un jugement de goût, ou du moins parce qu’il la juge adéquate à un son projet d’expression. Bref, l’homme choisit une couleur pace qu’il la considère en elle-même, et que rendue à elle-même celle-ci lui peut apparaître dans la multiplicité immense des configurations possibles qui l’associent à toutes les autres, en vue de produire un effet précis. Autrement dit, la différence réflexive « est ce qui garantit à « l’intellect » d’être constitué en dehors de tout prisme déformant, face à la « chose » nue et anonyme, la chose dans son existence brute »[30]. Par sa différence, par sa prise de distance, par son être-à-distance de tout, la conscience pose l’existence, la fait apparaître, comme le lieu commun d’elle-même et de la chose.

C’est donc parce que la pensée est réflexivité, différence réflexive, qu’elle rend manifeste l’existence comme un même champ où peuvent se distribuer elle-même (la conscience) et la chose qui toutes deux sont. Car l’homme ne peut sortir ni de l’être, ni surtout de la pensée comme ouverture du champ d’apparition de l’être même ; il ne peut sortir de son « ontoréflexivité », c’est-à-dire du propre de son être qui est de se tenir, en soi-même, à distance suffisante de tout être fini pour le faire apparaître comme tel, et pour le prendre en sa garde. C’est en ce sens, et non pas en un sens de constitution transcendantale (kantienne ou husserlienne) que l’existence est dite par Maxence Caron une catégorie de la réflexivité, car celles-ci « sont là pour souligner l’existence propre de la chose »[31], et non pour la déterminer. « Ainsi, peut-on lire à la même page, lorsque par nature la réflexivité prend ses distances pour se donner à voir quelque chose, elle applique la libre expression de l’existence à ce qui se manifeste comme l’extériorité. Elle rend à soi la chose, elle laisse la chose à elle-même. » En d’autres termes, elle connaît la chose dans son existence, dans sa consistance ontologique propre, dégagée de tout rapport d’implication subjectif en elle. « Le fait de laisser être l’existence comme telle est l’être propre de la catégorie panoranoético-diaphorique, la déférence ontologique structurelle du champ de l’existence en soi »[32]. Voir les choses dans leur être, dans la singularité de leur existence, telle est le propre de la conscience, qui par-là rencontre ou plutôt laisse en toute chose se déployer la dimension de l’essence. Nombreuses sont, quoiqu’éparses, et cependant significatives, les indications permettant de commencer à dessiner la physionomie du concept d’essence au sein du système philosophique de Maxence Caron. La plus nette, d’emblée, est liée à la catégorie de l’existence, qui « porte avec soi, dans le dégagement de l’intangibilité de l’existence, la reconnaissance de la singularité de son en soi comme l’essence, c’est-à-dire comme la précédence ordonnatrice selon quoi la chose est prononcée au sein du franchissement créateur »[33]. Supposons ce qu’Aristote eût considéré comme une substance première[34], par exemple une pomme. Pour que puisse être nommée cette pomme, en quelque langue que ce soit, pour qu’il y ait donc, aux yeux de l’intelligence, quelque chose à nommer, une singularité suffisamment unifiée pour qu’elle appelle la constitution et la profération d’un nom, il faut que cette entité apparaisse hors de toute implication subjective et déformante (besoin, désir, appétit, pulsion, intérêt, etc.), il faut que la conscience lui donne l’espace d’une phénoménalisation telle qu’en elle-même. Voir toute chose en tant qu’elle est, dans son existence propre, c’est la laisser au domaine de « l’intact », la laisser à elle-même dans la distance infinie qu’ouvre au sein du monde la différence réflexive de la conscience. Dès lors, si la pomme n’est plus simplement le pôle d’une faculté fonctionnelle, si elle n’apparaît plus, comme à la conscience animale, en tant que ceci (à manger, à fuir, etc.), si elle se donne à voir en tant qu’étant, ou substance, simultanément elle est connue comme « ce qu’elle est » – donc dans et par son essence. L’essence est cela que libère la liberté à la chose conférée par la conscience, qui peut alors entretenir un rapport lui-même réfléchi avec l’en-soi de ce que son attention vise dans le monde, et dont ainsi elle dessine les contours intelligibles. La manifestation de l’être et de l’essence sont rendues possibles l’une par l’autre, et l’une dans l’autre. « L’être-réflexif, écrit Maxence Caron, entre dans une différence et un domaine dont ressort la position de l’existence extérieure, appuyée par les essences dont le sens est de laisser être cette existence brute devant le regard même. »[35] La singularité ontologique de la pomme, par exemple, par moi examinée, ne peut m’apparaître qu’à condition que, dans le même temps, elle me soit manifestée comme ce qu’elle est, et comme ce qu’elle est, car l’être n’est jamais donné à la pensée que dans un étant, c’est-à-dire selon un mode ou une mesure qui le limite et le détermine. L’être pur et simple n’est jamais objet pour la conscience, lorsqu’elle se tourne vers le monde, où ne lui sont donnés que des étants, dont l’acte d’être est dé-terminé, ou dé-fini, par une essence. Ainsi Thomas d’Aquin pouvait-il écrire que « essentia dicitur secundum quod per eam et in ea ens habet esse »[36], « l’essence est ainsi dite selon que par elle et en elle l’étant a l’être ».

Libérant donc un champ pour la vue de la chose en son être, la réflexivité en même temps s’ouvre à la connaissance de l’essence, c’est-à-dire à la connaissance de la mesure et de l’ordre selon quoi l’être est donné à tel ou tel étant qui n’est jamais pure et simple acte d’être, mais toujours acte d’être reçu et limité par une essence, ou par une essence configuré. Pour être, il faut que tout étant créé soit ceci ou cela, qu’il soit déterminé comme ceci ou cela ; il faut donc qu’il exerce son acte d’être selon la figure d’une certaine essence, et se tienne ainsi au-devant de la conscience comme une singularité, rencontre d’un acte propre (être) et d’une détermination universelle (l’essence). L’une et l’autre connaissances, de l’être et de l’essence, s’accompagnent mutuellement, et toutes deux dépendent de l’ouverture du même champ de phénoménalité, qui rend toute chose à elle-même, à la fois dans la consistance singulière de son existence, et du même coup dans la mise en évidence de la détermination essentielle dont elle participe. Il faut, en somme, que la pomme puisse être contemplée par la conscience en tant qu’elle est, en tant qu’elle in-siste en elle-même, pour que dans le même acte elle puisse être aussi considérée non comme déterminée par mon rapport à elle, mais en elle-même. La pensée est ainsi placée face à des étants qu’elle ne constitue pas, dont elle se contente bien plutôt de constater qu’ils sont toujours déjà prononcés dans l’être selon un λόγος qu’elle ne leur impose pas, et dont elle se contente de déchiffrer les figures. On peut alors comprendre en quel sens l’existence et l’essence sont dites des « catégories » de la réflexivité : elles sont l’une et l’autre ce que, fondamentalement, la pensée reconnaît dans les choses dont son regard libère l’indépendance ontologique, et les remettant à elles-mêmes. Ni l’essence ni l’existence ne sont, en tant que catégories, des projections subjectives. Au reste, la mise en lumière de l’être réflexif de la conscience rend cette position intenable, puisque le sujet ne peut jamais être considéré simplement comme celui qui projette, mais comme celui qui sait qu’il projette, et qui par conséquent laisse toujours déjà être, en pleine liberté et en pleine indépendance, même pour l’enfouir ensuite dans la nuit supposée de l’inconnaissable, le domaine de l’en-soi[37]. En tant que catégories, ni donc l’essence ni l’existence ne dépendent de la pensée ; elles ne sont nullement des formes vides a priori que le divers du réel est, de mystérieuse manière, destiné à remplir ; elles sont ce que révèle ou plutôt ce que laisse à sa libre manifestation la distance réflexive de l’âme qui regarde chaque chose et toute chose en elle-même, étant elle-même ouverture du champ d’épanouissement visible des étants dans l’intégrité de leur teneur ontologique la plus propre. L’existence est catégorie de la réflexivité non en tant que c’est le sujet qui accorderait l’existence à l’objet, mais en tant que l’espace de la réflexivité est celui où l’existence vient au jour comme telle, c’est-à-dire l’espace où tout ce qui est peut être connu dans son être, dans son en soi où se tiennent, mêlés quoique distincts, l’acte d’être et la détermination de l’essence.

Ainsi, lorsque Maxence Caron peut écrire que « le monde n’est jamais à la mesure de la pensée »[38], il convient de comprendre qu’il en va là du monde non seulement dans sa totalité en tant que monde, mais également dans sa teneur existentielle et essentielle : l’être des étants mondains, ni leur essence, ne sont à la mesure de la pensée, c’est-à-dire de la dimension intime de l’âme qui est à l’image du Principe trinitaire. Et pourtant, la pensée est dans le monde, sans être du monde. Il y a présence réelle de la pensée au sein du monde, et même présence sensible – laquelle n’est pas autre chose que le corps humain, ou bien plutôt la chair de l’homme, qui est, elle aussi, dans la distance réflexive, et non hors d’elle. La conclusion en effet de La Transcendance offusquée expose une doctrine de la connaissance sensible, et donc de la présence sensible de l’homme au monde, qu’inaugure une déclaration dont seront sans doute très surpris tous ceux qui auraient oublié que le système philosophique de Maxence Caron se veut avant tout l’expression philosophique de la pensée catholique : « le corps est à l’intérieur de l’âme et sa morphologie générale comme son existence ne sont rien d’autre que la présence visible des états panoranoético-diaphorique »[39]. La chair elle-même est ressaisie dans le sein de la dimension réflexive, et c’est alors par une analyse longue et belle des cinq sens, ainsi que de la forme même du corps humain, que l’auteur achève ce deuxième volume, en faisant souvenir à son lecteur qu’une philosophie chrétienne ne peut considérer la connaissance de l’homme par l’homme comme accomplie sans rendre compte de sa dimension corporelle, mais en se tenant à distance de tout dualisme qui voudrait abandonner le corps à la seule matière. Je terminerai donc par l’examen, trop bref bien sûr pour être complet, de ce chapitre conclusif intitulé : « La connaissance du Premier et de soi : toute la chair diaphoroflexive »[40]. Qu’en est-il donc du corps, dans son rapport à la réflexivité ? Car si plusieurs fois cette dernière à pu être nommée par Maxence Caron « l’être d’homme », il est bien légitime de se demander s’il s’agit là d’une reductio ad mentem : l’homme serait-il essentiellement pensée, comme dans la doctrine cartésienne, à laquelle un corps est adjoint de l’extérieur, on ne sait trop par quel miracle, et ainsi qu’un appendice purement matériel ? De vrai, telle n’est certes pas la conception que se fait du corps humain l’auteur de la Transcendance offusquée, qui peut écrire de lui qu’il est « le prolongement étendu de l’espace propre à la dimension diaphorique de l’âme ontoréflexive »[41]. Car si c’est bel et bien l’âme de l’homme qui, à proprement parler, est image et à l’image de Dieu, il faut garder bien à l’esprit que l’âme est forme du corps, que l’âme se configure un corps à sa ressemblance, et que donc, comme l’écrit saint Thomas d’Aquin, « ipsa figura humani corporis repraesentat imaginem Dei in anima, per modum vestigii », « la figure même du corps humain représente par mode de vestige l’image de Dieu dans l’âme »[42].

Le corps n’est pas greffé de l’extérieur, comme une prothèse, sur l’âme humaine ; il est toujours corps de cette âme-ci, dont la physionomie intime est reconduite à sa surface et dans ses profondeurs, où elle resplendit et rayonne parmi l’univers visible. Il n’est donc entre tous deux aucune « dualité originelle de structure »[43], et si certes ils ne sont pas identiques, ne doivent pas être confondus, ils sont unis profondément dans « la dimension réflexive qui est image du Principe »[44]. En d’autres termes, le corps humain, en cela qu’il est proprement humain, participe à sa mesure et sur un mode qui lui appartient, à la consistance ontologique réflexive de la pensée. Il n’en est pas un à côté, mais un prolongement dans le domaine sensible, – ou bien plutôt en est-il le prolongement sensible. Le corps est la présence sensible et visible de l’âme parmi le monde. « La présence, écrivait Hugo, profond mystère qui divinise l’invisible »[45].  La réflexivité, comme être-différent de tout étant mondain, se montre donc bel et bien présente comme telle à même la teneur du corps, à même sa consistance sensible, à même la densité de son épaisseur visible. La différence réflexive, qui est la pensée comme image du Principe dans sa Différence fondamentale, doit donc être vue en tant qu’elle est reconduite dans la constitution même de la chair d’homme, qui exprime elle aussi, à sa mesure propre, la distance infinie qui sépare et relie l’être panoranoétique et le monde alentour de lui. « Le corps d’homme dit analogiquement (au monde) la qualité diaphorique de l’âme »[46].  L’un et l’autre, âme et corps, sont ainsi dans une relation tout à la fois d’unité substantielle, et cependant de grande distinction ; ils sont un, profondément, au plan de l’être, mais pourtant ils ne sont pas un et même. Et la différence même de l’un à l’autre est signe, à même la chair, de ce que, tout à la fois, elle n’est pas l’âme, mais elle est dans l’âme, et par l’âme : elle est expression de sa différence avec l’âme, et par-là même, elle est différence d’avec tout ce qui l’entoure, s’exceptant ainsi de tout autre organisme. Le corps, en d’autres termes, fait voir la différence réflexive ; il fait venir en présence visible la différence qu’est la pensée, la conscience, l’âme ; bref, il révèle l’âme en tant qu’âme, c’est-à-dire en tant que, précisément, différente de ce corps qu’elle déploie dans le domaine mondaine, parce qu’elle ne lui appartient pas.

En conséquence, les opérations des sens, que la philosophie antique et moderne a coutume de rapporter à la seule matérialité du corps, doivent au contraire, selon Maxence Caron, être vues dans leur densité réflexive. La sensation chez l’homme apparaît alors comme différente infiniment de la sensation chez l’animal, à cause qu’elle s’accomplit en étant toujours déjà pénétrée par la dimension de réflexivité. Ou pour mieux dire : la sensation chez l’homme s’accomplit toujours dans la dimension même de la réflexivité. « La sensation que nous recevons n’est jamais brute, elle est instruite d’une connaissance de la chose et de la présence de la pure chose en soi à quoi la sensation est liée »[47]. Comment cela est-il possible, et pensable ? Par ceci que, comme je l’ai dit, le corps n’est pas à l’extérieur de l’âme, c’est-à-dire hors de la dimension réflexive, c’est-à-dire encore hors de l’être diaphorique de l’homme. L’on pourrait dire qu’il en est l’extériorité sensible, mais alors en prenant bien garde de ne pas comprendre là que le corps se pourrait tenir ailleurs que dans la « forme » de la réflexivité. Au vrai, il est proprement « l’épaississement de la diaphoréité réflexive dans le chœur d’une expressivité périphanique »[48]. Tout est dit par ce dernier néologisme, construit à partir du terme grec « περί », signifiant « autour », et de « φαίνω », signifiant « faire briller, faire voir, faire connaître ». Le corps humain est la surface sensible de l’âme, il est rayonné par elle comme une visibilité annonciatrice et révélatrice. Le corps est l’ensemble, composé dans le visible, des sens de l’âme. Il n’est donc assurément pas une substance matérielle, au sens là encore où Descartes le voulait comprendre ; il n’est pas substance matérielle parce que, comme eût dit saint Thomas, sa subsistence n’est pas dans la matière, indépendamment de l’âme, bien au contraire, ce qui fait tenir ensemble le corps comme non pas un agrégat mais comme une totalité organique, c’est sa forme, c’est-à-dire l’âme : le corps, comme unité organique, subsiste dans l’âme, et par elle[49]. Et dès lors, au moment où l’âme le quitte, littéralement il se dé-compose, et par conséquent il disparaît lui aussi de manière progressive. Le corps ne subsiste pas sans l’âme, et un cadavre n’est plus à proprement parler un « corps », il est une pure matière qui, comme telle, « rentre en la terre d’où elle avait été tirée » (Ec. XII, 7).

Quant aux sensations, donc, elles sont « la correspondance que notre corps, c’est-à-dire l’âme étendue et périphanique, possède avec les choses »[50]. Aussi faut-il bien voir qu’il y a toujours plus, dans la moindre sensation, qu’une simple impression, car toute sensation contient toujours l’espace de sa propre connaissance réflexive. Pour qu’un objet puisse faire sur moi im-pression, il faut qu’il rencontre en moi un espace intime de résonnance, où la sensation n’advient jamais sans comporter en elle-même la possibilité de sa mise à distance, et dès lors de son appréhension en tant que sensation, comme rapport d’un dedans et d’un dehors, d’une intériorité et d’une extériorité toujours déjà posées comme telles. « Dans l’être d’homme, écrit Maxence Caron, la sensation porte toujours en elle-même la précédence ontoréflexive, elle est l’impression que les choses extérieures, et connues comme telles dans leur extériorité, reçues comme telles, comme un monde purement extérieur et qui ne peut être placé dans son extériorité propre, c’est-à-dire restitué à l’indépendance de son extériorité en soi, que par la vertu déquative de la réflexivité –, elle est l’impression, donc, que les choses extérieures font en elles-mêmes sur les sens et la correspondance qu’ils ont avec elles qui à ces sens sont ainsi comme telles manifestées dans l’en soi de visibilité et de manifesteté de leur nue présence, autrement dit de leur essence ou de ce qu’elles sont. »[51] C’est pourquoi, de même que la conscience réflexive n’est jamais moins qu’aucun de ses contenus immédiatement intelligibles, elle n’est jamais non plus moins qu’aucune des sensations qui adviennent en elles, par le moyen du corps, – donc qui adviennent dans la dimension « diaphorique » qu’elle est, ou encore dans la dimension différentielle, de mise à distance et de prise de recul infini, où elles peuvent apparaître comme telles, sans jamais submerger ni engloutir l’âme dans un réseau de réactions sensibles immédiates, sans corrélation avec aucune représentation de chose comme telle. Par la pensée, par la réflexivité, l’homme est libre par rapport à ses sensations. Non qu’il puisse, sauf en état de sainteté, les maîtriser toutes au plan pratique ; mais il peut les connaître, les tenir pour ce qu’elles sont, et par conséquent, dans la dimension de distance avec soi-même qui est sa pensée, il peut en faire des instruments de connaissances et d’actes rationnels. En l’homme, les sensations ne sont ainsi jamais les instruments aveugles d’un comportement animal, intégralement impliqué dans un entrelacs d’actions et de réactions immédiates vis-à-vis d’un environnement qui n’est jamais posé comme tel, dans l’indépendance de son extériorité. Ainsi donc, cela même qui est traditionnellement attribué au corps seul, apparaît en réalité comme extirpé du champ du « transcendement »[52], au même titre que l’âme qui est dans le monde sans y avoir son origine. La « chair diaphoroflexive » subsiste dans et par la subsistence de l’âme, c’est-à-dire dans et par la subsistence réflexive qui est image du Principe ; et rien de lui, dès lors, n’est à l’extérieur de la personne humaine, en tant que singularité spirituelle.

C’est pourquoi la personnalité, au sens non seulement psychologique mais surtout et d’abord ontologique, de chaque homme est perceptible jusque dans le moindre de ses gestes, toujours imprégné d’esprit, et plus encore imprégné de son esprit. Ce que révèle seul le regard d’amour, par quoi le plus infime frémissement de l’être aimé n’apparaît jamais anonymement, mais comme toujours incomparable et distinctif. En effet, il n’est pas de comparaison possible dans la lumière de l’amour, où toute manifestation sensible et intelligible, dès lors qu’elle est celle de l’être aimé, se donne sous le signe de l’unicité absolue. Car le corps n’est pas matière interchangeable, comme l’ont toujours cru tous les athéismes, conscients ou inconscients ; il est tout entier rayonnement d’une âme unique, absolument singulière, dont la trace pour qui aime est visible jusque dans un tremblement de narine, un mouvement de cheville, la vibration d’un cil ou la palpitation silencieuse d’une veine sous la surface de la peau. Le corps est impérissable, parce qu’il est pétri d’âme – et l’Église fait plein droit à cette vérité en rappelant aux fidèles qu’ils croient à la résurrection de la chair, c’est-à-dire au corps glorieux, au corps en tant qu’il sera pleinement participant de la gloire divine. Et c’est bel et bien à ce corps en puissance de faire resplendir en lui la gloire de Dieu, que le système de Maxence Caron, dans les dernières pages de La Transcendance offusquée, donne d’être philosophiquement pensé. Ainsi, à partir de la connaissance de soi, laquelle est allée jusqu’à l’examen minutieux de la présence corporelle et sensible de l’homme au sein du monde, l’auteur peut-il s’engager dans la connaissance du « Premier », qui est l’Être trinitaire. Ici commence le Verbe proscrit.

***

[1] Maxence Caron, La Transcendance offusquée, éd. cit., p. 57 (désormais TrO).

[2] TrO, p. 61.

[3] On trouvera les plus importants de ces termes exposés à la p. 73.

[4] TrO, p. 87.

[5] TrO, p. 95.

[6] Kant, Progrès de la métaphysique, in Œuvres philosophiques, t. III, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 1986, p. 1221.

[7] TrO, p. 143.

[8] TrO, p. 89.

[9] TrO, p. 98.

[10] TrO, p. 100.

[11] Ibid.

[12] TrO, p. 133.

[13] TrO, p. 137.

[14] Ibid.

[15] TrO, p. 144.

[16] « Par l’espace l’univers me comprend et m’engloutit comme un point, par la pensée je le comprends. » (B. Pascal, Pensées, Lf. 113/Br. 348)

[17] J-P. Sartre, Situations I, Gallimard, Paris, 1947, p. 32. L’on peut même considérer que l’on se trouve là exactement à l’opposé du système philosophique de Maxence Caron, puisque Sartre écrit au même lieu que « la conscience n’a pas de « dedans », elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience ».

[18] TrO, p. 145.

[19] TrO, p. 146.

[20] Aristote, De Anima, 431b20 : « ἡ ψυχὴ τὰ ὄντα πώς ἐστι πάντα ».

[21] Cf. De Anima, 431b29.

[22] TrO, p. 147.

[23] TrO, p. 156.

[24] TrO, p. 148. « La constitutive diaphoréité de la panoranoèse se tient dans l’in-tact. » Voir aussi, p. 150 : « C’est la réflexivité elle-même qui éloigne le monde, qui pose une distance et, par l’antécédence ontologique de cet antéréel fait de désimplication, dont l’omniprécédence ne dépend nullement de nous qui somme dès toujours en elle, ouvre la parole intacte de l’en soi. »

[25] Ibid.

[26] Cf. TrO, p. 147, et p. 159.

[27] Cf. TrO, p. 157.

[28] C’est-à-dire l’être pris en son sens d’acte. Nous employons ici « existence » par commodité, afin de respecter le choix de l’auteur, bien qu’il nous semble que ce qu’il entend par là soit plus proche de l’esse thomiste, par exemple, au bien augustinien, que des conceptions modernes de l’existence.

[29] Thomas d’Aquin, ST, Ia, Q. 78, art. 4, réponse.

[30] TrO, p. 148.

[31] TrO, p. 147.

[32] Ibid.

[33] TrO, p. 159.

[34] Le procès de découverte de l’essence est similaire dans le cas de l’accident, mais il a moindre valeur démonstrative.

[35] TrO, p. 156.

[36] Thomas d’Aquin, De Ente et essentia, ch. I.

[37] Je n’ai pas réussi, je le reconnais, à déterminer avec exactitude le rapport que l’auteur établit entre les essences et ce qu’il a le courage, dans son admiration et son amour pour la pensée de saint Augustin, de nommer « Idées ou vérités éternelles » (Traité fondamental de la seule Philosophie, Les Belles Lettres, Paris, 2023, p. 442). J’indique ici simplement que l’Idée est ce à quoi le processus de connaissance par inadéquation adéquative atteint ; elle en est la conclusion et l’accomplissement. Ainsi, « la native inadéquation de cette réflexivité fait connaître toute chose en soi, et fait connaître également les Idées ou vérités éternelles dont l’immuabilité se trouve précisément, en telle ou telle part, dans la chose en soi ». Connaître donc la chose en soi, c’est-à-dire en elle-même, c’est la voir dans l’Idée. Ou encore : « dans les mesures, proportions, etc., dessinées dans le cadre des vérités éternelles » (ibid.). On retiendra donc l’entrelacement de l’en-soi et de l’Idée : connaître une chose telle qu’en elle-même, c’est la connaître telle qu’elle fut configurée selon les vérités éternelles. « Dès lors la réflexivité, qui agit bien indépendamment de l’Idée, rencontre harmonieusement l’Idée comme le nom dont a été défini dans l’éternité ce qu’elle vient de connaître, et la réflexivité rencontre ainsi le nom comme la ponctuation finale qui unit le processus cognitif à la réflexivité inadéquato-adéquative liée au Principe seul, à ce que le Principe a précisément prononcé, aux définitions dont sont tissées les choses, aux paroles qui sont l’essence de tout objet » (ibid.). Peut-être au fond faudrait-il simplement laisser là, pour l’instant, le dernier mot à l’excellent et très élégant Joubert, qui affirmait que « l’essence d’une chose est l’idée que Dieu en a » (Carnets, t. I, Gallimard, Paris, 1994, p. 389).

[38] TrO, p. 931.

[39] Ibid.

[40] En référence au traité de Bossuet, dont la méditation accompagne, au sens musical du terme, ces pages : De la connaissance de Dieu et de soi-même, publié après la mort de son auteur, en 1722.

[41] Ibid. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que « diaphorique » signifie simplement l’être-différent de la pensée, en tant que puissance infinie de rétrocession en soi-même, et donc de prise de distance sur tout contenu que, par-là même, elle se peut donner.

[42] ST, Ia Pars, Q. 93, art. 6, Réponse.

[43] TrO, p. 932.

[44] Ibid.

[45] V. Hugo, L’Homme qui rit, coll. « Folio classique », Gallimard, Paris, 2002, p. 365.

[46] TrO, p. 955.

[47] TrO, p. 937.

[48] TrO, p. 935.

[49] « Le corps est le phénomène en tout point réflexif de l’âme : il est la périphanie de son unité avec l’âme qui le surplombe et qui, en lui, prolonge sa diaphoricité : le corps est au sein de la substance une et qui se constitue l’être d’homme, au sein de la dimension diaphoranoétique qui par l’âme unit le corps à l’âme dans l’âme » (TrO, p. 954 ; je souligne)

[50] TrO, p. 937.

[51] Ibid.

[52] Cf. le premier volet de notre étude.

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Romain Debluë est né en 1992. Docteur en philosophie de l’Université Lettres-Sorbonne (« La Révélation de l’être : Hegel et Thomas d’Aquin », sous la direction de M. Emmanuel Cattin), il a publié de nombreux articles, dans le domaine de la philosophie et de la littérature, ainsi qu’un roman. En outre, il a organisé durant plusieurs années un séminaire en Sorbonne consacré aux « philosophes et à la Trinité », dont les actes sont parus sous la forme d’un numéro des Études philosophiques.
Spécialiste de philosophie médiévale, et de l’idéalisme allemand, il poursuit des recherches consacrées au motif de « l’âme à l’image de Dieu », suivi dans son évolution et sa progressive disparition, de Thomas d’Aquin à Descartes.