Le spectre de la modernisation hante la planète. On compare les sociétés en s’interrogeant sur les avancées ou sur les reculs de ce front apparemment irréversible de modernisation. Or, chose étrange, on manque toujours d’une description anthropologique de ceux qui se désignent comme étant à l’origine de ce mouvement. Dans un précédent livre, Bruno Latour avait fait l’hypothèse que « nous n’avons jamais été modernes » : le développement des sciences et des techniques nous aurait entraînés dans une histoire d’attachements chaque jour plus intimes entre humains et non-humains. Une histoire tout à fait contraire de celle des Modernes s’émancipant toujours davantage de la nature.
Pour repérer les valeurs multiples et contradictoires auxquelles tiennent ceux qui se disent Modernes, il faut accepter qu’il y ait plusieurs régimes de vérité, plusieurs types de raison, plusieurs modes d’existence dont l’enquêteur doit dresser avec soin les conditions de félicité et d’infélicité. On peut alors revisiter le coeur de notre vie collective : les sciences, les techniques, mais aussi le droit, la religion, la politique et, bien sûr, l’économie, la plus étrange et la plus ethnocentrique des productions. Et se poser autrement ces questions : Que nous est-il donc arrivé ? De quoi pouvons-nous hériter ? Qu’avons-nous en propre ? L’enjeu n’est pas mince au moment où les crises écologiques obligent toutes les sociétés à repenser ce qu’elles ont en commun.
Pour avancer dans ces questions, l’auteur a mis au point un dispositif original qui s’appuie sur une enquête collective auquel le livre sert d’introduction, de rapport provisoire. Grâce à un environnement numérique monté tout exprès, les lecteurs pourront participer au recueil des expériences multiples repérées par l’enquête, avant de devenir coproducteurs des versions finales. C’est par cet exercice d’« humanités numériques » que l’auteur prétend renouveler, avec ses lecteurs, l’anthropologie philosophique des Modernes.