Conférences du professeur Russell Friedman à la Sorbonne autour de la métaphysique trinitaire.
Le professeur Russell Friedman
(Katholieke Universiteit Leuven) donnera une série de conférences à l’EPHE
(en anglais, avec un résumé en français et des textes latins) :
A l’EPHE, Sorbonne, Entrée par le 17, rue de la Sorbonne. Escalier E, 1er étage, salle Corbin, le mardi de 14h 15 à 16h.
« Métaphysique trinitaire et théologie naturelle au XIVe siècle »
1) La Trinité et les catégories d’Aristote : différentes manières d’expliquer l’identité et la distinction (11 Mars)
Le but principal de la théologie trinitaire est d’expliquer comment trois personnes réellement différentes, le Père, le Fils, le Saint Esprit, peuvent être essentiellement identiques, c’est-à-dire identiques dans l’essence divine une et simple. Dans la tradition occidentale, latine, deux théories principales ont été proposées pour expliquer cela, et toutes les deux utilisent les catégories d’Aristote. La première théorie provient d’Augustin (+ 430) et Boèce (+ 525), elle se focalise sur la relation comme facteur qui produit la distinction réelle entre les personnes. La seconde théorie fut clairement formulée pour la première fois par Richard de Saint-Victor
(+ 1173) et se concentre sur les catégories aristotéliciennes d’action et de passion, même si Richard lui-même appelle les traits qui distinguent les personnes entre elles des « émanations ». – Cette conférence examinera ces deux théories et leur développement en deux explications rivales au XIIIe et au XIVe siècle: des dominicains comme Thomas d’Aquin (+1274) insistent sur la relation, tandis que des franciscains comme Bonaventure (+ 1274) et Jean Duns Scot (+ 1308) insistent sur l’émanation.
2) La Trinité et la psychologie humaine : « Au commencement était le Verbe » (18 Mars)
L’Evangile de Jean commence par décrire la seconde personne de la Trinité, le Fils, comme un « Verbe ». Augustin a repris cette remarque extrêmement brève et a construit sur elle un « modèle psychologique » de la Trinité, dans lequel le Fils est le concept ou le verbe mental pensé par le Père. Le modèle psychologique devint immensément important dans l’occident latin à la fin du XIIIe siècle, après que les oeuvres d’Aristote furent traduites en latin. – Cette conférence examine la manière dont la théorie du concept (et les théories du vouloir) jouent un rôle majeur dans la théologie trinitaire du Moyen Age tardif. Elle montrera en particulier comment un groupe de penseurs, surtout franciscains, a pensé que la psychologie humaine était une description précise de la réalité trinitaire de Dieu, le Fils étant réellement un concept émané par l’intellect divin. Des penseurs dominicains ont rejeté cette admission. Henri de Gand (+ 1293), Jean Duns Scot et Pierre d’Auriol (+1322) seront étudiés comme les principaux représentants du premier groupe, Durand de Saint-Pourçain (+1334), du dernier.
3) La Trinité et la métaphysique: la distinction formelle et la possibilité d’une théologie trinitaire naturelle (25 Mars)
Si le Fils est un concept ou un verbe, il est produit par une émanation intellectuelle, c’est-à-dire une émanation issue de l’intellect divin. Pour Jean Duns Scot, cela exigeait que l’intellect divin soit distingué de l’essence divine par une « distinction formelle », une distinction qui est moins qu’une distinction réelle mais qui est néanmoins actuellement en Dieu. En effet, Scot pensait que l’on pouvait « prouver » qu’il y a trois et seulement trois personnes, à partir du fait que Dieu ne possède que deux puissances productives, l’intellect et la volonté: le Père est non-produit, le Fils est produit par l’intellect, et l’Esprit saint produit par la volonté. Mais que se passe-t-il quand un penseur rejette la distinction formelle de Scot entre l’essence et l’attribut ? Trois exemples de ce rejet seront présentés : Pierre d’Auriol, Guillaume d’Ockham (+ 1347) et François de la Marche (+ après 1344). Chacun de ces penseurs nie qu’il y ait un intellect formellement distinct par lequel le Fils est produit comme Verbe ; à la fois Ockham et la Marche atténuent de manière significative le modèle psychologique de la Trinité. Nous verrons aussi certaines réactions scotistes à ces vues innovantes chez Jean Baconthorpe (+ vers 1348) et Nicolas Bonet (+ 1343).
4) La Trinité, la connaissance demonstrative, et le fidéisme, ou: Gilson avait-il finalement raison à propos du XIIIe siècle ? (1er Avril)
Etienne Gilson était l’un des nombreux historiens du XXeme siècle qui ont soutenu que le XIVeme siècle a mal tourné, en partie parce qu’il est devenu plus fidéiste, acceptant sur la base de la foi des positions que le XIIIe siècle croyait pouvoir établir par des preuves. Cette conférence examine les preuves pour ou contre la position de Gilson, dans la discussion du XIVeme siècle sur la théologie trinitaire. En examinant les idées trinitaires, spécialement chez Walter Chatton (+ 1343), Robert Holcot (+ 1349), et Grégoire de Rimini (+ 1358), je montrerai que certaines pensées trinitaires du XIVeme siècle sont plus fidéistes que ce n’est le cas pour la pensée du XIVeme siècle. Je suis à la trace ces appels à la foi, et le rejet de toute possibilité d’une connaissance démonstrative en théologie trinitaire, jusqu’à une nouvelle « esthétique théologique », dans laquelle la simplicité divine était accentuée au point que l’explication en théologie trinitaire est devenue impossible.