L’affaire est entendue, et Karl Jaspers l’a résumée : Carl Schmitt fait partie avec Heidegger de « ces professeurs […] qui ont tenté de prendre intellectuellement la tête du mouvement national-socialiste ». Depuis lors, nonobstant, des contradicteurs distingués – Strauss, Löwith, Peterson, Kojève, Blumenberg, Habermas, Derrida… – ont discuté âprement ses thèses, souvent pour les rejeter, comme il en va avec tous les classiques intéressants, de Platon à Wittgenstein.
Aussi l’heure est-elle venue de « partir de Carl Schmitt », au double sens de reformuler des questions essentielles à partir de certains de ses travaux et de lui donner congé lorsqu’il ne nous aide plus à penser. Certains de ses concepts (le nomos de la terre, la constitution comme décision « existentielle »…) ou des concepts sur lesquels il a apposé son empreinte (le pouvoir constituant, l’État de droit « bourgeois ») éclairent différemment des questions telles que le rapport entre décision et rationalité ; l’enracinement des normes juridiques dans les institutions ; le statut de l’ordre constitutionnel et ses présuppositions ; les effets pervers du retour de la morale en politique internationale (droits de l’homme et démocratie forment-ils le couple uni que l’opinion dominante nous décrit ?).
Mais cette fécondité se heurte à une limite fondamentale : Schmitt est plus efficace pour penser des ruptures et des instaurations que pour décrire le fonctionnement normal de l’ordre juridique établi. À jamais, il demeure un penseur du dissentiment.
QUE FAIRE DE CARL SCHMITT ? [2011]. Première édition, 336 pages sous couv. ill., 125 x 190 mm. Collection Tel (No 387), Gallimard -étu. ISBN 9782070135417.
Parution : 17-11-2011.