29-30 avril 2010
Université de Lille 3
(Maison de la Recherche, Salle des Colloques)
Matin : Sentir et philosopher (modérateurs : Ch. Berner / Ph. Sabot)
9h45–10h00 : accueil et présentation.
10h00–11h30 : Nicolas Grimaldi, « Deux versants de la philosophie. »
Dans un passage du dix-huitième chapitre du Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer sépare, en un geste aussi radical qu’inédit, deux versants de la philosophie. Tandis que le premier n’attribue l’accès privilégié au réel qu’à la seule activité rationnelle, le second – inauguré par l’auteur – fait de l’expérience affective le seul point de départ fiable d’une pensée de la vie. Il y aurait là deux formes du philosopher dont le parcours nous laisse pressentir que penser philosophiquement, c’est être, plus opiniâtrement qu’un autre, attentif à ce qu’on sent et ce que la vie veut en nous.
11h30–12h30 : Peggy Avez, « Expériences affectives et cristallisations conceptuelles de la liberté. Exhumer le sentir de dessous la pensée de l’être libre. »
Bien que le sentiment de liberté ait souvent été relégué par la philosophie comme inintelligible et vide de contenu, nous explorons l’hypothèse selon laquelle les conceptions de la liberté s’enracinent dans des expériences affectives dont elles demeurent des projections sédimentées. Aussi la peur du chaos dans l’Antiquité, le sentiment de la faute et du remords dès le tournant judéo-chrétien puis le sentiment d’injustice fonderaient trois paradigmes de la liberté. Les constructions philosophiques seraient des manières signifiantes d’habiter le monde et naîtraient du sentiment initial et douloureux d’une fracture entre lui et nous, mais aussi entre nous et nous-mêmes.
12h30–14h00 : Repas.
Après-midi : Vivre et agir (Modérateurs : G. Guyomarc’h et Ch. Capet)
14h00–15h00 : Hugues Dusausoit, « Une philosophie de la vie est-elle possible ? Sentir et penser chez Michel Henry. »
Notre intervention se propose d’explorer la distinction conceptuelle du sentir et du penser à partir de l’œuvre de Michel Henry. Pour ce faire, nous poursuivrons deux objectifs. Dans un premier temps, nous reviendrons sur le constat henrien selon lequel cette distinction du sentir et du penser a pris, dans notre tradition philosophique, la forme d’une opposition. Dans un second temps, nous interrogerons de manière critique comment, déplorant les effets de cette opposition et contestant ses fondements, Henry entend la surmonter et nous proposer une philosophie de la vie.
15h00–16h00 : Véronique Decaix, « Au-delà du percept et du concept, le temps comme structure catégoriale chez Dietrich de Freiberg. »
L’ambiguïté du temps traverse le couple sentir et penser. Est-il un sentiment de la durée subjectivement éprouvée ? L’objet de la science physique des choses en mouvement? Ou encore, la condition même de l’activité de penser ? Dietrich de Freiberg, dans le De Tempore, étudie cette tension inhérente au temps. Constitué par l’âme, au plus intime d’elle-même, ce dernier demeure cependant intra-mondain. Le temps invite à abolir, sinon à interroger, les limites perméables du dehors et du dedans. Peut-être ne serait-il rien d’autre que cette tension, ou plutôt cette tendance intentionnelle, de l’intérieur vers l’extérieur.
16h00–16h30 : Pause.
16h30–17h30 : Julie Journeau, « L’origine de l’action intentionnelle selon Aristote. »
Lorsqu’Aristote analyse l’action dans le Mouvements des Animaux, la sensation ainsi que la pensée – ou intellection – sont considérées comme pouvant être à l’origine des actions intentionnelles. Ainsi, bien loin de s’opposer, la sensation et la pensée semblent plutôt être entremêlées lorsqu’il s’agit de comprendre l’action. Dans cette intervention, nous souhaitons montrer comment cette union est particulièrement manifeste dans le cas du syllogisme pratique. En effet, le syllogisme pratique, nous met en présence d’une prémisse constituée par la sensation ainsi que d’une prémisse liée à la pensée. Le syllogisme pratique est donc symptomatique d’une union du sentir et du penser tout à fait particulière puisqu’il est un instrument élaboré par la pensée mais dont le sentir est la condition de possibilité.
17h30–18h30 : François Thomas, « Sentir et penser dans sa langue, et dans d’autres. »
Nous apprenons à penser dans une langue, mais aussi et simultanément à mettre en mots et interpréter nos sentiments et émotions. Quelle importance dès lors accorder à la langue, et notamment à la langue maternelle, dans l’analyse du couple sentir et penser ? Peut-on envisager, à même la langue, un entrelacement originaire de la pensée et de la sensibilité, et concevoir la subjectivité comme ancrée dans une langue autant que dans une culture ? Comment prendre en compte et respecter l’attachement affectif à la langue maternelle, sans enfermer dangereusement l’individu dans une manière de sentir et de penser prédéterminée ?
18h30 : Fin de la journée.
Vendredi 30 avril
9h45–10h00 : accueil.
Matin : Théorie et sensation (modératrice : V. Decaix)
10h00–11h00 : Charles Capet, « » Feeling and thinking » chez Hume : le feeling comme critère indéfinissable de ce en quoi l’esprit croit et qui conditionne son rapport au monde. »
On souhaite questionner chez Hume les rapports complexes entre « feeling and thinking », afin de montrer que, loin d’être relégué dans la sphère du simplement subjectif et d’être pour cela exclu du raisonnement valide, le feeling correspond à un « certain je-ne-scai-quoi » qui demeure déterminant au sein de la pensée. Pour cela, on commencera par rappeler la différence d’intensité entre les impressions et les idées, en insistant sur la question des idées plus ou moins vives. Après quoi, il sera possible de distinguer deux sens de feeling, l’un portant sur la croyance causale, l’autre sur l’adhésion aux démonstrations.
11h00–12h00 : Gweltaz Guyomarc’h, « La différence entre sentir et penser selon Aristote : intellection et sensation font-elles l’objet de la même science ? »
Ni séparées, ni identiques : Aristote chercherait à concevoir sensation et intellection comme différentes. Incombe-t-il pour autant à la même science de les étudier ? Cette difficile question a constitué l’un des fils directeurs des lectures tardo-antiques et médiévales de la psychologie aristotélicienne. Si la sensation et le sensible sont bien du ressort de la physique, cela semble plus complexe pour la pensée, qui se produit peut-être sans organe et vise la quiddité des étants. Mais comment l’intellection pourrait-elle encore être « comme la sensation », si toutes deux ne faisaient pas l’objet d’une même science ?
12h00–13h30 : Repas.
Après-midi : Sentiment et émotion (modératrice : P. Avez)
13h30–14h30 : Edouard Jolly, « Le sens de l’émotion. »
Anéanti par la menace d’une arme, je panique puis m’évanouis, au lieu de combattre ou dialoguer. L’émotion ne serait qu’un acte de fuite, vaine tentative de transformation du monde, résultat d’une faiblesse du penser face au sentir trop intense. Or, tout objet est appréhendé sur un fond émotif. Avec l’aide des écrits d’Anders, redéfinir cette attitude naturelle nous permettra de décrire le double sens, immanent et antagonique, de l’émotion. L’exemple de la peur illustrera sa portée morale et sociale comme sa fonction politique.
14h30–15h30 : Arnaud Bouaniche, « »Création signifie, avant tout, émotion » : la conception de l’émotion dans Les Deux sources de la morale et de la religion de Bergson. »
Au cœur du premier chapitre de son dernier livre, les Deux sources de la morale et de la religion (1932), Bergson affirme qu’« il y a des émotions qui sont génératrices de pensée ». Loin de ressortir à un quelconque romantisme s’abonnant à la puissance aveugle et vague du sentiment immédiat, un tel constat repose sur une conception originale et rigoureuse de l’émotion, elle-même conquise à la faveur d’une réévaluation des rapports entre la pensée et la sensibilité, ouvertement effectuée par Bergson en rupture avec toute une tradition intellectualiste repoussant l’affectivité en dehors de toute rationalité.
15h30–16h00 : Pause.
16h00–17h00 : Charlotte Murgier, « La pitié, connaissance sensible. »
La pitié révèle de façon exemplaire l’entrelacs de sensation et de pensée qui caractérise les émotions. S’il n’est pas de pitié sans cette réflexivité qui nous reconduit de l’autre, reconnu comme souffrant, à nous-mêmes, cette pensée est en même temps prise tout entière dans le sensible puisque cette reconnaissance, loin d’être vécue sur le mode de la contemplation désengagée, s’accompagne elle-même d’une affection. Il s’agira ici de réfléchir, notamment à partir d’Aristote et de Rousseau, sur la pitié comme forme de « connaissance sensible », dans laquelle sentiment de soi et perception de l’autre se répondent.
17h00 : Fin de la journée.