Alain Jugnon met Debord – les textes de Guy Debord – à l’épreuve d’une situation politique aujourd’hui marquée par la « restauration » sarkozienne : sa haine de l’art, de la littérature, de la philosophie… Le Devenir Debord n’est pas un livre de plus sur Debord (sa vie, son œuvre), mais avec Debord, ici considéré comme un instrument de lutte contre une politique globale du capital qui tient l’homme pour rien.
Pour enseigner la philosophie (et la maîtriser supérieurement, comme en atteste son Nietzsche et Simondon récemment paru chez Dittmar), Jugnon n’en instruit pas moins un profond procès contre la philosophie en général. Il ne pense pas en philosophe, mais en écrivain : même vitesse, même ton d’affirmation. Il cite, certes, mais comme on donne à entendre des voix dans un théâtre de pensée. Aucun souci de démonstration. C’est une philosophie cependant, mais une philosophie performative – de performance et de performation (en art, on dirait que cela ressemble à une installation). Tout est en réalité pris dans un mouvement, dans une vitesse tels que c’est tout entier à prendre ou à laisser. Puisqu’il s’agit de nuire à un système à quoi il semble que rien ne puisse nuire, tout est bon pour alimenter la forge ou, comme disait Nietzsche, pour faire sa pelote.
Comment commence-t-il ? Ainsi, pas en philosophe, donc : « Mais le mot dont il s’agit pour nous ici a nom : Debord. C’est une voie de fait, un acte politique, du terrorisme intellectuel. » Pas seulement une pensée, donc, mais une pensée en acte, en acte politique, contre la politique pensée par la restauration sarkozienne : sa haine de l’art, de la littérature, de la philosophie… Debord est ici le nom possible – prétendument nihiliste – d’un combat – contre le vrai nihilisme. À ce vrai nihilisme, Jugnon donne le nom d’antihumanisme. Pas au sens admis depuis Foucault, aujourd’hui intenable (trop abstrait, trop conceptuel). Au sens au contraire où il s’agit de reproduire de l’homme contre tout ce qui s’emploie à le tenir pour rien ; et la politique sarkozienne, nom transitoire d’une politique globale du capital, tient l’homme pour rien, le réduit à rien, au mieux le ridiculise, au pire le nie.
Poème si l’on veut, mais poème politique que ce Devenir Debord. Lautréamont, Rimbaud, Nietzsche, Deleuze, Nancy traversent aussi ces pages, que Jugnon cite, souvent, toujours avec passion (ni pour applaudir ni pour se justifier). Citations qu’il emploie par appropriation, et non par ajout ; pas pour ajouter des lignes aux lignes, mais de l’expérience à l’expérience, de la chair à la chair, de la vie à la mort…