« Et soudain, devant l’injonction à répondre, s’imposa à moi la possibilité d’une solution : tourner, comme souvent, la faiblesse en force, l’échec en programme. “Tu te souviens que Spinoza dit quelque part que les choses sont produites par Dieu avec la même nécessité qu’il résulte de l’essence d’un triangle que ses angles sont égaux à deux droits. Nous savons aujourd’hui que cette prétendue ‘nécessité’ découle d’un choix d’axiomes et non d’un absolu fixé une fois pour toutes. Dans la géométrie de Riemann, cette mesure des angles peut même varier d’un point à l’autre, selon la courbure de l’espace. Je crois que j’aimerais pouvoir être ce genre de ‘spinoziste’ là : qui conserve le système, mais ne croit plus à l’essence du triangle et à l’absolue nécessité de la géométrie”. Un spinoziste riemannien, en somme. » (D. R.)
Le but de ce petit livre est de jeter les bases d’un tel programme. Il veut reprendre l’ancien rêve d’une éthique more geometrico, telle que Spinoza en a lancé le projet en plein cœur de la « révolution scientifique » et reposer avec lui la seule question qui vaille au fond : qu’est-ce que « bien vivre » ? De son modèle, il retient que ce « bien » ne doit pas être pensé comme une norme extérieure au désir des hommes, mais y prend au contraire sa source, de sorte que l’éthique est inséparable d’une théorie des affects et des désirs. Mais il veut le faire dans un cadre qui n’est plus celui d’une confiance absolue dans l’usage des formalismes, ni dans la capacité de l’homme à dévoiler les « lois de la nature » ou à détenir le secret des « lois de la pensée ». « Éthique locale » ne signifie d’abord que cette provocation à penser la possibilité d’une éthique rationnelle et systématique sans accepter le point de vue de surplomb, « global », que permettait la douce assurance d’un régime transparent du monde à la raison dont les deux premières parties de l’Éthique sont profondément empreintes.