Autour de Bachelard, il y a ceux qui l’ont précédé ou annoncé. Plus lointainement, tous ceux avec qui il dialogue. Si sa pensée est bien au centre de ce livre, la présence d’autres penseurs alentour est rien moins qu’indifférente. Ce n’est pas une gravitation d’astres sans histoire, tournant autour d’une imaginaire étoile filante. C’est le périmètre d’action d’une pensée qu’un historien des idées doit examiner avec attention.
1867 : Ravaisson, voyant poindre avec espoir, dans un renouveau spiritualiste, le contrepoids métaphysique à l’essor des sciences, invente le pont-aux-ânes de l’antimatérialisme : « Le matérialisme est l’explication du supérieur par l’inférieur. »
1962 : disparaît Bachelard qui, il y a peu, intitulait Le Matérialisme rationnel son dernier grand livre de philosophie des sciences. Il y cherchait, dans l’histoire récente de la notion de matière, ce qui, renouvelant la science, devait révolutionner l’esprit de la philosophie ; tandis que, de l’autre côté de l’océan, Thomas Kuhn prétend trouver La Structure des révolutions scientifiques sous leurs apparentes tribulations, dans une invariable loi des paradigmes de l’esprit en général. D’un spiritualisme à l’autre, aura-t-on finalement oublié l’original éclat de la lumière bachelardienne ?
À l’obscurité factice d’une longue nuit spiritualiste dont Bachelard aurait surgi de manière épique, ce livre propose d’abord de substituer l’idée d’une lente aurore de l’épistémologie bachelardienne. Comte, Lachelier, Boutroux, Bergson et, en arrière-plan, Démocrite, Aristote, Spinoza, Leibniz, Kant, Fichte, etc. : c’est avec et/ou contre tous ces philosophes que Bachelard donne sa couleur et son brillant propres à la philosophie des sciences au XXe siècle.