L’Allemagne fut le haut lieu paradoxal du judaïsme moderne. De Mendelssohn à Rosenzweig et Buber, il n’est aucun autre espace culturel comparable où l’on puisse constater une pareille efflorescence de la culture juive. Certes, Scholem a eu raison de croire à une possible symbiose judéo-allemande, mais en dépit du statut particulier accordé aux Juifs, les grands bouleversements modernes de l’histoire juive ont tous eu lieu dans l’espace germanophone. Hermann Cohen cherche, au début de la Première Guerre mondiale, à montrer pourquoi c’est en Allemagne et nulle part ailleurs que le judaïsme est parvenu à un sommet. En exterminant les Juifs, le nazisme a précisément voulu anéantir cette culture allemande insupportable à leurs yeux précisément parce qu’elle était pénétrée dans tous ses aspects fondamentaux par une renaissance juive. Cohen ne se contente pas d’observer sa propre époque, il déploie une histoire longue ; il analyse ensuite toutes les affinités de structure qu’on peut relever entre le protestantisme, l’idéalisme, les Lumières, la « science » allemande et le judaïsme tel qu’il le reconstruit. Que ce texte ait également obéi à des préoccupations de l’heure ne retire rien à l’ampleur de ce qu’il embrasse ni à la sûreté de ses analyses qu’elles soient philosophiques, historiques ou esthétiques.