« Quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser,
j’irai l’asseoir à l’Académie Française. »
G. Bernanos
La saison est vraiment aux élections… après la victoire de Barak Obama à la présidence américaine, de Jessica Brouchard au titre de Miss-Andouillette 2008 sur le marché couvert de Brive-la-Gaillarde, de Ségolène Royal à la dignité de guignolette, et de Séraphin Lampion à la plus haute magistrature du collège de Pataphysique, vient enfin quelque chose d’un peu plus consistant sur le plan intellectuel… un nouveau venu est intronisé sous la coupole de l’Académie Française… L’inévitable Jean-Luc Marion, infatigable lecteur de l’œuvre de Descartes et philosophe catholique, a été élu à l’Académie française au fauteuil de Mgr. Lustiger, décédé en 2007. L’écrivain, âgé de 62 ans, a été élu au premier tour de scrutin, avec 11 voix sur 22 votants, contre quatre au journaliste Joël Schmidt, deux à l’écrivain Edouard Valdman et une au philosophe Maurice-Ruben Hayoun. L’auteur de Sur la théologie blanche de Descartes rejoint donc René Girard, Claude Levi-Strauss, Jacqueline de Romilly et Michel Serres sous la prestigieuse coupole du quai Conti ; au fauteuil « 4 », celui qu’occupèrent jadis Maurice Barrès et José-Maria de Heredia…
Nul doute qu’entrer à l’Académie est un bon moyen de se faire connaître du grand public. C’est ainsi que Jean-Luc Marion, plutôt rare sur les plateaux de télévision a fait sa grande entrée au journal télévisé de France 2. Comment passer au journal du soir ? C’est très simple. Et je le prouve : il faut en général épouser Carla Bruni, tuer – en série ! – une dizaine de personnes dans des circonstances atroces, civiliser l’Arabie avec des M16, se battre contre des androïdes dans un blockbuster californien… bref… cabotiner. Le seul et unique moyen de montrer sa trogne devant les millions de téléspectateurs du JT, devant le très très grand public, lorsque l’on écrit des livres profonds sur Descartes, est évidemment d’entrer à l’Académie. Ainsi, le 6 novembre dernier, à la toute fin du journal de David Pujadas, Marion faisait une discrète incursion dans le cirque people de la grand messe du « 20h »…
Après un sujet publi-rédactionnel consacré au film Ma très très grande entreprise, avec l’insupportable Roschdy Zem, David Pujadas évoque en « bref » et en « off » (il donne l’info en plateau sur des images) l’élection de Marion. Tandis qu’il donne l’information, passe à l’écran une très courte séquence d’archive extraite de l’émission Bouillon de culture, remontant à 1996. Il y a 12 ans. Une époque où l’on voyait encore, fût-ce à des heures tardives, des gens comme Marion sur les plateaux de télévision… La vidéo, évidemment, est purement « illustrative ». Il va de soi que l’on ne va pas donner un si précieux temps d’antenne à un penseur catholique. On exhibe plutôt l’intellectuel, spécimen rare. Ecce Homo. A la place de « Jean-Luc Marion vient d’être élu à l’Académie Française… » David Pujadas aurait très bien pu dire « Pour terminer, nous venons de découvrir une curiosité, un archaïsme anti-moderne que nous pensions disparu… regardez ces images exceptionnelles… il s’agit d’un spécialiste de Descartes. Oui, vous avez bien entendu. Son mode de vie est assez mal connu, mais semble néanmoins assez proche de l’homme. » Evidemment, la véritable information de cette fin de journal télévisé concerne moins Jean-Luc Marion lui-même, que l’Académie, dont les français aiment beaucoup admirer les dorures, se féliciter du prestige, et s’amuser du folklore (j’attends d’ailleurs avec impatience de voir J-L M. jouer avec son sabre…) ; mais cette incursion de Marion dans la fosse laisse rêveur…
Plusieurs remarques : si le nouvel académicien avait une existence médiatique plus tonitruante (passage à la Star Ac, liaison avec une actrice américaine en vue, etc.) lui aurait-on consacré un vrai reportage, avec une interview ? (La parole de Marion vaut-elle moins que celle de Roschdy Zem ?) France 2 semble être l’unique grande chaîne de télévision à avoir signalé l’élection de Marion à l’Académie : est-ce par réflexe conditionné « service public » ? Est-ce véritablement pour informer le public (le minimum aurait alors été d’évoquer un peu son œuvre…) ou bien pour frimer, purement et simplement… ? Et dans un service public audiovisuel sans publicité, aurait-on eu le plaisir de voir Marion en plateau, interrogé sur son dernier livre en date Au lieu de soi, l’approche de saint Augustin ? Est-ce parce qu’il succède au médiatique Lustiger qu’il a droit a ses 15 secondes de gloire warholienne ?
La presse en ligne a donné un écho plus important à cette information. Si la plupart des supports ont évoqué sobrement ( et sans passion ) le parcours académique et intellectuel de Marion, certains journalistes ont tenté de donner une consistance people au philosophe… ainsi, Lapaque dans le Figaro : « C’est ainsi que Jean-Luc Marion, petit homme invariablement habillé d’un nœud papillon, occupe la chaire de métaphysique à la Sorbonne, a enseigné à Rome, Harvard et Princeton, qu’il a succédé à Paul Ricœur à l’université de Chicago. » Le petit homme au nœud’pap’ a donc un passeport bien tamponné… ! D’accord. Lapaque, infatigable, poursuit : « Vous pouvez lui demander de vous parler de l’œuvre d’Emmanuel Levinas, mais aussi bien du championnat américain de base-ball qu’il suit lors de ses séjours outre-Atlantique et par une lecture assidue du quotidien L’Équipe. » Le petit homme au nœud’pap’ a donc un abonnement au quotidien sportif ! D’accord. Et ensuite ?
Comme la médiatisation mène à tout, nous avons même le grand bonheur de trouver Jean-Luc Marion sur le site du journal people Gala… et pas dans une reprise de l’AFP… mais dans un petit article écrit par la journaliste Laurence Aiach, qui indique : « « L’érudit iconoclaste » comme on l’appelle se passionne également pour l’athlétisme, le championnat américain de base-ball et L’Equipe qu’il lit religieusement chaque jour. » Belote et re-belote. Marion aime le sport. Ok. Comme Alexis Philonenko aime la boxe, Descartes aimait l’escrime et Platon adorait fréquenter de beaux gymnastes. La journaliste de Gala note : « Aujourd’hui, son élection donne donc un nouvel élan à l’Institution. Un vent de renouveau souffle sous la Coupole. » Carrément. Le renouveau. L’Académie va donc se transformer en temple de la modernité ? Organiser des journées « portes-ouvertes » ? Instaurer des quotas pour l’élection de ses nouveaux membres (par couleur de peau, sexe, religion, etc.) ? Remplacer les historiques bâtiments du quai Conti par une tour en béton signée Jean Nouvel ? Délocaliser l’Académie française en Seine-Saint-Denis pour « permettre aux immortels de mieux cerner les enjeux passionnants et si fugaces de ce nouvel aujourd’hui moderne et métissé ».
Espérons que Marion, dans le grand Dictionnaire de l’Académie, se charge des entrées « buzz internet », « peopolisation », « base-ball » et fasse un bon usage de son sabre d’apparat. (J’en veux un ! J’en veux un ! J’en veux un !)
PS : Dans un soyeux triangle des Bermudes qui va de la place de la Contrescarpe à Saint-Germain des Prés, en passant par l’avenue Montaigne et les bons coins du « nouveau » Montreuil bobo… tout agrégé, certifié, philosophe, demi-philosophe, prof, semi-prof, maître de conf’, Ater, semi-Ater à temps partiel, immortel de l’Académie des 9 ou des Grosse Têtes… devrait connaître le film d’Arnaud Despléchin « Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) » datant de 1996… le trentenaire normalien Paul Dedalus, prof’ supplétif à Nanterre – joué par Mathieu Amalric – cherche à finir son interminable thèse et à résoudre tant bien que mal son histoire d’amour impossible avec Esther, plantureuse traductrice jouée par la très ravissante Emmanuelle Devos. Humm…. Et dans une séquence inoubliable Paul offre à Esther un livre de Jean-Luc Marion… « l’emmerdeur en chef »…