Alain a quarante-six ans quand il s’engage, en août 1914, pour une guerre dont il est dispensé et contre laquelle il s’est toujours battu. Du champ de bataille où il sert comme artilleur, il écrit beaucoup et surtout à ses deux complices, Marie Salomon et Marie-Monique Morre-Lambelin, textes patiemment rassemblés, pour la première fois, dans ces Lettres aux deux amies par Emmanuel Blondel, spécialiste de l’œuvre du philosophe. La guerre qu’y décrit l’écrivain, de son vrai nom Émile Chartier, professeur de philosophie au lycée Henri-IV et au collège Sévigné, cofondateur de la Revue de métaphysique et de morale, s’oppose à tous ces récits voués à l’héroïsme, à cette littérature des tranchées qu’il juge « laide » et bourrée de mensonges. Dans ces lettres écrites « au galop » sous les volées d’obus, il y a d’abord la grâce du style, mais aussi une profonde humanité, une clairvoyance absolue sur le cataclysme du premier conflit mondial et des sentences sans appel contre « les crétins et les calotins qui se partagent le pouvoir. »
Préférant le front à l’insupportable vie civile, Alain le pacifiste a donc choisi d’être aux côtés des « meilleurs ». Ceux qu’on envoie au massacre, ces spectres qu’il voit revenir des assauts, hagards, dans la boue des chemins. Parmi tous ces morts, ses anciens élèves – « mes braves petits, presque tous tués » – dont les noms s’égrènent au fil des mois de carnage. Mais il faut se tenir droit et c’est pendant ces années de combat que se construit la future œuvre, foisonnante, de celui qui deviendra le premier intellectuel.
Alain, de son vrai nom Émile Chartier, (3 mars 1868 à Mortagneau-Perche-2 juin 1951 au Vésinet, Yvelines), journaliste, écrivain, philosophe.
Emmanuel Blondel, professeur de philosophie en classes préparatoires, vice-président de l’Association des Amis d’Alain, directeur de l’Institut Alain et administrateur littéraire de l’œuvre du philosophe.