On appellera « démophobie » toute méthode de contournement ou de rejet de la « parole » du peuple qui procède de l’allergie, de l’appréhension ou de la défiance que ce même peuple suscite, qu’on l’estime « ignorant », victime de ses affects — suraffecté ou désaffecté. Elle est le propre des gouvernements, chaque fois que, confrontés à une contestation ou des revendications « populaires » qui les dérangent, ils commencent par minimiser cette parole ou la discréditer. Mais elle constitue aussi le point commun aveugle des théoriciens qui fustigent les « dérives » de la démocratie et se méfient des élections et de leur résultat, quand ils ne lui refusent pas toute légitimité. En interrogeant les présupposés de ces pratiques et de ces théories « démophobes », le présent essai entreprend de redonner son sens au suffrage « populaire » et d’en rétablir les enjeux.
Auteur :
Marc Crépon est directeur de recherches au CNRS (Archives Husserl) et l’actuel directeur du département de philosophie de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Il est l’auteur de nombreux livres, dont « Vivre avec » aux Éditions Hermann.