Il arrive qu’un auteur croie avoir raté une œuvre. Il arrive que le temps dévoile le génie de cet échec. C’est sans doute ce qui se révèle pour nous à l’égard de Rousseau juge de Jean-Jaques (1772-1776) : car s’il y a quelque chose d’intenable dans la stratégie énonciative compliquée de ce texte, c’est que Rousseau y affronte l’impéritie des formes disponibles, relativement à ce qu’il entend saisir de lui-même comme un autre dans le ressassement de la rumeur – soit le jugement de l’opinion publique à l’époque de sa coagulation historique. Si nous voulons saisir ce qui dans ce texte nous concerne aujourd’hui, nous devons nous rappeler que, pour leur auteur, rien de ce qui touche aux mœurs des nations n’échappe à la dimension du politique ; or si « trouver une forme qui exprime le gâchis » (Beckett) s’avère la tâche de l’artiste, tout essai authentique dans cette direction s’ouvre à l’épreuve de l’informe. Cependant la défaite recèle des trésors : lucidité du renonçant, privilège du silence et de la sécession. L’expérience du Promeneur solitaire s’ancre là où la perte vertigineuse de la communauté est radicalement convertie en savoir tragique de l’humain, savoir à la fois sans âge (celui du gnôthi seautón) et moderne absolument (Rousseau fut la conscience critique des Lumières).