Les empiristes franco-berlinois, au XVIIIe siècle, ne conçoivent pas seulement l’expérience comme l’origine des connaissances humaines, mais aussi comme le principe de leur exposition systématique bien fondée : la voie de l’invention, supposée partir de l’expérience sensible, doit être convertie en une méthode universelle, qui reçoit le titre ancien d’analyse. Or cette expérience réside, non pas dans la passivité d’une sensation introuvable, mais dans le moment où l’esprit s’applique au matériau donné et le manipule, c’est-à-dire dans la réflexion. Telle est l’invention de l’empirisme, que l’histoire des philosophies réflexives a recouverte et dont il faut produire la généalogie : la réflexion même, comme expérience et comme lieu d’insertion de l’esprit dans l’expérience. Le problème est de savoir si, conçue dans ces termes, la conscience empiriste peut atteindre le fondement des sciences mathématiques qui, de droit, ne doivent pas rappeler leur origine présumée dans l’expérience sensible, faute de perdre la généralité et la nécessité qui déterminent la valeur de leurs concepts. Les pôles distingués dans ce livre – un empirisme de la genèse et un empirisme de la constitution – révèlent la véritable urgence d’oppositions fondamentales en philosophie de la connaissance.
André Charrak est actuellement Maître de conférences à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et membre de l’UMR 5037 du CNRS