Colloque international organisé sous les auspices de la Internationale Hegel-Vereinigung par le Centre de Recherches sur Hegel et l’idéalisme allemand (Université de Poitiers) et l’équipe de recherche « Normes, Sociétés, Philosophies » (Université Paris 1 / Panthéon-Sorbonne).
Que le rapport du hégélianisme à « la métaphysique » soit compliqué, Hegel en avait lui-même une claire conscience. Ne prétend-il pas à la fois, et de manière à première vue contradictoire, que sa logique (qui elle-même a peu de choses à voir avec ce qu’on entend couramment par là) tout à la fois « prend la suite » et « prend la place » de « l’ancienne métaphysique ». Si on laisse de côté le problème que pose l’identification de cette métaphysique (s’agit-il de toute la tradition métaphysique – mais où commence-t-elle ? où s’arrête-t-elle ? – ou seulement de la Schulmetaphysik du 18e siècle allemand ?), on ne peut qu’être frappé par l’hésitation que ces formules semblent montrer : comme si, tout à la fois, Hegel entendait rompre avec « la » métaphysique (prendre la place) et en prolonger l’intention sous une figure rénovée (prendre la suite). La question n’est pas d’ordre historiographique : elle a une pertinence théorique, puisqu’elle engage tacitement la compréhension que cette pensée a de soi, donc la manière dont nous la restituons et nous situons par rapport à elle. Si l’on pénètre l’intérieur même du « système », on peut se demander à quoi correspond ce que l’on appelait traditionnellement métaphysique : la métaphysique de Hegel, ou ce qui en tient lieu, est-elle à chercher dans la Logique ? dans la philosophie de l’esprit absolu ? De quelle nature est le lien qu’elle entretient effectivement avec les parties de l’œuvre que l’on n’est pas d’abord tenté de qualifier de métaphysiques, comme la philosophie de la nature ou la philosophie de l’esprit fini ‘subjectif et objectif) ?
On sait que la palette des réponses à de telles questions est extraordinairement vaste, dans la mesure même où ces réponses engagent tacitement un jugement quant au lieu philosophique des arguments hégéliens et à la nature des convictions fondamentales sur lesquelles cette philosophie repose. Mais on peut constater, quand on examine la littérature consacrée à ou tirant parti de Hegel, une évolution remarquable : alors que, très longtemps, c’est en tant que métaphysique spéculative que le hégélianisme était considéré, loué ou vilipendé, beaucoup de commentaires ou d’utilisations récents paraissent contourner ce problème du lieu métaphysique, ou s’estiment en mesure d’en faire abstraction. La texture des arguments hégéliens (concernant, par exemple, le statut de la connaissance empirique, ou celle d’objets comme les normes juridiques et/ou morales) semblent à beaucoup de lecteurs pouvoir être reconstruite et évaluée indépendamment des convictions métaphysiques explicites (s’il existe quelque chose de tel, en particulier chez Hegel) professées par l’auteur de la Phénoménologie de l’esprit. On considère même parfois, notamment dans le camp de ce que l’on nomme un peu commodément la philosophie analytique, que l’intérêt des arguments hégéliens – le fait même qu’on puisse leur trouver un intérêt est en lui-même fort instructif, lorsqu’on se souvient du jugement sans appel porté sur Hegel par certains des pères fondateurs de la philosophie anglo-saxonne du 20e siècle – est indépendant de ces convictions, et que la « conscience de soi métaphysique » de Hegel ferait en quelque sorte écran au potentiel rationnel et normatif de cette pensée. Les lectures qui s’inscrivent dans le courant pragmatiste illustrent, de manière diverse, une telle attitude.
Les « vieux hégéliens » que nous sommes tous en quelque façon résisteront, avec de bons arguments, à une telle façon « jeune hégélienne » de voir. Dissocier les analyses hégéliennes de ce qui fait leur cohérence systématique, n’est-ce pas leur retirer ce qu’elles ont de plus tranchant et de plus novateur, les priver de leur mordant théorique, bref, les ramener au niveau de ce que Hegel nommait avec un certain dédain la « pensée d’entendement ». A vouloir « actualiser » Hegel, à le mettre au service d’entreprises qui n’ont de sens qu’en dehors de ce qui constituait le domaine d’intérêt et de pertinence de cette philosophie, ne la condamne-t-on pas à l’insignifiance ?
Bernard Mabille
Professeur à l’Université de Poitiers
Directeur du CRHIA
Jean-François Kervégan
Professeur à l’Université Paris 1
Directeur de NoSoPhi
Membre de l’I.U.F
PROGRAMME
Vendredi 19
9h30 : Accueil de JFK et BM
10h JC Bourdin (Poitiers) : « Critiques marxiennes de la métaphysique de Hegel »
11h B. Haas (Paris) : « La fonction du nom dans la logique spéculative »
12h Discussion
REPAS
14h A. Simhon (Rouen) : « Trois répliques à la métaphysique hégélienne : Nietzsche, Heidegger, Levinas »
15h G. Gérard (Louvain-La-Neuve) : « Kant, Hegel, dialectique et métaphysique »
16h Discussion
REPAS
Samedi 20
9h A. Sell (Bochum) : « Die Metaphysik im Vorbegriff zur enzyklopädische Logik »
10h M. Foessel (Dijon) : « Hegel sans la dialectique ? »
11h Discussion
REPAS
14h D. Wittmann (Lyon) : « Relire Hegel à travers le mythe du donné ? »
15h G. Marmasse (Paris) : « Que prouvent les preuves de l’existence de Dieu ? »
16h : K. de Boer (Amsterdam) : « Kant, Hegel and the System of Reason »
17h Discussion et fin.
Le versant Poitiers du colloque aura lieu dans les locaux du C.R.H.I.A 36 rue de la Chaîne Salle Jacques D’Hondt