« Tout ce que j’ai fait, c’est, dans ma vie, d’amener à la limite ce que, vous-mêmes, vous avez peur d’amener ne serait-ce qu’à moitié. » 1
Le titre du nouvel essai d’Emmanuel Falque ne peut laisser le lecteur indifférent. Sa beauté et sa force étonnent. Par ce choix, le philosophe chrétien semble se placer sous les auspices de la figure d’Eros, fils de Poros et Penia, cet amoureux et ce chercheur « vaillant, aventureux » 2. Et qui connait l’œuvre de Falque sait combien il importe à ce philosophe de ne pas rester sur place, mais de partir, d’être ce voyageur à l’écoute, attentif à cette voix qui le pousse à risquer la haute mer avec vigueur, courage et grande générosité. Car le titre annonce bien une aventure – celle du philosopher lui-même. Et qui philosophe ose quitter le port et aller se confronter à d’autres rivages non pour faire la guerre, se rendre maître ou s’approprier, mais pour partager et donc aller à la rencontre d’autrui pour reconnaître sa singularité dans la différence même qu’implique le « combat ». « La philosophie en son déploiement a commencé par le « combat », insiste Emmanuel Falque en ouverture, et ne pas le reconnaître est nier que là aussi se tient la forme de sa plus haute historicité. Le combat est le père de toute choses rappelle Héraclite 3 ». 4 Faire place à l’autre c’est se disposer à l’écoute et au silence comme condition de possibilité de toute parole (« Mais parler c’est en même temps écouter 5 Parler est, depuis soi-même, écouter. C’est écouter le parole que nous parlons. Ainsi donc parler ce n’est pas en même temps écouter ; parler est avant tout écouter. » 6
Aussi ce combat ne peut-il être qu’ « amoureux » dès lorsqu’il reconnaît en autrui un semblable, un frère, mais aussi un « autre » singulier qui, dans sa singularité interroge ma propre différence. Le dialogue est ce qui nous pousse à rompre l’isolement stérile et à nous ouvrir sur les chemins de la connaissance. Sur cette voie, Emmanuel Falque combat avec la noblesse du chevalier chez Chrétien de Troyes. Il ne fait pas la guerre pour vaincre ou écraser (polemos), mais lutte pour résister et se trouver (agôn) de sorte que « le combat amoureux entre les penseurs relèvera davantage du pouvoir d’une « force contre une autre force » 7 que de l’écrasement de l’un par l’autre. » 8 Emmanuel Falque relie ce combat à celui de Jacob avec l’Ange (Genèse 32, 27) mais aussi à l’expérience même du peintre Eugène Delacroix qui réalisa, comme un défi, la fresque géante de La lutte avec l’ange en la Chapelle des Saints-Anges de l’Église Saint-Sulpice à Paris. C’est pourquoi, selon notre auteur, les partenaires ne sont des adversaires que pour se mesurer eux-mêmes à eux-mêmes, et se dépasser soi-même. Un combat s’engage entre philosophes. Sa vitalité vient de son caractère amoureux : chacun s’embrasse non pour fusionner ou pour régner sur l’autre, mais pour servir la philosophie elle-même, et à travers elle le sens authentique et vrai, et du même coup « le sens d’une humanité authentique » (Husserl, Krisis).
Dédié à Jean-Luc Marion, « en signe de reconnaissance », le nouvel essai d’Emmanuel Falque nous oriente donc vers l’idée essentielle que la philosophie mène un « combat amoureux » entre les penseurs qui est « celui de la chose même » – comme en témoigne la citation de Martin Heidegger, mise en exergue du livre 9. Il ne saurait donc être question de supériorité ou de victoire dans ce combat. Mais de « transparence réciproque » 10, non pas seulement dans les contenus objectifs, mais aussi dans les méthodes de l’interrogation de la lutte. Aussi, dans le livre d’Emmanuel Falque, chaque auteur pénétrera-t-il en soi avec l’autre. Il ne s’agit donc moins d’un « affrontement » que d’un « dévoilement ». Les phénoménologues avec lesquels Emmanuel Falque entre en lutte ne lui servent donc ici d’opposition que dans la mesure où ils se prêtent à la discussion : « On ne trace son propre chemin que par autrui, affirme Emmanuel Falque, non pas de façon réactive pour se distancier, mais de manière positive pour se trouver. Telle est la dispute « phénoménologique et théologique » qu’il convient maintenant de mener, selon un art aujourd’hui devenu trop oublié – la disputatio. » C’est bien cet art de la dispute que nous retrouvons au fil des 354 pages du Combat amoureux – et cet art Emmanuel Falque l’engage avec passion, à la manière d’un combattant inépuisable, selon les règles d’une lutte amoureuse.
I°) LIMITATION
Dans le cadre d’une pensée de la « Limitation », Emmanuel Falque montre avec beaucoup de pertinence comment Jacques Derrida nous a enseigné ce qu’il en est du chemin vers « l’en-bas de la khôra » (chapitre 1), et en quoi la « phénoménologie du sous-sol » revendiquée par Maurice Merleau-Ponty à la fin de sa vie, doit aller jusqu’à atteindre la « nature brute » en guise de forme du non-langagier (chapitre 2). De même que « Khôra » chez Derrida indiquera moins une faille à informer ou à combler qu’un réceptacle à même de tout recevoir, fût-ce pour lui donner seulement d’exister, de même la « nature brute » chez Merleau-Ponty, attendra moins du chaos qu’il se transforme en cosmos, que la nécessité d’en habiter l’épaisseur sans néanmoins pouvoir la dire. L’interrogation sur la double limite du langage et de l’expérience est d’abord ce qui doit être posée. Dans l’épreuve de khôra (J. Derrida) se joue l’épreuve de la « grande bifurcation » entre la théologie négative d’un côté et la voie de l’abîme et du chaos de l’autre. Khôra n’est ni un lieu ni un dieu, ni une chose ni une non chose, ni un ordre ni un désordre, ni un don ni un retrait, mais elle est une sorte de « quelque chose qui n’est pas une chose », « un il y a qui ne donne rien en donnant lieu », un mot sans article défini qui définit pourtant tous les articles, un mode d’être simple qui échappe à tous les êtres et sous-tend cependant le fonds de l’être : « Il y a khôra mais khôra n’existe pas » 11 En cette limite, le philosophe atteint un mode du logos cherchant l’infra du discours, un lieu de l’être tramant tous nos modes d’êtres, « une descente par l’en bas, plutôt qu’une volée vers l’en haut (théologie négative) », un passage par l’informe du cosmos et de l’humain (Timée) davantage que l’ascension dionysienne de Moïse vers le divin (théologie mystique). Il y a dans khôra quelque chose de la limite qu’Emmanuel Falque cherche à atteindre, à la fois dans le « fonds chaotique » inatteignable ou presque dans le cadre de la signifiance de la phénoménologie 12, et dans l’« infra langagier » que l’orientation vers la pure expressivité ne saurait à elle seule drainer. 13 Avec « la descente dans l’abîme » ou « l’entrée dans le chaos » opérée dans les Noces de l’Agneau se cherchait déjà, une forme de « désert » en nous-même et dans le monde (le « désert dans le désert » pour le dire avec Jacques Derrida) que khôra vient dans la prime origine désigner et comme aussi habiter : « ce que j’appelle « désert dans le désert », c’est le lieu qui résiste à l’historicisation 14 Il résiste 15 non parce qu’il s’agit de quelque chose d’obscur mais parce qu’il n’a rien à voir avec le don, la révélation ou quoi que ce soit dont nous discutons ici. C’est ce vers quoi je tends quand je parle de khôra. » 16
Des « deux approches possibles dans le désert » (khôra ou théologie négative) à « l’épreuve de khôra » (la limite à la limite) et à sa possible réinterrogation théologique (descente dans khôra), la voie est semée d’embûches en cela même qu’on ne touche pas aux « bornes du discours » sans aussi atteindre la limite des choses elles-mêmes. Khôra est d’abord affaire d’expérience, et non pas seulement de discours, et tel est probablement ce qui la distingue de façon la plus définitive de la théologie négative. Si, chez Jacques Derrida, il y a une « épreuve de khôra », celle-ci s’entendra d’abord comme traversée par l’étrange (Erfahrung) plutôt que comme épreuve de soi (Erlebnis), comme transformation de soi par la souffrance davantage que simple apprentissage de soi par soi (autoaffection). La métaphysique sera ici traversée de la physique ou de la nature, et non pas saut au-delà de la physique. « De la question sur le sens des mots et la nature du dépassement dans la théologie négative, on passe au statut des choses et de notre propre opacité dans Khôra – acceptant ici la « grande bifurcation » selon laquelle il y a plus fondamental en l’homme comme en Dieu que son « nom », soit l’incarné dont l’un et l’autre sont indissociablement tissés. » 17 Emmanuel Falque montre alors que pour Jacques Derrida khôra est avant tout restance et résistance, « lieu même d’une restance infiniment impassible », et d’une résistance infinie. Elle résistera toujours à l’Être, au Bien, à Dieu et à l’Homme. Or, Emmanuel Falque souligne qu’il en va de « khôra » chez Derrida (et Platon) comme il en est de la « finitude » chez Heidegger – non pas « fini » tiré de l’infini, mais horizon comme tel et sans contraire. Ainsi, khôra ne se laisse pas assigner à résidence. Elle est, radicalise Derrida, le « fond sans fond » d’un « il y a », d’un « ça a lieu ». Si khôra est amorphe 18, elle n’est rien de négatif ni rien de positif. Elle est impassible, mais elle n’est ni passive ni active. L’amorphisme de khôra se tient en deçà du es gibt en guise de « cela donne ». Khôra est extérieure et indifférente à tout schème de donation : elle ne donne rien. « Foncièrement non donatrice ou a-donatrice, ou à l’instar d’une mère paradoxalement orpheline de ses enfants, khôra ignore donc les progénitures qu’elle engendre, y compris jusqu’à la possibilité même de les mettre au monde. Si le « réceptacle » reçoit, il ne sait ni où, ni pourquoi, ni comment il reçoit. Mieux, il se fiche de recevoir ou de ne pas recevoir, non pas dans la « docte ignorance du don » (théologie négative), mais dans l’irréductible toujours déjà-là qu’on ne peut nier ni supprimer, y compris soi-même. » 19 Khôra désigne en réalité un genre d’être qui ne conserve que son nom comme indice de sa présence, voyant et sentant pourtant que ne pas en parler ne pourrait en aucun cas l’annihiler. « Dans le tourbillon du « sans forme » de khôra se dit un originel aussi ancestral qu’impossible à définir – en quoi il vient toujours « avant », souligne Emmanuel Falque : avant le lien entre les hommes comme tels ou entre l’homme et la divinité du dieu », avant et après le logos qui fut au commencement, avant et après le Saint-Sacrement, avant et après les Saintes Écritures. » La « résistance » et la « restance » de khôra envisagent alors cette hypothèse d’un « dehors » impossible à synthétiser comme aussi à assumer.
Contre Derrida, et aussi au-delà de lui, Emmanuel Falque ose alors « franchir le Rubicon », et aller de son propre pas de la philosophie à la théologie (et retour) : il laisse khôra, par hypothèse inverse, « entrer en religion » 20 La difficulté se redouble d’autant que Platon lui-même, dans un non théisme tout aussi surprenant que radical, conclut sur khôra dans le Timée en avouant que « là se trouve l’univers tout à fait en l’état où l’on peut s’attendre de trouver toute chose, quand Dieu en est absent » 21. L’indifférence originaire de khôra à toute chose y compris aux dieux précède, et nie par avance, toute tentative de théologie. « Qu’on ne s’y trompe donc pas, précise Emmanuel Falque. Il ne s’agit pas ici de « baptiser khôra », mais seulement de se demander ce que pourrait signifier, de façon seulement programmatique et hypothétique, une descente kénotique du Dieu des chrétiens « en khôra », venant non pas et nécessairement donner forme à l’informe, mais plutôt « habiter l’informe » – celui du monde certes (chaos et tohu-bohu), mais encore de notre propre vie intérieure, aussi peu formée qu’en mal parfois d’être visitée (passions et pulsions).
À la « kénose de Khôra » chez Jacques Derrida répond alors le « Dieu Très-Bas » de Maurice Merleau-Ponty, « de sorte qu’un « élément-Joie » peut bien nous rassembler, dit Emmanuel Falque, si tant est que l’on ne perd pas, ensemble, notre sens commun de l’habiter. » 22 Emmanuel Falque fait sien le dessein merleau-pontien et tente de le poursuivre : la philosophie conçue comme « reconquête de l’être brut et sauvage ». La question se pose alors de savoir ce que peut signifier une telle philosophie qui cherche le contact avec l’être brut. Emmanuel Falque l’avait déjà noté dans les Noces de l’Agneau : « faire de la philosophie à la limite est probablement atteindre la limite du philosopher » 23. Rappelons que s’il est pour notre auteur un triple écueil de la phénoménologie (l’embardée de la chair sur le corps, l’hypertrophie du vécu intentionnel sur la non signifiance du chaos, et le primat incontrôlé de la passivité sur l’activité), rien n’interdit cependant que la phénoménologie elle-même puisse s’y engager, et même l’atteindre. Pour Emmanuel Falque la question n’est pas de savoir si l’approche est, ou non, phénoménologique, voire métaphysique. « Tout dépend en réalité de la chose même et de la manière de l’aborder » 24 Notre auteur envisage alors un nouvel élargissement de la phénoménalité, non pas vers l’au-delà mais vers l’en-deçà, moins dans les hauteurs de la théologie négative que dans la profondeur d’une phénoménologie à peine native. « Avec Merleau-Ponty, dit Emmanuel Falque, on ne foulera pas un nouveau sol, fût-il sans place ou déplacé (khôra chez Derrida), mais on descendra dans le « sous-sol », une sorte de katabase ou de kénose en la « cave » de nos existences. » 25 Là se tient caché le Chaos ou l’Ouvert de nos passions et de nos pulsions, mais aussi la possibilité de venir le rejoindre et l’habiter, plutôt que d’uniquement vouloir l’assumer ou le dépasser. Cette phénoménologie qui descend dans son propre sous-sol retrouve les données fondamentales du spiritualisme français (Bergson, Bachelard, Marcel, Blondel), ou encore de l’existentialisme (Sartre) et de la psychanalyse (Freud).
Or Emmanuel Falque se demande si la « phénoménologie du sous-sol » se satisfera du pur et simple Chaos, tenant définitivement dans le non-dit ce qui semble précisément lui résister. « À force de jouir de sa non rationalité, la philosophie elle-même ne perdrait-elle pas sa vocation la plus foncière, à savoir l’acte de verbaliser ? » 26 Le débat, cette fois détourné mais toujours en prise avec des auteurs qui n’appartiennent pas directement au cadre de la réduction phénoménologique, permet sinon de l’expliquer, au moins d’en saisir l’enjeu. Or le retour à l’« élément chair » ne se fait jamais, chez Merleau-Ponty, contre le langage, mais plutôt à partir de lui. C’est en cela que « la chair est langage » que l’« élément chair » retrouvera, en guise de sa formulation la plus propre selon Le Visible et l’Invisible, le vieux terme d’élément, au sens où l’on l’employait pour parler de l’eau, de la terre, de l’air et du feu. Loin du sans lieu de la Khôra, l’élément désigne ici le « milieu de la chair » (Merleau-Ponty), empruntant cette fois davantage au vocabulaire des présocratiques qu’à la cosmologie platonicienne : « la chair n’est pas contingence, chaos », en quoi elle ne se limite pas précisément à l’homme pour le philosophe, « mais texture qui revient en soi et convient à soi-même ». 27 Ainsi, on ne comprendra d’abord, et paradoxalement, l’usage merleau-pontien du concept de « chair » qu’en cela qu’on le détachera définitivement de toute autre notion – qu’il s’agisse de « corps », d’« esprit », de « matière », mais aussi de vécu, de monde, d’autoaffectation. La chair est un « élément » de l’Être pour Merleau-Ponty. Paradoxalement, la chair n’est rien, ou rien de ce qu’on désigne ordinairement par corps et tout ce qui se rapporte à lui qu’il s’agisse de corporéité (Körper chez Husserl), d’organicité (Leib chez Nietzsche), ou de vécu identifié (Leib chez Husserl). L’usage du mot « chair » chez Merleau-Ponty revient moins à dire quelque chose qu’à ne pas rester sans rien dire. La chair est « sans nom » 28 plutôt qu’au-delà du nom (théologie négative) – et c’est bien ce qui la rapproche de la khôra de Derrida, tirant néanmoins le concept vers la texture plutôt que dans l’ouverture, vers la communauté d’humanité davantage que dans l’extrême de la plus grande étrangeté. La chair merleau-pontienne se reçoit de la plus grande extension, constate Emmanuel Falque : mon corps certes, mais aussi le « sang des autres », voire le « sang des choses », et le monde lui-même, auxquels elle s’étend pour en constituer la trame et comme le fond le plus originaire.
Si « le monde est chair », Emmanuel Falque se demande alors ce qu’il en est alors de ma propre chair, la mienne, celle-là même qui fait le Leib ou le « corps propre » chez Husserl, et que Merleau-Ponty se défie de nommer trop immédiatement comme telle. La chair merleau-pontienne désigne ce que nous nommons en français la chair et le sang, et non pas le vivant qui, quant à lui, dérive de l’allemand (leib / leben). L’hypothèse de la « chair du monde » exige de penser que même « les objets saignent » : « Les objets de la peinture moderne « saignent », répandent sous nos yeux leur substance, ils interrogent directement notre regard, ils mettent à l’épreuve le pacte de coexistence que nous avons conclu avec le monde par tout notre corps. » 29. Il faut voir couler dans nos veines non seulement le « sang des autres », mais aussi « le sang des choses ». Nous sommes « un dans l’unique monde » dit Emmanuel Falque. Mon propre sang, le sang des autres et le sang des choses participent à une même chair et nous donnent alors de participer à une même vie. C’est immédiatement et dans une même unité que le tout nous est donné aussi vivant par moi qu’il l’est par autrui ou par les objets qui me sont familiers. Emmanuel Falque trouve alors dans le corps merleau-pontien (qui ne se contente ni de la substance étendue cartésienne ni du vécu de la chair husserlien) ce qu’il a nommé « le corps épandu » dans les Noces de l’Agneau : « Intermédiaire, ou zone frontalière entre le corps objectif du scientifique et la chair subjective du phénoménologue, le corps épandu (sur un lit, sur une table d’opération ou sur la croix) est ce que la philosophie aujourd’hui doit retrouver, et la théologie se rendre capable d’assumer. » 30 La fonction transcendantale de la corporéité qui ouvre sur la spatialité 31 se tourne progressivement dans l’œuvre merleau-pontienne, vers l’épaisseur de l’incarné 32, cette fois moins constituant que résistant, moins subjectivant qu’en même temps, et paradoxalement, objectivé. L’« impossible incorporation », ou la difficulté plus grande encore chez Husserl lui-même de comprendre le corps plutôt que la chair, trouve chez le dernier Merleau-Ponty toute sa consistance Ainsi, Maurice Merleau-Ponty retrouve-t-il le concept de « nature » (qui, pourtant, avait perdu droit de cité au profit de la notion de monde), et se donne pour tâche de lui rendre un sens, ou du moins, de voir en lui un problème. Fidèle à sa phénoménologie du sous-sol, Maurice Merleau-Ponty, trouvera aussi dans « la Nature » le fond originaire (Urgrund) de notre existence, l’« être brut » ou l’« esprit sauvage » par quoi notre être-là aussi est incarné. Plongeant dans un archaïque que nul ne saurait définir, le phénoménologue lui-même se satisfera de cette « part cachée », qu’il ne peut que deviner sans néanmoins jamais véritablement la révéler : « toute philosophie de la Nature est une philosophie de l’histoire masquée. Il ne faut pas qu’on la prenne au pied de la lettre et selon ce qu’elle dit, il faut aller au contenu latent. » 33 Emmanuel Falque note, avec beaucoup de pertinence, que la phénoménologie du sous-sol « s’enfonce dans le non-fonds de notre être comme aussi du monde. La descente dans la « cave de nos existences », ou l’installation dans notre « propre fond », ne délimite pas seulement l’en bas ou les fondations par où se justifie l’en-haut ou les constructions, il « amène à la limite ce que, vous-mêmes, vous avez peur d’amener ne serait-ce qu’à moitié », pour reprendre les mots des Carnets du sous-sol de Dostoïevski, refusant cette fois de séparer phénoménologiquement l’objectivité de la subjectivité, ou la Nature de la conscience. » 34 Il y a un indissoluble lien du monde et de la pensée dans cette forme d’esprit sauvage que Merleau-Ponty ne cesse de revendiquer : comment peut-on revenir de cette perception façonnée par la culture à la perception brute ou sauvage ? Vouloir retrouver l’être brut ou sauvage revient d’abord pour Merleau-Ponty à se défaire de la détermination husserlienne, puis heideggérienne, du propre (Eigene) et de l’étranger (Fremde). Dans le Fonds commun de la Nature, plus rien n’est mien, ni non plus n’est autre. C’est déjà à sortir des dualités, voire des arbitraires distinctions ou polarités, que s’efforce d’abord et paradoxalement, le recours au « primordial ».
Emmanuel Falque remarque que de cette descente dans notre propre « sous-sol » dépend aussi la possibilité pour Dieu d’y séjourner, moins cette fois dans la résistance de ce qu’on ne saurait exprimer (Khôra de Derrida), que dans la texture de la chair qui fait aussi notre communauté (l’incarné de Merleau-Ponty). Emmanuel Falque montre que le rapport implicite à Maurice Blondel fera voir cette fois l’originalité merleau-pontienne, établissant ainsi un nouveau mode de rapport au divin. S’il est en effet une « ontologie indirecte » chez Merleau-Ponty, celle-ci tient moins, comme on le croit souvent à tort, de sa seule reprise de l’être heideggérien, mais aussi et surtout de la établie avec les étants, non seulement pour la dire, mais aussi pour la faire voir, et même exister. Or, remarque Emmanuel Falque, « si le couple d’« Être et Monde » est effectivement donné pour l’homme tout court d’abord épris de son acte d’exister, peut-être trouvera-t-on aussi, ici ou là, les racines d’un possible « Dieu et monde » qui resterait encore à définir, voire à faire exister : « L’être ce n’est pas Dieu seul, c’est Dieu créateur du monde, lit-on dans un autre manuscrit inédit, et donc le monde aussi, c’est Dieu avec le monde 35. Dieu n’est pas tellement cause et derrière nous que terme et devant nous. » 36 Dieu est donc moins « dans notre dos » que « dans notre champ ». Au Dieu unique de la révélation (Offenbarung) exclusivement déployé dans le cadre de la phénoménalité du donné, voire de l’incarné (Verleiblichung) dans la définition du sujet comme autoaffecté, Merleau-Ponty substitue, et rend possible, un Dieu de l’historicité (Menschwerdung) que la théologie a le mérite depuis un siècle de rappeler, mais que la phénoménologie contemporaine a tant de mal à intégrer. « Faute d’une véritable phénoménologie de la culture, de l’histoire, de l’éthique et de la politique – autant de traits développés quasiment et exclusivement par Merleau-Ponty –, le Dieu « très haut » (donation) ou « très proche » (autoaffectation) demeure toujours trop abstrait, dès lors que l’on n’a pas vu que, dans sa kénose, il est venu en nous et dans le monde se manifester, et faire voir aussi ce qu’il en était de notre véritable humanité. L’incarnation change tout : « Le Dieu chrétien ne veut pas d’un rapport vertical de subordination. 37 Le Christ atteste que Dieu ne serait pas pleinement Dieu sans épouser la condition d’homme. » 38 Le Dieu de Jésus-Christ ne se contente pas, aux yeux de Merleau-Ponty, de se présenter comme un « Dieu intérieur », mais aussi et surtout comme un « Dieu extérieur ». Le christianisme perd tout son sens hors de l’incarné. Le christianisme « remet en question la distinction du corps et de l’esprit, de l’intérieur et de l’extérieur » 39. Loin de tout éblouissement, le divin merleau-pontien se donne plutôt dans le plus radical inachèvement. « Il en va de l’aisthesis en philosophie, dit Emmanuel Falque, comme il en est de l’eschaton en théologie. La première (la perception) attend du philosophe et du poète qu’il poursuive dans le monde ce qui lui manque de sens, et accompagne par sa « chair » leur communauté d’appartenance : « puisque la perception n’est jamais finie, remarque Merleau-Ponty dans Signes 40, pourquoi l’expression du monde serait-elle assujettie à la prose des sens et du concept ? Il faut qu’elle soit poésie, c’est-à-dire qu’elle réveille et reconvoque en entier notre pur pouvoir d’exprimer, au-delà des choses déjà dites ou déjà vues. » 41. La seconde (la fin des temps) requiert du théologien une même incomplétude, retenant toujours dans les rets du désir ce que nous avons à accomplir, et nous donnant ainsi de participer aux extases du temps sans cesse entremêlées : « la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement », se souvient saint Paul dans l’épître aux Romains 42, de sorte que « j’achève dans ma chair ce qui manque aux souffrance du Christ pour son corps qui est l’Église », complète l’épître aux Colossiens 43. On ne saurait mieux dire le sens de l’intercorporéité, voir aussi du touchant-touché – non plus de moi et autrui cette fois, mais encore de Dieu et de l’humanité en mal d’être toujours entrelacés. Emmanuel Falque nous rappelle alors que l’essentiel n’est donc pas d’ordonner le Chaos, de refuser le Chiasme, ou de refermer la Faille, mais tout simplement d’y séjourner. Car c’est bien dans le creux même de cette Faille que se tient « le tout de notre humanité ».
II°) RÉVÉLATION
Dans la deuxième partie, Emmanuel Falque questionne d’abord le « visage sans visage » d’Emmanuel Levinas. Notre auteur s’élève contre les confusions du visage comme « trace » chez Levinas et de la figure comme « sacrement du frère » pour beaucoup de chrétiens. C’est en confrontant le judaïsme de Levinas au christianisme qu’il mettra en lumière l’originalité de ce dernier. Le Christ ne conduit pas à « une responsabilité de plus » (« nous sommes tous le messie »), mais plutôt à une responsabilité de moins (« lui seul est le messie »), dit Emmanuel Falque. L’avoir compris ne maintient pas le chrétien dans la seule « responsabilité pour autrui », mais le conduit avec le Christ sur les voies de la « suprême irresponsabilité », soit de la possibilité de remettre à l’autre ce qu’on l’on pourrait cependant par soi-même exécuter.
Emmanuel Falque ne christianise certes pas Emmanuel Levinas, mais il met en lumière combien l’écart de l’incarné est précisément ce qui vient tout séparer. Le protestantisme ou le « sens du texte » de Paul Ricoeur répond ainsi au judaïsme ou au « corps de la lettre ». Ricoeur et Levinas reconnaissent ensemble un écart : avec le christianisme pour l’un (Levinas), et avec le catholicisme pour l’autre (Ricoeur). Le « texte du corps » (catholicisme) prend le relais du « sens du texte » (protestantisme) et du « corps de la lettre » (judaïsme) – et ceci en particulier en raison de l’épaisseur du « ceci est mon corps » 44 Si pour Emmanuel Falque il est une herméneutique du corps de la voix en mode catholique, celle-ci sera d’autant plus fondée en raison qu’elle demeure pour les autres impensable. Pour Levinas, Dieu est « l’absolument non-incarnable » 45 Et le visage n’est ni chair ni regard, mais tout au plus parole : « Le visage est présent dans son refus d’être contenu. Dans ce sens, il ne saurait être compris. Ni vu ni touché – car dans la sensation visuelle ou tactile, l’identité du moi enveloppe l’altérité de l’objet qui précisément devient contenu. » 46 « Un visage ni vu ni touché. Le mot est lancé contre toutes les errances interprétatives, dit Emmanuel Falque, et le plus souvent chrétiennes, qui confondent le « visage » en judaïsme et le « figure » en christianisme. » 47 De Platon à Heidegger, le primat du voir ne semble pas avoir été véritablement contrecarré. Or on ne voit pas le visage chez Levinas, en quoi précisément il est « abstrait » au sens courant et étymologique du terme, c’est-à-dire à la fois conceptuel et séparé. « Trace de l’absent », la chose est connue dans le texte du même nom (« La trace »), le « visage est abstrait », c’est-à-dire nu et exposé, de sorte qu’il constitue le plus lieu de la « vulnérabilité » 48. Mais le visage n’est pas la figure en cela qu’il renvoie à une absence, et non pas à un autre mode de la présence. Aussi, dans le judaïsme, ne pourra-t-on pas nommer « visage » une croisée des chairs et des regards, bien au contraire. Si, chez Levinas précisément, « mon nom est personne », pour reprendre la vive critique que lui a adressé à plusieurs reprises Jean-Luc Marion, c’est en cela que « le visage apparaît comme personne », non plus selon « l’excellence de sa phénoménalité » mais dans « son anonymat » : « Il n’apparaît pas en personne, ni comme une personne », dit Jean-Luc Marion 49. On trouvera ici une critique de la neutralité du visage chez Levinas, mais aussi et surtout, pour Emmanuel Falque, un rejet de la figuration comme aussi de la vision.
Là où le théologien chrétien Hans Urs von Balthasar définit la figure comme « problème esthétique » au sens étymologique du terme 50, le philosophe Emmanuel Levinas ne peut y voir que le produit dérivé d’une déchéance dans l’incarné à laquelle Dieu ne saurait participer : « L’Infini ne peut s’incarner dans un désirable, ne peut, infini, s’enfermer dans une fin. » 51 Il faut donc entendre qu’être à l’image de Dieu ne signifie pas, pour Emmanuel Levinas, être l’icône de Dieu, mais se trouver dans sa trace : Autrui n’est pas l’incarnation de Dieu, mais précisément par son visage, où il est désincarné, la manifestation de la hauteur où Dieu se révèle. « Le sacrement du frère » ne saurait donc convenir, ni même être envisagé par Emmanuel Levinas. Or Emmanuel Falque cherche à dire la spécificité du christianisme par rapport au judaïsme de Levinas – non pas contre lui, mais dans un « combat amoureux » avec lui – envisageant une rencontre entre judaïsme et christianisme qui tiendrait moins dans les thèses abordées (corps, chair, parole), que dans la manière de les envisager (kénose, filiation, substitution).
Plutôt que de croire, et de penser, à une « non incarnation » en judaïsme, Levinas nous invite au contraire à nous référer à un « autrement incarné » (sur le mode de l’absence certes, mais non pas sans corps, qu’il s’agisse de l’homme ou de Dieu). « Le refus d’incarner Dieu dans un véritable « corps de chair », explique Emmanuel Falque, ne vient pas de la méconnaissance du corps chez Emmanuel Levinas, bien au contraire, mais plutôt de l’écart impératif à maintenir entre la hauteur du Dieu incréé d’un côté et l’horizontalité de l’homme créé de l’autre. » 52 Dieu n’est pas « sans corps », mais « autrement corps ». Le corps en lequel la parole se trouve logée n’est pas en effet le simple succédané d’une chair incapable de la porter. Il y a plus, et mieux, aux yeux de Levinas, qu’une corporéité organique pour lui donner de se manifester. Le judaïsme et le christianisme se rejoignent paradoxalement l’un l’autre moins dans le corps à épouser ou habiter (la lettre dans le judaïsme, l’organique dans le christianisme), que dans le mode de son habitation ou de sa descente (la kénose). « Si l’idée de l’incarnation est donc étrangère à la spiritualité juive, la kénose ou l’humilité d’un Dieu consentant à descendre jusqu’aux conditions serviles de l’humain est attestée par les textes bibliques eux-mêmes. » 53 Emmanuel Falque nous met cependant en garde de nouveau : penser l’habitation du divin jusque dans la lettre, voire l’encre, du texte n’est pas sacraliser le corps de l’Écriture au point de le diviniser dans une pure et simple littéralité. La Thora « parle le langage des hommes », précise L’au-delà du verset, de sorte que « la grande pensée du principe consiste à admettre que la Parole de Dieu peut tenir dans le parler dont usent, entre eux, les êtres créés. » 54 La lecture talmudique s’appuie d’abord sur la « dimension concrète de la parole humaine ». Le sens de l’écrit, inscrit dans le livre par la parole, n’est pas littéralisme (simple respect de la lettre), ni spiritualisme (intériorisation du texte), mais « incorporation », souligne Emmanuel Falque, « du lecteur dans l’interprétation du texte et de Dieu dans sa lettre. » 55 Ainsi, en judaïsme, la parole se cherche, et se trouve un lieu dans l’Écriture, non pas pour nier la corporéité incarnée, mais en reconnaissant que l’habitacle divin (la lettre) ne saurait jamais s’identifier à la substance de l’humain (le corps). Quel écart demeure alors, et de façon définitive cette fois, du « corps de la parole » dans le judaïsme et de la « parole du corps » dans le christianisme ?
Tout dépend de ce qu’on nomme « verbe » – non pas ou plus l’acte de parler, mais Celui (le Fils) dont on dit qu’il s’est incarné. Il est une « passion du soi » y compris pour Dieu dans le judaïsme (humiliation jusque dans la lettre) suggère Didier Frank dans L’un pour l’autre, qui ne peut pas ne pas être rapportée à la passion du Fils dans le christianisme (kénose de l’incarnation). La question est alors de savoir si ce qui appartient à la théologie et à la révélation chrétienne peut être reconduit à la seule philosophie. Au-delà de la théologie, qu’elle soit juive ou chrétienne, Emmanuel Falque nous fait remarquer qu’on découvre certes une forme de « passion » en philosophie, dont le judaïsme et le christianisme constituent l’écorce, mais aussi l’ultime moment pour les déconstruire, voire les dépasser. Reste toutefois l’abîme qui sépare définitivement la filialité du judaïsme (les fils d’Israël) de la filiation du christianisme (le Verbe comme Fils du Père). Tout est affaire de monothéisme et de trinité, dans le vis-à-vis de la parole au cœur du judaïsme comme aussi du christianisme. « Là où le juif se tient dans l’immémorial d’un passé d’un Dieu visé dans sa paternité, affirme Emmanuel Falque, le chrétien ouvre l’horizon d’un présent dans une proximité que certains pourraient penser comme un mode du chosifier. » 56 En effet, alors que l’existence juive se réfère à un instant privilégié du passé, l’existence chrétienne, quant à elle, possède dans on présent même ce point d’attache privilégié. Dieu lui est frère, c’est-à-dire son contemporain. Les modèles ne peuvent donc si aisément se rencontrer tant ils semblent réfractaires l’un à l’autre. Emmanuel Falque en trouve le signe dans le sens même accordé à « substitution » chez Levinas. Ce sens est incompatible, selon notre auteur, avec le cadre ordinaire du christianisme. Dans la visée du judaïsme en effet, « nous sommes tous le Messie », que « le Messie, c’est moi » et que « le Messie c’est le juste qui souffre, qu’il a pris sur lui la souffrance des autres » 57 « Être soi, autrement qu’être, se dés-intéresser, c’est porter la misère et la faillite de l’autre, dit Emmanuel Levinas, et même la responsabilité que l’autre peut avoir de moi. Toute accusation et persécution suppose la substitution – la possibilité de se mettre à la place de l’autre qui renvoie au transfert du par l’autre au pour l’autre. » 58 Être par autrui c’est donc d’abord et surtout se découvrir pour autrui. La vocation messianique appliquée à chacun confère un surcroît de responsabilité : « Être moi, c’est toujours avoir une responsabilité de plus. » 59 Or, Emmanuel Falque montre que c’est bien là le point où le christianisme marque le plus grand écart avec le judaïsme. Il est en effet aussi une substitution pour le chrétien, mais « une seule », précise notre auteur : « non pas celle dont je suis le vacataire (« le Messie, c’est moi »), mais celle dont le Fils est l’unique destinataire (« Nous avons trouvé le Messie – ce qui signifie « le Christ », Jean 1, 41), soit la substitution accomplie « une fois pour toutes » 60. Dans Le passeur de Gethsémani, Emmanuel Falque avait déjà opposé à Emmanuel Levinas « l’insubstituable substitution » montrant que le christianisme interdisait au croyant de tout porter puisque précisément le Christ, ou le Messie, s’était déjà pour lui entièrement donné. Il reprend ici cette analyse avec encore plus d’acuité, selon une distance entre le christianisme et le judaïsme qu’il n’accuse pas mais reconnaît pour chacun, en son juste lieu. 61 Il y a paradoxalement plus difficile que de porter une responsabilité « de plus », note Emmanuel Falque, à savoir de s’en remettre à une responsabilité « de moins ». Se déchargeant sur le Père de cette prétendue nécessité de tout porter, le Messie chrétien « abandonne définitivement les rives de Prométhée et accepter de vivre en Épiméthée », dit Emmanuel Falque 62 Seul le Christ, insiste notre auteur, porte trinitairement le poids de la messianité, de sorte que nul, en régime chrétien, ne saurait pâtir sans en même temps passer au Père le poids de son propre être incarné.
Avec Jean-Luc Marion, la « révélation » prend à la suite d’Emmanuel Levinas un tour plus radical, mais non moins capital pour Emmanuel Falque. Déployant une « phénoménologie de l’extraordinaire », Jean-Luc Marion suit les voies de la donation dans un sens de l’interrogation de la langue et des concepts rarement égalé. Préférant l’expédient (poros) à la pauvreté (penia) (Platon), le débordement du cadre de la phénoménalité vient ici toujours à primer. Emmanuel Falque tout en rendant hommage à la philosophie de Jean-Luc Marion, et en reconnaissant tout ce qu’il lui doit, engage cependant avec elle un questionnement sur le statut même de la finitude : la finitude comme « reste » et non plus comme « telle » fait certes droit à une théologique apophatique du dépassement (Denys), mais non pas, pour Emmanuel Falque à une théologie kénotique de l’enfouissement (Bonaventure). Or, loin d’y voir une contradiction des voies, il l’envisage plutôt comme deux modes par lesquels la phénoménalité peut diversement se donner. L’« avance masquée » (larvatus prodeo) désignera ainsi une posture que beaucoup de phénoménologues croyants ont adoptée pour demeurer « philosophe » en pays de laïcité. Toutefois, Emmanuel Falque cherche à emboîter le pas aux « philosophies du seuil » en osant théologiser. Non larvatus sed detecta fronte prodeo (« j’avance non pas masqué mais à visage découvert », Ovide) exprime le positionnement d’Emmanuel Falque. C’est bien dans l’écart que se marqueront les identités, comme aussi la nécessité pour chacun de ne pas se laisser récupérer.
Quand bien même l’immanence ne désigne jamais chez Jean-Luc Marion que « l’immanence intentionnelle de la conscience » (Husserl) et jamais l’immanence du monde comme tel (Heidegger), l’originalité d’ Étant donné n’en est pas moins de montrer, par pure description précisément, ce que « cela donne » que de donner. Comme « la donne des cartes » au début de partie dont je suis toujours l’adonné, du « donné génétique » qui me constitue parfois si bien que j’en semble en perdre mon « moi-même », ou du « don artistique » qui m’en fait toujours d’autant plus l’obligé que je n’en suis pas l’initié, la triple epochê phénoménologique (du donataire, du donateur et du don) ouvre une autre manière de philosopher qui rend raison de nos expériences les plus ordinaires. L’essence de la donation, par mode de réduction, est ainsi claire : ne pas savoir à qui on donne (donataire), qui donne ou si soi-même l’on donne (donateur), et même ce qu’on donne (don). Mais, selon Emmanuel Falque, « la triple epochê ne prouve pas, elle s’éprouve – se voit et se montre. Le tournant descriptif d’ Étant donné apparaît ainsi d’autant plus tangible qu’il dit nos mode d’être quotidiens de la donation. » 63 La triple epochê, avoue notre auteur, déborde cependant très largement le simple « procédé de réduction » dénoncé, ici ou là, comme artifice plus ou moins fidèle à la pure orthodoxie husserlienne. Elle détermine au contraire un mode d’être phénoménologique. « La « donabilité » comme mode d’être exemplaire de la donation confie donc, au moins en partie (référence à Saint Thomas d’Aquin), sa source théologique – quand bien même elle ne s’y réduirait pas. Et il a même probablement de l’évangélique dans cette triple « mise entre parenthèse », bien qu’elle ne se dise pas comme tel, affirme Emmanuel Falque. 64 L’extraordinaire de la phénoménologie, dans sa dimension descriptive, atteint ainsi progressivement la phénoménologie de l’extraordinaire, dès lors qu’elle prend pour norme des types de phénomènes (théologiques ou non) dont la « donabilité » serait plus exemplaire. Une hiérarchie quasi dionysienne s’institue ainsi des phénomènes « pauvres » aux phénomènes « de droit commun » puis « saturés ». Seul compte ici le paradigme à partir duquel tout est pensé. L’excès fait la mesure quand la pauvreté avoue, à l’inverse, son incapacité à s’y mesurer. Emmanuel Falque affirme que « tout dépend du type d’expérience dont se tire le modèle : excès dans la gloire du phénomène éblouissant – « voir et connaître qu’on ne peut ni voir ni connaître Celui qui est au-delà de toute vision et de toute connaissance » (Denys l’Aréopagite) – ou pauvreté dans l’humanité de l’apparition charnelle de celui qui s’y cache : « la profondeur de Dieu fait homme, c’est-à-dire l’humilité, est si grande que la raison défaille. » (Bonaventure) » 65 Le renoncement après coup du vocable de « phénoménologie négative » ne fait donc pas moins de l’apophatisme le mode suprême et exemplaire de toute phénoménalité chez Jean-Luc Marion, et ce depuis ses tout premiers textes (L’idole et la distance). Emmanuel Falque rappelle donc que la voie de la théologie négative ne contredit pas celle de la théologie affirmative, mais qu’elle complètera et orientera la phénoménologie dans un autre sens : plus incarné, peut-être, mais surtout moins éblouissant, en contrepartie.
Or dans la perspective falquienne, le phénomène limité prend le pas sur le phénomène saturé. Loin de s’y opposer, il propose une autre voie, non pas contradictoire, mais autrement orientée. Ce qui importe ici à Emmanuel Falque n’est pas la négation du donné, mas plutôt de l’ordre de priorité accordé à l’expérience de sa donation. Là où dans une phénoménologie de l’extraordinaire l’excès précède donc la finitude et la constitue en la révélant dans notre propre impuissance, une phénoménologie de l’ordinaire ose à peine en appeler à l’illimité tant nous ne connaissons, dans son premier temps au moins, que la limite dont nous sommes constitués. « Paradoxalement, affirme notre auteur, le recours au théologique ne viendra pas en ce sens nier le philosophique, bien au contraire, mais plutôt lui accorder sa juste place : non pas simplement « au service » du maître (la théologie), mais dans l’aveu d’un partenariat revendiqué et affirmé de deux disciplines (la philosophie et la théologie) qui fait que ni l’un ni l’autre ne sera cachée, ou relayée au rang d’exemplification de ce que la première (la philosophie) a bien voulu lui donner. » 66 Notre auteur ouvre une autre voie : non pas contradictoire mais complémentaire de la précédente, qui « pousse à bout » la première en ses derniers retranchements et la conduit ainsi à son achèvement. Aussi Emmanuel Falque choisit-il de franchir le Rubicon, et se fraie-t-il une nouvelle voie : celle de l’ordinaire phénoménalité de l’ordinaire plutôt que celle de l’extraordinaire phénoménologie de l’extraordinaire. Or si l’« avance masquée » (larvatus prodeo) désigne cette posture que beaucoup de phénoménologues croyants ont adoptée pour demeurer « philosophe » en pays de laïcité, Emmanuel Falque cherche à leur emboîter le pas en osant théologiser. Non larvatus sed detecta fronte prodeo (« J’avance non pas masqué mais à visage découvert », Ovide) ose-t-il revendiquer comme « devise propre ». Emmanuel Falque s’étonne devant ces philosophes férus de théologie qui néanmoins répugnent à la théologie lorsqu’ils écrivent en philosophes. Or celui qui se croit masqué, ne peut en réalité masquer qu’il ne se masque qu’à ses propres yeux, prenant les atours de la philosophie quand le fond pourtant demeure théologique. Le débat dépasse très largement Jean-Luc Marion, et concerne les rapports entre philosophie et théologie tels qu’Emmanuel Falque les avait déjà envisagés dans Passer le Rubicon.
La question qui inquiète Emmanuel Falque tient au type de rapport entretenu entre théologie et philosophie, et à la possibilité pour l’homme de réellement se tenir sous l’éclat de Celui qui vient toujours l’éblouir : « N’y a-t-il pas d’une part un danger, voir un « soupçon », se demande notre auteur, à vouloir trop séparer dans un tiers ordre quasi pascalien la philosophie naturelle de la théologie révélée que l’Aquinate avait pourtant si savamment unies ? Thomas introduit en effet le philosophique au cœur du théologique – par une certaine connaissance de l’objet de foi par la « lumière de la raison naturelle », quoi non indispensable à la foi et limitée quant à ses prétentions, mais non pas à la Trinité et à l’incarnation. Thomas ne sépare pas le naturel du surnaturel, « il insère au contraire le naturel au cœur même du surnaturel, dit Emmanuel Falque, en raison seulement de la faiblesse de notre esprit et sans que les sciences soient nécessaires à la science sacrée. » 67 Or Emmanuel Falque se demande si la stricte séparation des genres, pascalienne plus que thomasienne n’est pas à l’origine de l’impossible rencontre des corpus dans l’œuvre de Jean-Luc Marion. D’où justement l’ontologisme des rencontres accusé par Thomas d’Aquin à l’encontre d’Anselme dans la seconde question de la Somme théologique et qui n’a peut-être pas fini de produire certains de ses avatars. La question essentielle aujourd’hui, en phénoménologie comme en théologie, n’est pas uniquement celle du « phénomène de la révélation » ou de « Dieu » (avec ou sans l’être), mais pour Emmanuel Falque, c’est bien plutôt celle de l’homme ou du sujet récepteur dans sa capacité, ou non, à dire le phénomène ou Dieu : soit à partir du phénomène lui-même ou de Dieu dans son acte d’auto-révélation (voie ontologique descendante), soit à partir de l’homme et de ses conditions d’existence (in via) rendant impossible tout accès direct à un quelconque au-delà (in patria) (voie cosmologique ascendante). On peut alors se demander si l’on est en droit d’espérer aujourd’hui, parce que la philosophie est aussi devenue affaire de théologie, une libération de la théologie par la philosophie. Un au-delà de la phénoménologie semble se profiler avec l’irruption de la théologie. Reconnaître que la phénoménologie n’aurait pas la puissance de tourner en théologie, c’est implicitement faire l’aveu qu’une autre puissance la dépasse et la déborde de part en part. De même que la phénoménologie dépasse la métaphysique, de même la théologie révélée dépasse la phénoménologie dans les réquisits de sa saturation – et ouvre ainsi au théologien philosophe un champ qu’il lui appartient cette fois en propre d’occuper. D’où la seconde question qu’Emmanuel Falque adresse à Jean-Luc Marion (ou plutôt à partir de lui) : que deviendrait la philosophie dès lors qu’elle accepterait de franchir le pas de la phénoménalité à la Révélation comme telle, non pas dans l’effectivité du Révélé, mais dans le « choc en retour » qu’il pourrait sur elle produire ? Le traitement de la question du miracle et de la résurrection, comme expérience limite de la saturation en phénoménologie et de l’action divine en théologie, en font voir les premiers linéaments. Le miracle ne porte pas, pour Jean-Luc Marion, sur un événement physique, mais « sur ma conscience elle-même ». Le vrai miracle est ainsi miracle de ma conscience, vécu dans ma conversion du regard sur les choses plutôt que dans les choses elles-mêmes. De la phénoménologie à la théologie révélée, la conséquence est bonne : « Le dernier miracle, c’est que je croie au miracle lui-même. » 68 Le miracle n’es donc pas ou plus le fait objectif de la résurrection comme tel, mais l’acte par lequel cette résurrection travaille aujourd’hui en moi pour que je puisse y adhérer par ma conscience, débordant ainsi toutes les bonnes raisons que j’ai de ne pas croire au Ressuscité sans l’avoir vu. Le vrai miracle tient dans la croyance au miracle, comme probablement aussi la vraie saturation dans le débordement des frontières dans lesquelles je me croyais déjà « saturé ». Mais pour les théologiens la résurrection n’est pas une simple donnée de la conscience, ou une transformation du sujet comme tel, mais un fait valide historiquement. Mais comment et sur quels critères fonder une effectivité de la résurrection si l’historicité comme telle n’a d’autre principe que son historialité (Geschichte), en phénoménologie comme en théologie ? Jean-Luc Marion apporte « la seule réponse qui convienne » aux yeux d’Emmanuel Falque : la résurrection n’est pas d’abord le fait de l’homme-Dieu dans son rapport au Père en un temps et lieu de l’histoire, mais principalement sa donation en moi et pour moi aujourd’hui qui, par sa réception sur l’écran de ma conscience, le phénoménalise comme tel et lui donne d’apparaître dans son retard ou son acte de « différer ». Certes Dieu n’a pas besoin de nous pour exister, mais il ne demeure apparaissant que dans le « pour nous » de la conscience – sinon pour être, au moins pour se phénoménaliser. Loin de toute tradition balthasarienne ou rahnérienne qui ne renonce pas à une certaine objectivité de la révélation, R. Bultmann est l’unique théologien qui se rapproche de la thèse de Jean-Luc Marion : « il est donc vrai que le fondement et l’objet de la foi sont identiques. Ils forment une seule et même chose, car nous ne pouvons pas dire de Dieu ce qu’il est en lui-même mais seulement ce qu’Il fait pour nous et avec nous. » 69 Bultmann et Marion, tous deux phénoménologues et disciples de Martin Heidegger ne peuvent plus avant accorder leur foi à une objectivité de la révélation qui, si elle n’est pas détruite dans le « doute » (Descartes), est au moins suspendue dans l’ épochê (Husserl). Une autre intentionnalité, aussi absolue qu’essentielle à l’humanité, détermine la mienne en moi, et la consacre comme lieu et acte de la véritable sacramentalité – l’Esprit, tel que le Christ le délivre en se livrant sur la Croix à l’homme aimé jusque dans son désert d’amour. Ainsi, dit Emmanuel Falque, « la théologie, apparemment disjointe de la phénoménologie en son corpus, en constitue pourtant, pour l’homme comme pour l’œuvre, son sens ultime et sa raison d’être – la Résurrection pour le « phénomène saturant » et la sacramentalité pour la « contre intentionnalité ». » 70
Emmanuel Falque se demande donc si l’on peut faire l’expérience du phénomène saturé en dehors de l’effectivité de la Révélation donnée comme telle – c’est-à-dire de la Résurrection comme transformation de soi en soi par un autre. L’affirmer serait peut-être trancher dans le vif d’une impossible expérience de l’éblouissement ou d’un voir autrement en dehors du christianisme. Mais le nier reviendrait à perdre la voie de ce qui fait le propre de l’entreprise : l’intentionnalité d’un autre en moi (la Trinité) à partir duquel tous les phénomènes me sont donnés comme ne venant pas de moi. Ainsi, pour notre auteur « en ces temps nouveaux d’une possible interaction réciproque (sans confusion ni séparation des ordres), il revient au philosophe d’assumer sa tâche théologale. » 71
- F. Dostoïevski, Les carnets du sous-sol, Paris, Actes Sud, 1992, p. 165.
- Platon, Banquet 203 d, Robin, Pléiade, p. 737.
- Héraclite, Fragment 42
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 7.
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- M. Heidegger, Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1959, p. 241.
- S. Fos-Falque, La chair des émotions, Paris, Cerf, 2014, p. 274.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 8.
- M. Heidegger, Lettre sur l’humanisme dans Questions III
- Karl Jaspers, Philosophie
- J. Derrida, « Comment ne pas en parler », Psyché II, p. 176 : « Comment en parler ? Comment ne pas en parler ? »
- E. Falque, Noces de l’Agneau, p. 177-215.
- E. Falque, Passer le Rubicon, p. 117-118.
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- Discussion Jacques Derrida et Jean-Luc Marion, Figures de la phénoménologie, p. 212.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 44.
- Platon, Timée, 50a.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 54.
- Cf. J. Derrida, Foi et savoir n° 24, p. 34 : « Khôra ne sera jamais entrée en religion, et ne se laissera jamais sacraliser, sanctifier, humaniser, théologiser, cultiver, historialiser. »
- Platon, Timée, 53b.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 25.
- E. Falque, Noces de l’Agneau, p. 39.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 68.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 70.
- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 81.
- M. Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, p. 184 et p. 192.
- M. Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, p. 183.
- M. Merleau-Ponty, La prose du monde, p. 211.
- E. Falque, Noces de l’Agneau, p. 41-46.
- M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.
- M. Merleau-Ponty, Cours sur la nature
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- E. Falque, Le Combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques, p. 92.
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- M. Merleau-Ponty, La nature ou le monde du silence, Automne 1957.
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- M. Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence », Signes, p. 88
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