L’Occident des Temps Modernes a privilégié la représentation linéaire du temps. Sur cette ligne du temps qui continûment s’écoule, l’instant succède à l’instant, dans l’imminence d’un futur qui condamne rapidement le présent à devenir déjà passé. Dès lors, pour maîtriser ce temps qui passe et fuit, sous l’instance de la mélancolie, il a fallu inventer des systèmes de mémoire, des techniques de reproduction, des prothèses d’image. Ainsi est née, dans sa signification moderne, la culture, qui vise à rassembler la création humaine, à organiser la mémoire, à former l’héritage de la tradition.
S’il est vrai que la pensée critique s’est attaquée, depuis longtemps, aux limites et même aux dangers d’une telle entreprise, elle s’est cependant bien peu interrogée sur la relation que l’idée de culture entretient avec cette conception linéaire du temps. Répondant au souci de stabiliser le passé, de le conserver sous le signe de l’identité, et de le sauver au nom de l’esprit, la culture s’est finalement instituée comme un monde autonome, rationalisé, intellectualisé, idéalisé, dont la toute-puissance s’affirme davantage encore sous son visage contemporain – industriel, technique et institutionnel. La culture devient ainsi un péril pour ce qu’elle prétend transmettre, parce qu’elle méconnaît le sens de la finitude, laquelle, au coeur de l’expérience du temps et du monde, constitue le creuset de la vie des œuvres : la culture « oublie » en l’homme son essentielle dimension d’être mortel.
De fait, le temps n’est pas une ligne, mais un nœud : « le nœud de notre condition » (Pascal). Et, comme tel, le temps est une épreuve, une épreuve d’existence, dont la création, selon tous ses modes, tente d’assumer la construction symbolique. Seule l’imagination, liée à la reproduction bien comprise, permet d’entrer dans ce nœud, dans « la boucle du Temps artiste » (René Char). Seuls des moments d’œuvre, capables de lier le passé, le présent et l’avenir, sont en mesure de renouer la richesse de la mémoire au déploiement de la présence, en ouvrant le sens du devenir.
Rassemblant une quinzaine de textes, distribués en trois chapitres – « Fictions », « Reproductions », « Imaginations » –, cet essai souhaite contribuer tout ensemble à une critique de l’idée de culture, à une philosophie de la reproduction et à une éthique de l’œuvre.
Le Cercle Herméneutique – Collection Phéno
280 pages – 14 × 21 cm
ISBN 978-2-917957-32-5 – juin 2016