L’édition minutieuse de la correspondance échangée entre Jacques Maritain et Louis Massignon[1] sur près de cinquante ans constitue une mine d’informations sur de nombreuses questions, et n’intéresse la philosophie ni exclusivement, ni même en premier chef. Mais les réflexions qu’elle contient, à quoi s’ajoutent les remarquables notes, mais aussi le liminaire clair et précis et les annexes qui aident à ressaisir les enjeux des questions abordées dans la correspondance proprement dite, font de ce livre un ouvrage propre à nourrir des interrogations philosophiques, interrogations auxquelles nous bornerons notre propos, mais qui n’épuisent en aucune façon la grande richesse de cet échange de lettres.
L’ouvrage est édité par trois grands connaisseurs des auteurs des lettres, des écrivains qui leur sont proches et du contexte social, spirituel et, plus globalement, intellectuel dans lequel fut rédigée cette correspondance. François Angelier, journaliste et essayiste, est spécialiste de la vie et de la pensée de Louis Massignon et d’auteurs catholiques des XIXe et XXe siècles. Michel Fourcade est professeur d’histoire religieuse et culturelle contemporaine à l’université de Montpellier, il préside le cercle d’études Jacques et Raïssa Maritain, après leur avoir consacré sa thèse mémorable (Feu la modernité ? Maritain et les maritanismes[2]) et de nombreux travaux. Il est également membre du comité de rédaction de la revue Nunc. René Mougel a enseigné la philosophie et édité de nombreux textes ; il a en particulier travaillé à l’édition des œuvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain et de leur correspondance (prolifique) avec le cardinal Journet.
La correspondance rend compte du dialogue dans lequel les désaccords ne sont pas absents, dialogue établi entre deux figures importantes. Louis Massignon, captivé par sa rencontre avec Huysmans converti qui lui inspirera en particulier son concept due substitution mystique[3], et marqué, peu avant le début de sa correspondance avec Maritain, par deux évènements centraux dans son existence et sa vie spirituelle. En effet, éduqué dans une famille clivée par la question religieuse, entre une mère pieuse qui lui fait méditer Ecole française de spiritualité et un père humaniste laïc, Massignon entame sa carrière d’orientaliste. Il découvre l’homosexualité[4] et la figure d’Hallâj, qui aiguise toute sa vie son attention d’l’islamologue et illumine sa ferveur mystique. Puis, à la suite de péripéties sentimentales et politiques, il doit rentrer, au milieu de l’hostilité générale, et connaît, en chemin, « la Visitation de l’Etranger » qu’on peut considérer comme la première étape de sa re-conversion au catholicisme. A son retour, il rencontre Charles de Foucault et Claudel. Il s’investira dans la préservation et la diffusion de l’héritage du père de Foucauld.
Jacques Maritain, petit-fils du député républicain Jules Favre, est élevé dans le protestantisme et se convertit avec sa femme de confession juive au catholicisme en 1906 sous l’influence de Léon Bloy, qui fut son parrain. Il est proche de Péguy et de Psichari. D’abord proche de l’Action française, dont il ne partage cependant ni l’antisémitisme, ni le nationalisme, il s’en détache après la guerre. En philosophie, il renouvelle l’étude du thomisme et développe les linéaments de ce qui sera la démocratie chrétienne.
Au cours des années durant lesquelles s’élabora leur correspondance, les deux épistoliers furent témoins voire acteurs des débats qui rythmèrent la vie politique, culturelle et religieuse qu’ils traversèrent. Tous deux, profondément catholiques, entretiennent une dévotion particulièrement intense à l’égard de Marie et considèrent celle-ci comme « l’unique voie, la grande médiatrice pour toucher le cœur de Dieu, la Vierge de la Salette en réalisant la figure élue. Sa dévotion ne va cesser de scander cette correspondance »[5]. Aussi prient-ils en commun le 19 septembre, jour anniversaire de l’apparition. Ils se réfèrent d’ailleurs très régulièrement à l’apparition de la Salette et ce qui y a trait. Maritain adresse ainsi à Massignon les lignes suivantes :
« pour moi, c’est de plus en plus autour de la Salette que se concentre la vie de mon âme. Il me semble qu’il y a dans les larmes de Marie sur notre terre de France un mystère qui répond au Consummatum est du Calvaire, et qui est aussi infiniment vaste et inscrutable »[6].
Mais la dévotion à la vierge de Salette est surveillée par le Vatican qui interdit toute interprétation ou glose à tout va du secret[7].
Le millénarisme salettin ou l’interprétation du sens et de la fin de l’histoire
Ce qui est frappant dans cette correspondance c’est l’importance capitale que les penseurs, partageant une foi, une vision de l’histoire et une démarche intérieure, accordent à l’apparition mariale à La Salette, qui leur sert de fondement pour interpréter le sens de l’histoire. Cette spiritualité, comme le notent les éditeurs, « conjoint le millénarisme catholique joachimite et montfortain[8] »[9] associé à l’ascèse et à une certaine forme de dolorisme. Tous deux sont d’accord avec l’idée défendue par Léon Bloy que « Dieu va parler par les faits »[10]. Ils défendent croient donc, d’une certaine façon, qu’on peut trouver dans les événements historiques – aussi chaotiques qu’ils semblent être – un matériau à l’aide duquel comprendre ou interpréter la volonté de Dieu – celle-ci n’étant plus, dès lors, seulement donnée décelable à partir d’une exégèse appropriée des textes saints. Ainsi Maritain écrit-il :
« La Salette n’est pas que du passé, comme le croit Claudel, c’est la clef du présent et de l’avenir, la clef de l’abîme. (…) le monde et tout ce qui a une place dans le monde va subir l’immense ébranlement dont se réjouit le magnificat, et entrer dans le secret de la Justice divine »[11].
Maritain écrit également que la Salette est « la clef du présent et de l’avenir, la clef de l’abîme. Rien ne me paraît plus tragique que le silence imposé désormais sur le Secret. Il n’est plus temps de parler, Dieu va agir »[12]. Et Massignon accorde tant de crédit et de valeur à l’apparition de la Salette qu’il va jusqu’à prier Mélanie Calvat[13].
S’ils essaient de déceler le sens de l’histoire voulu par Dieu, quel sens réussissent-ils à découvrir ? Maritain reprend l’expression de Massignon d’ «échec de la Croix »[14] qu’il comprend comme une reprise de la formule bloyenne de « faillite de la Rédemption ». Le Saint-Office critiquait cette formule qui laissait penser que Dieu n’avait pas réussi son entreprise de Salut et y décelait une forme de l’hérésie joachimite. Maritain justifiait l’emploi de cette formule en expliquant que Bloy n’avait voulu parler que d’une « faillite apparente de la Rédemption », « dans l’ordre de l’histoire temporelle de l’humanité »[15], non d’une faillite réelle.
Massignon de son côté voit la Première guerre mondiale, et la situation géopolitique qui en résulte, dans la perspective de la substitution qui est la sienne, comme l’expiation de l’impérialisme européen :
« la démence surnaturelle de la situation mondiale m’épouvante : c’est l’expiation de la Chrétienté, qui, depuis quatre cents ans, n’a cherché qu’à exploiter le monde entier pour embellir son corps, – et avilir son âme. Le voici qui s’entredéchire, et tous les braves cœurs que nous avons connus sont morts ou train de mourir. Et le monde nouveau qui se lève est encore un peu plus vil que celui où nous sommes nés »[16]. Et Maritain partage ce constat, lorsqu’il écrit « c’est l’expiation de la chrétienté depuis quatre cents ans adultère »[17] et « la terre sera comme un désert »[18].
Autrement dit, la souffrance qui frappe de plein fouet le monde dans le tonnerre du premier conflit mondial apparaît comme voulue par Dieu, et, d’une certaine manière, rédemptrice. Elle vaut comme l’expiation de l’orgueil européen qui s’est arrogé, depuis la Réforme, la domination et l’exploitation du monde, tout en restant sourds aux imprécations et aux recommandations non seulement de l’Église, mais de Marie elle-même, qui s’est adressée aux hommes à La Salette. C’est pourquoi ils trouvent le sens de l’histoire – dans une perspective qui en fait une partie de l’histoire sainte – dans la volonté de Dieu qu’ils déduisent de la conformité des événements réels aux annonces qu’ils croient être celle de marie 60 and plus tôt.
Obéissance, grâce et sainteté
Il y a chez les deux correspondants un souci, un effort pour vivre catholiquement et pour traverser les épreuves qui ponctuent leur existence le plus chrétiennement possible. Cela transparaît dans les deuils qu’ils doivent mener (Massignon perd un fils assez jeune, tous deux perdent un père spirituel vers la fin de la Première Guerre mondiale, le père Charles de Foucault pour Massignon, Léon Bloy pour Maritain, des connaissances pendant les combats qui déchirent l’Europe au moment des guerres mondiales, etc.), mais également dans des préoccupations plus quotidiennes, comme en témoigne l’échange de lettres sur la perte de motivation et l’excès de travail qu’évoque Massignon et à propos desquels répond Maritain[19]. Cela transparaît de façon assez émouvante dans l’attitude de Massignon pendant la première guerre mondiale, comme il s’en ouvre alors à Maritain :
« je me bats toujours contre moi-même pour organiser plus solidement ma vie chrétienne et être ainsi mieux à même de faire du bien »[20].
Il expose même à Maritain les raisons pour lesquelles il s’est engagé dans la troupe plutôt que de rester relativement en marge des combats (quand il était à l’état-major) – choix que sa famille ne comprend pas :
« Non, je n’en ai pas trop fait, en venant dans la troupe, – et si, dans ce temps de douleurs Notre Seigneur Jésus revenait sur la terre, Il choisirait d’être un de ces pauvres soldats de France, Lui qui nous aima jusqu’à la pauvreté et à la Croix. Non, il ne m’en veut pas d’avoir été de l’avant, vers Lui. Personne ne m’aidait pour faire tout mon devoir, – et il a bien fallu que je me serve seul de cette liberté terrible de choisir mon sort, – liberté qu’Il me laisse si souvent entière pour que je m’en serve, -option, vocation, – avant laquelle je sue toutes mes lâchetés, – et que je n’étreins ensuite qu’avec une crainte sacrée. Me voici de nouveau un de vos pauvres, Seigneur, plus que jamais pauvre de moi-même, de ma femme, de mon fils, pauvre de mon pays, pauvre de l’Église dans le silence suspendu de son Pasteur »[21].
La vie dans la troupe fait éprouver à Massignon la force d’évidence des critères matthéens sur lesquels repose le Jugement dernier :
« cette vie ensemble constamment à l’ombre de la mort imminente m’a fait comprendre un peu ce que serait le Jugement Dernier, les actes si simples (…) sur lesquels il portera pour beaucoup. « Tu ne m’as pas donné à boire, tu ne m’as pas aidé à me relever… », ce sont là des actes si ordinaires, – et pourtant, il est vrai : comme le disait S. Jean « celui qui n’aime pas son prochain qu’il voit (sous ses yeux, peinant et luttant, appelant à l’aide), comment peut-il aimer (vraiment) Dieu qu’il ne voit pas » ? »[22]
Dans le combat, explique Massignon, on comprend plus véritablement l’importance littérale des gestes évangéliques, qu’on aurait tendance, dans un autre contexte à lire plus métaphoriquement. L’expérience du Front est une expérience de foi pour Massignon qui voit dans les hommes avec lesquels il partage son existence ces prochains auxquels il faut être attentifs parce que l’attention qu’on leur porte, c’est à jésus qu’on la porte. Le Poilu est ici une figure de Jésus, et la solidarité et la proximité qui le lie avec ses frères d’arme, prend aux yeux du penseur une dimension profondément et authentiquement religieuse.
Christianisme, judaïsme et islam
Il est intéressant de noter que, bien que profondément catholiques, ces deux correspondants veulent ouvrir le dialogue et relever la dignité de certains croyants que – dans leur propre camp – on malmène et on bafoue. Ainsi Jacques Maritain se fit-il tôt connaître par sa défense du judaïsme, fidèle, en cela aussi, à l’héritage de son parrain, et son combat farouche contre l’antisémitisme – qui lui valut quelques ennuis. De son côté, c’est l’islam, ou plutôt un certain dialogue avec l’islam que Massignon défend, dans l’héritage, cette fois, du père Charles de Foucault. Les deux auteurs s’entretiennent longuement de leurs projets et de leurs tentatives dans leur correspondance.
Massignon fait relativement tôt part à Maritain de sa découverte du martyr al Hallâj, qu’il considère comme une sorte d’ « imitation de Jésus »[23]. Il écrit de celui qu’il nomme « cet amant de la Croix que la Croix a mené, lui infidèle, jusqu’au cœur du Crucifié »[24] à Massignon :
« j’ai une question qui m’angoisse, c’est celle de ce martyr arabe al Hallâj, que je crois humainement être un saint particulièrement aimé de de N.-S., – et dont j’aurais tant désiré, depuis 9 ans, avancer la canonisation »[25].
A travers cette figure, il pressent quelque chose comme un lien entre le catholicisme et l’islam :
« Hallâj tire du mysticisme désordonné des musulmans quelques thèmes qu’il pratique et qu’il prêche : le vrai Paraclet n’est pas Mahomet, c’est l’Esprit Saint qu’il faut attirer dans nos âmes par la pauvreté et la chasteté absolue, cet Esprit saint dont est né « Jésus fils de Marie ». Il prêche la mors sui ipsius, et qu’il faut obéir à la Loi divine jusqu’à la mort. Il prêche le retour imminent du Christ pour le Jugement. Prédit sa mort en disant au peuple qu’il le fera mettre à mort ; on lui répond quis vult eum interficere ? – Il prie, disant à Dieu qu’il voudrait être anathème, pour que ses ennemis (qui veulent sa mort) fussent sauvés »[26].
Et note un certain nombre de convergence entre le martyr du fidèle musulman et la Passion du Christ : le fait qu’al Hallâj se soit tu devant ses juges, comme Jésus devant Hérode, qu’il défende l’idée que la contrition du cœur vaut tous les pèlerinages et les cultes extérieurs, que le don de ses richesses aux pauvres, la prière et le jeûne sont essentiels dans la vie du croyant, indépendamment du symbole de la religion instituée (le Temple pour Jésus et la Kaaba pour al Hallâj, etc.[27].
Massignon consacre l’essentiel de sa carrière intellectuelle à l’islamologie et à l’étude des religions. Il est professeur au Collège de France de 1926 à 1954. Et son échange épistolaire avec Maritain est aussi l’occasion de réflexion conceptuelle autour de la mystique. Et c’est en particulier le cas lorsqu’il critique la conception de la mystique défendue par Heiler[28], historien et philosophe des religions qui a notamment travaillé sur la prière et la mystique bouddhiste. Cette réflexion sur la mystique est bien au cœur de son parcours intellectuel et spirituel comme il l’admet quand il dit : « renoncer à expliquer le sentiment religieux (mot tellement insuffisant de Bremond), et en faire l’axe de la mystique, cela embarque dans un relativisme nominaliste, dans un historicisme agnostique »[29], pour qualifier le cheminement de ses recherches.
Plus tard, après la Seconde Guerre mondiale notamment, Massignon œuvrera en faveur des musulmans colonisés, en particulier par la France, comme il en témoigne dans une lettre à Maritain :
« je lutte ici pour un redressement de la politique française (et catholique) à l’égard des arabes musulmans. (…) Je l’ai dit à Ch. De Gaulle (…) Un chrétien ne peut accepter d’être le tampon de chloroforme qui insensibilise le malheureux qu’on veut mettre à mal, et détrousser »[30].
Son engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie lui coûtera un œil. Son combat contre le colonialisme se poursuit jusqu’à sa mort, et la correspondance avec Maritain montre le passage d’un engagement politique effectif et concret né d’une réflexion théorique sur la religion à partir de l’étude de la mystique. Ainsi trouve-t-on au début des années 1960 ces renseignements :
« j’ai présidé au nom des amis de Gandhi, le 2 avril, le meeting de protestation contre les cruautés sud-africaines de Sharpeville et Langa. Et, avec Gabriel Marcel, je ferai partie du groupe qui ira silencieusement se recueillir, le 30 avril prochain, devant le « camp des assignés à résidence » de Vincennes. – Je ne puis vraiment plus supporter cette algérianisation de la métropole où l’on installe des camps de concentration et des coins discrets pour ce « détecteur de vérité » qui s’appelle la torture. – Mais le peuple ne se réveille pas.
Je crois que c’est pourtant en réclamant un statut légal pour l’objecteur de conscience avant la fin de la guerre qu’on arrivera à réveiller le pays. Mais la lâcheté de la Hiérarchie est ignoble »[31].
Il devient apôtre de la non-violence et s’inspire de Gandhi dont l’exposé sur la doctrine du Satyahraha, donné par Massignon en 1921 et publié dans un ouvrage de Maritain, est reproduit au titre de l’Annexe II. L’analyse de Massignon lie cette non-violence à un certain mode de poursuite de la vérité (il traduit en effet Satyahraha par « l’étreinte indéfectible de la vérité »), dans lequel on s’interdit toute violence envers son adversaire. Ce dernier, en effet doit être « sevré » de son erreur par la patience et la sympathie, « car ce qui apparaît à l’un comme étant la vérité peut apparaître à l’autre comme une erreur. Et la patience signifie souffrance volontaire. Ainsi la doctrine en vint à signifier revendication de la vérité, non point en infligeant des souffrances à l’adversaire, mais à soi-même »[32].
Le Satyagraha diffère de la résistance passive, car elle exclut la violence absolument, comme l’illustrent des exemples célèbres, dont Daniel qui souffre le châtiment de sa désobéissance, comme Socrate. Cette règle apparaît d’une certaine façon comme l’extension de ce qu’on fait dans la famille à la vie politique :
« le membre à qui l’on a fait du tort a tant d’affectueuse attention pour les autres membres qu’il supporte ce tort en faveur de ses principes, sans se venger et sans s’irriter contre ceux qui sont en différend avec lui. »[33] Aussi le Satyagraha est-il une action toujours telle qu’elle promeut le « bonheur commun de la famille »[34].
Il joint la défense de la vérité et le respect le plus absolu du prochain à qui la persévérance dans la défense de la vérité doit servir de source d’étonnement et remettre en cause ce qu’il prenait, par erreur, pour la vérité. Comme l’expose Massignon, « nul ne met en question la nécessité de défendre intégralement la vérité quand on la voit. Et il est assez facile de comprendre qu’il est grossier d’essayer de contraindre l’adversaire à l’accepter en usant de la force brutale ; qu’il est déshonorant de se soumettre à l’erreur, parce que nos arguments n’ont pas réussi à convaincre, et que la seule conduite vraie et honorable est de ne point s’y soumettre fût-ce au prix de sa vie. Alors seulement le monde peut être purgé de l’erreur, si jamais il peut l’être entièrement. »[35]
Par ailleurs, sa défense des musulmans éprouvés et exploités – Maritain parle à ce propos de « cette soif de justice [qui] s’étendait à tous les hommes et à tous les persécutés »[36] – va de pair avec un refus de l’Etat d’Israël, aux dépens des Palestiniens, au motif théologique que les musulmans honorent le personnage de Marie, à la dévotion de laquelle est particulièrement attaché, tandis que le judaïsme, et en particulier le Talmud, la diffamerait comme il l’explique à Maritain :
« de plus en plus, je « réalise » combien la personne même de Notre-Dame oriente et orientera de plus en plus les évènements religieux des « derniers temps ». Le drame palestinien, par exemple ; Muhammad et l’islam arabe sont les seuls sémites « abrahamiques » à avoir témoigné de la pureté de l’Immaculée, publiquement et traditionnellement, aussi ont-ils le droit de rester en Terre Sainte. Tant qu’Israël, et surtout le Sionisme, n’auront pas réhabilité « nationalement » Notre-Dame, cette jeune fille juive de 15 ans, la Fleur suprême de l’humanité, du blasphème l’accusant d’adultère avec le romain Panthera (blasphème repris de Celse et du Talmud[37]) (…) – il est impossible que des catholiques conscients de l’honneur de leur Mère laissent un Etat sioniste se créer sans qu’il ait réhabilité Notre Dame en Palestine »[38]
De son côté, J. Maritain a toujours défendu le judaïsme (religion dans laquelle sa femme est née), même quand il était à l’Action Française. Il combat même l’antisémitisme nazi dès le milieu des années 1930. Et il est choisi par le Vatican pour rédiger un rapport sur le sionisme à Pie XI en 1925, repris au titre de l’Annexe I dans ce volume. On y lit, bien avant la naissance de l’État d’Israël, une attention soutenue à l’endroit du sionisme en train de se réaliser, et, plus fondamental, peut-être, le nécessaire intérêt que doit prendre un catholique à cette entreprise de renaissance d’Israël. Maritain, en effet, y écrit :
« Je ne crois pas qu’il soit possible à un catholique de se désintéresser de la question ; en dépit des avis de beaucoup de gens qui se croient sages et malgré toute sorte de difficultés, il semble bien que le mouvement sioniste est destiné à triompher en Palestine. Il y a là un phénomène historique de la plus haute gravité, où sont mobilisés (dans des fins pour le moment toutes terrestres et nationales) des forces spirituelles, une énergie, parfois même un héroïsme digne d’admiration. Israël renaît. Il paraît difficile de nier la légitimité de cette renaissance nationale ; d’autre part, pour nous, il est capital de savoir si cette nouvelle formation ethnique sera ou non absolument fermée dès le principe à toute pénétration de la foi du Christ. Enfin, on peut voir dans ces événements un accomplissement remarquable des prophéties qui commande le respect et la plus grande attention. »[39]
Une nouvelle fois, ces lignes témoignent de l’importance que Maritain attache au sens que doit prendre un événement, c’est-à-dire presque moins à la réalité historique en train d’advenir qu’à ce qu’elle serait susceptible de signifier dans la perspective du plan divin, dont les événements ne seraient que des traces ou des indices.
La « correction fraternelle »[40] à l’œuvre
Cette riche correspondance met donc au jour des désaccords entre les épistoliers, désaccords qui permettent de voir l’élaboration d’un certain nombre des thèses que ces penseurs soutiendront durant leur existence. Ainsi Maritain envoie-t-il à Massignon qui la relit sa conférence « De quelques conditions de la renaissance thomiste » qui constituera le troisième chapitre d’Antimoderne en 1922. Maritain y évoque celui qu’il appelle « l’un des génies responsables des maux que nous souffrons, j’ai nommé Descartes, notre cher ennemi ? »[41] Massignon critique la formule de Maritain selon laquelle « toute sa vie il (Descartes) a rendu à la Physique un culte de lâtrie ? »[42] ainsi qu’une attaque contre Bérulle. Il met également en doute l’affirmation de Maritain selon laquelle « Descartes a été condamné par l’Église, alors que le décret de 1663 est une simple mise à l’index de certaines de ses œuvres »[43], tout comme il regrette la formule de Maritain par laquelle il « loue le « puissant » Cajetan »[44]. Il en résulte finalement que Maritain reprendra des remarques de Massignon dans Antimoderne : le « culte de lâtrie » est corrigé en « culte amoureux », il nuance sensiblement son approche de Bérulle, mais la mention de mise à l’index de 1663 n’est pas amendée.
A l’inverse – et dans un tout autre registre – Maritain invite son correspondant à
« noter le danger de certaines confusions auxquelles pourrait prêter une insistance exclusive sur le mot d’obéissance. Rien n’est plus périlleux que la confusion de formalités essentiellement distinctes dans l’Église (comme par exemple la confusion de l’office du Prêtre et de l’état du Religieux, vers laquelle penchaient M. Olier et de nos jours Dom Gréa)[45]. Il y a une certaine conception courante de l’obéissance au directeur qui tend à confondre l’esprit d’obéissance avec le vœu d’obéissance, l’état du laïc sous son directeur avec l’état du religieux sous son supérieur, la docilité filiale à recevoir un conseil avec l’exécution militaire d’un commandement, et finalement à diminuer pratiquement dans les âmes le ressort de la conscience (ne m’appelez pas pour cela protestant ou rousseauiste je vous prie), voire à tenter la Providence, s’il est vrai qu’il y a témérité à remplacer par des moyens apparemment tutioristes les voies qu’elle a déterminées pour chacun de nous selon son état et sa condition[46]. Tout cela, je n’ai pas besoin de le dire, ne vous vise pas personnellement, mais vise les dangers d’une application trop univoque et trop raide des préceptes du P. de Foucauld aux âmes que vous groupez sous sa règle »[47].
En effet, ce que pointe du doigt Maritain dans la conception que Massignon se fait du prêtre, c’est la confusion entre la sainteté de la vocation de prêtre et la sainteté de l’existence, la seconde n’étant pas nécessairement la conséquence de la première. Et pour Maritain, c’est aussi l’occasion d’insister sur l’idée de sainteté à la portée de chacun, indépendamment du sacrement de l’ordre qui n’est le fait que de quelques-uns. De même, s’il y a dans les ordres le plus souvent un vœu d’obéissance à son supérieur dans l’ordre, qui consiste à ne pas contrarier ce qu’il nous demande de faire, cela ne peut ni ne doit équivaloir à une soumission complète de l’esprit à l’égard de celui qui nous dirigerait dans la vie religieuse. Maritain, bien au contraire, fait éclater l’importance que revêt dans la vie spirituelle et religieuse de chacun, fût-il moine, sa conscience éminemment libre, sans pour autant soutenir les positions de la religion naturelle défendue par le Vicaire savoyard de l’Émile de Rousseau, ni le primat absolu de la conscience et le rejet de l’autorité dans le libre examen comme dans le Réforme[48].
Aussi Maritain redoute-t-il que Massignon confonde son sentiment de dépendance très fort à l’égard de l’Église – qui est très catholique et positif – avec l’idée d’un rejet de ce que l’Église appelle le modernisme et qui touche aussi bien à l’exégèse qu’à la science ou à la philosophie de la philosophie, modernisme qui voit dans l’usage exclusif de la raison, le rationalisme un adversaire irréductible de la foi. Maritain promeut un renouvellement du thomisme et défend la thèse que la foi n’est, dans le sillon de Thomas, pas contraire à la foi et qu’on peut – et qu’on doit même – essayer de vivre sa foi conjointement à l’exercice de la raison :
« Vous avez, écrit encore Maritain, le sentiment très profond de la dépendance nécessaire de chacun de nous à l’égard de la sainte Eglise, sentiment qui est le fruit des vertus infuses, et dont vous devez rendre grâce au Saint-Esprit. Et c’est bien à cause de ce sentiment que vous insistez sur l’obéissance au directeur. Mais avez-vous assez réfléchi sur un moyen tout aussi nécessaire d’assurer cette dépendance, je veux dire sur la profonde docilité intellectuelle qui doit disposer notre âme à se nourrir de la sagesse de l’Eglise ? N’avez-vous pas une certaine défiance à l’égard de l’abstraction philosophique, qui vous tient trop éloigné de la doctrine de saint Thomas, où l’Eglise nous commande expressément d’aller chercher le salut de nos intelligences ? Il ne suffit pas de l’admirer et de le respecter de loin. Je suis persuadé que les intelligences modernes, quelques dons qu’elles aient reçus dans l’ordre surnaturel, ne peuvent pas se garder dans l’équilibre sans la théologie de l’Eglise, celle qu’elle prescrit, dans son Code, à ses maîtres d’enseigner. Il n’est pas dans l’ordre qu’un esprit aussi puissamment et complexement doué que le vôtre ne se nourrisse pas habituellement de saint Thomas, ne serait-ce qu’en lisant la Somme cinq minutes chaque jour. Vous risqueriez sans cela de donner trop à cet esprit de constructivité subjective que le lait de la Sorbonne et de l’éducation moderne a mis dans nos veines, hélas. »[49]
Contre la position qu’il prête à Massignon de rejeter la raison en rejetant le rationalisme, Maritain engage ce dernier à une lecture des œuvres de Thomas d’Aquin qui réconcilie foi et raison.
Conclusion
Ainsi l’édition de cette correspondance entre deux grands penseurs qui demeurent actuels, bien qu’ils ne soient pas sous les feux de la brûlante actualité éditoriale ou universitaire, permet non seulement de bien mieux comprendre l’époque dans laquelle ils ont vécu et les mutations internes au catholicisme de cette époque et dont l’Église garde trace de nos jours, mais également d’entendre les échos des questionnements spirituels, sociaux, artistiques ou politiques qui résonnent encore, quoique plus timidement, aujourd’hui. Il serait impardonnable d’oublier de signaler que la grande qualité des notes et du liminaire est extrêmement utile à la bonne intelligence du propos dense des écrivains.
[1] Jacques Maritain et Louis Massignon, Correspondance, 1913-162, Desclée de Brouwer, 2020.
[2] Michel Fourcade, Feu la modernité ? Maritain et les maritanismes, Arbre Bleu édition, 2020.
[3] Massignon, à la suite de Huysmans, considère la douleur de certains comme l’expiation des péchés d’autres. De cette façon, certaines personnes élues sont vouées à la réparation des égarements et des fautes des autres. C’est notamment dans Sainte Lydwine de Schiedam que Huysmans développe ce thème. Ce livre est une hagiographie de sainte Lydwine, déjà présente dans En route, canonisée en 1890, dont l’auteur perçoit la vie comme une souffrance abominable grâce à laquelle elle soulage les autres et trouve une forme de joie. Dans le cercle de celle que Massignon considère comme des figures expiatrices propres à la piété, on retrouve, durant la correspondance, Armelle Nicolas, Lydwine de Schiedam, Anne-Catherine Emmerick ou Violet Susman.
[4] Où s’originent sa « Prière pour Sodome », ses démarches auprès du Vatican en faveur d’une prière spécifique pour les homosexuels et la création d’une messe « Pour Sodome ». Les allusions au retour harcelant de désirs homosexuels ne se font jamais chez Massignon, sur un mode explicite mais selon un vocabulaire de symboles, dont il usera toute sa vie : « tentation », « méditation morose des délectations défendues », « souvenirs », « mer morte »
[5] Jacques Maritain et Louis Massignon, Correspondance 1913-1962, Desclée de Brouwer, 2020, Liminaire, p. 29.
[6] Ibid., Lettre 34, p. 103.
[7] En effet, suite à des publications millénaristes des milieux « mélanistes » et aux attaques portées contre l’épiscopat, un décret du saint Office prohibe le 21/12/1915 toute discussion du « secret » de Mélanie. Cette décision sera longtemps commentée dans l’opinion catholique française.
[8] Louis-Marie Grignion de Montfort partage avec Maritain et Massignon l’idée d’un millénarisme instigué par Marie. Il écrit ainsi par exemple : « quand viendra cet heureux temps où la divine Marie sera établie maîtresse et souveraine dans les cœurs, pour les soumettre pleinement à l’emprise de son grand et unique Jésus ? Quand est-ce que les âmes respireront autant Marie que les corps respirent l’air ? Pour lors, des choses merveilleuses arriveront dans ces bas lieux, où le Saint-Esprit, trouvant sa chère Épouse comme reproduite dans les âmes, y surviendra abondamment, et les remplira de ses dons » (Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Œuvres complètes, publiées sous la direction du P. Marcel Gendrot, Paris, Seuil, 1966, p. 634-635).
[9] J. Maritain, L. Massignon, Correspondance, op. cit., p. 28
[10] Ibid., Lettre 29, p. 90.
[11] Ibid., Lettre 43, p. 123.
[12] Ibid.
[13] Ibid., Lettre 35.
[14] Ibid., Lettre 29, p. 90.
[15] Ibid., note 3.
[16] Ibid., Lettre 51, p. 139.
[17] Ibid., Lettre 52, p. 141.
[18] Ibid., Lettre 52, p. 142.
[19] Massignon écrit ainsi : « celui qui regarde trop son travail perd de vue Celui pour qui il travaille, – et que celui qui regarde Celui pour qui il travaille, perd de vue son travail (…) Où sont ces heures bénies où tout travail m’était comme une extase de la présence divine ? Je fais corps, comme le mineur courbé, – avec le filon noir que j’exploite, – et il faut toute la miséricorde divine pour me rappeler que le Seigneur n’est pas seulement le Maître du chantier des Six jours, – mais l’Ami et l’Époux du Septième. Dans ces heures de totale impuissance, – l’âme crispée se dénoue (malgré le corps malade) et se détend en Dieu avec une confiance filiale (d’enfant prodigue !) « Apprends-moi, Père, – à bien passer ce moment avec Toi » puisque tu me retires des mains le mauvais travail qu’elles besognent » (Ibid., Lettre 3, p. 46) et développe l’idée qu’on ne s’adresse pas à Dieu « dans la vie ordinaire et dans la bonne santé ». Maritain lui répond alors, comme pour le conseiller, attitude qu’il prendra encore un certain nombre de fois dans la suite de la correspondance : « Il me semble que vous cherchez trop, que vous êtes trop préoccupé d’une foule de questions, que vous voulez trop établir vous-même et par un effort conscient l’ordre dans votre âme et dans votre vie. Nous ne faisons jamais rien de bon par nous-mêmes. (…) Dieu habite en nous, il est là, il agit en nous, il saura bien faire Lui-même l’ordre en nous si seulement nous faisons le silence en nous pour être attentifs à sa présence : cela, et rien de plus. / Il me semble que vous confondez le mérite avec l’effort. C’est la charité et non la peine, qui fait seule le mérite. Il ne s’agit pas de faire systématiquement ce qui nous déplaît, pas plus que de faire ce qui nous plaît. Il s’agit de nous perdre de vue, pour regarder Dieu seul. Il n’y a rien de bon à gagner, il n’y a qu’à perdre, à nous regarder nous-mêmes et à nous analyser. La Sainte Vierge a mérité plus que tous les chrétiens, et Elle avait sa joie à suivre la volonté divine. » (Ibid., Lettre 4, p. 50). Comme exemple de l’attitude de conseiller de Maritain, on peut aussi lire ce qu’il écrit à Massignon : « Prenez garde à ceci, qu’à force de vous haïr vous-même et de vomir votre vie, vous risquez d’être beaucoup trop occupé de vous-mêmes. Ce n’est pas ne tapant sur le moi qu’on en vient à bout, on le durcit seulement. C’est en le supportant, – en l’aimant d’un amour de charité comme cela nous est commandé, – et en laissant faire Dieu » (Ibid., Lettre 142, p. 293).
[20] Ibid., Lettre 30, p. 91. Massignon se compare dans la lettre 32 à Grignon de Monfort
[21] Ibid., Lettre 38, p. 114. L’allusion au silence du Pasteur renvoie au « silence » de Benoît XV dont on incriminait la neutralité politique pendant la Grande Guerre.
[22] Ibid., Lettre 42, p. 120.
[23] Ibid., Lettre 35, p. 106.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] Ibid., p106-107. De même le khalife qui juge al Hallâj, comme Pilate hésite, et tous deux s’autoproclament « Vérité » (Ibid.).
[28] Voir par exemple : « de ce qu’un ensemble de termes techniques « mystiques » apparaît comme philosophiquement coordonné, – cela ne suffit pas pour qu’il constitue in se une échelle permettant de cambrioler la Réalité. Heiler s’évertue à nous énumérer tous les superlatifs décrivant positivement le nirvana pour les bouddhistes. Toute la question reste de savoir si cet admirable état « théorique » a pu « déifier » immortaliser réellement quelqu’un (on en peut douter quand on se souvient que la métaphysique bouddhiste, dont Heiler ne souffle mot, nie l’existence de la personnalité) (…) Heiler met l’accent, avec émotion et péril, sur la piété et la prière. Son œuvre est une sorte de philosophie affective de la religiosité, de polygénisme du piétisme (cf. Martin Buber). Or, dans la religion, ce qui importe, ce n’est pas le désir du salut, c’est la personne du Sauveur. Et, bien qu’Heiler supprime les sacrements, il devrait encore comprendre que ce n’est pas l’élan déprécateur [sic] qui importe, c’est la réalité de la grâce divine, c’est Dieu » (Ibid., Lettre 232, p. 429).
[29]Ibid., dans « L’amitié et la présence mariale dans nos vies », en 1948 et donné à lire au titre de l’annexe III, p. 855.
[30] Ibid., Lettre 373 du 5 octobre 1945, p. 629.
[31] Ibid., Lettre 476 du 15 avril 1960, p. 813.
[32] Ibid., Annexe II, p. 845.
[33] Ibid., p. 846.
[34] Ibid., p. 847.
[35] Ibid., p. 848.
[36] Dans « Témoignage », l’article qu’il consacre à Massignon dans le numéro du Cahier de l’Herne qui lui est consacré en 1970, et qui est proposé dans l’ouvrage à titre d’annexe IV (Ibid., p. 857).
[37] Selon ce thème classique de la polémique antichrétienne, Jésus serait le fils adultérin de Marie et d’un soldat romain.
[38] Ibid., Lettre 387, p. 651-652.
[39] Ibid., Annexe I, p. 839. Rappelons que Maritain œuvra beaucoup pour que change l’attitude officielle de l’Église à l’égard du judaïsme, en particulier lorsqu’il fut ambassadeur de France auprès du Saint Siège et qu’il contribua à changer la prière du vendredi saint, où il était question de la « perfida judaica », sous le pontificat de Jean XXIII.
[40] Ibid., Lettre 138, p. 286.
[41] Jacques Maritain, Religion et culture, Desclée de Brouwer, Paris, 1930, p. 41-42.
[42] J. Maritain et L. Massignon, Correspondance, op. cit., Lettre 70, p. 173.
[43] Ibid.
[44] Ibid.
[45] On lit en note : « Par delà les vues sur le sacerdoce développées par M. Olier ou Dom Gréa, Jacques Maritain élargit son grief à la théologie du sacerdoce héritée de l’Ecole française de spiritualité (Jean-Jacques Olier et le cardinal de Bérulle) : dans le but méritoire d’appeler les prêtres à la sainteté, elle avait confondu à ses yeux la sainteté de la fonction sacerdotale elle-même avec la sainteté existentielle recherchée par les religieux, dans une vie consacrée par une règle et des vœux. En 1971, il écrit dans « à propos de l’Ecole française » : « Bérulle s’est trompé et gravement trompé en exaltant la sainteté de l’état de vie dans lequel le sacrement de l’ordre constituerait celui qui le reçoit. Affirmer l’éminente perfection à laquelle le prêtre est appelé pour exercer sa fonction d’une manière complètement accordée à ce qu’elle demande, à affirmer l’éminente perfection de l’état de vie qui lui serait conféré en même temps que les pouvoirs sacramentels, il n’y a pour Bérulle qu’un imperceptible pas, et qu’il franchit avec allégresse. (…) L’Ecole française a rendu un immense service à l’Eglise en insistant avec un zèle admirable sur la sainteté à laquelle le prêtre a le devoir de tendre. Le service ainsi rendu ne pouvait cependant être que d’une durée limitée, parce qu’il était trop ambigu, et pour promouvoir un grand bien s’aidait de nombre d’idées fausses. Le grand reproche qu’on peut lui faire, c’est d’avoir procédé à une sublimation illusoire du sacerdoce par méconnaissance de sa vraie grandeur » » (Ibid., p. 287-288).
[46] « S’opposant au XVIIe siècle à la tendance « probabiliste » accusée de laxisme, la tendance « tutioriste » avait défendu une conception de la loi morale extrinsèque et rigoriste, court-circuitant l’autonomie et le travail de délibération de la conscience » (Ibid., note 4, p. 288).
[47] Ibid., lettre 138, p. 286.
[48] Rappelons que Luther est, aux yeux de Maritain un des « Trois réformateurs » (Luther, Descartes, rousseau) qu’il rend responsables de la modernité dans ce qu’elle a de plus négatif. Cf Jacques Maritain, Religion et culture, op. cit., p. 27.
[49] J. Maritain et L. Massignon, Correspondance, op. cit., lettre 138, p. 286-287.