La tentative d’une phénoménologie des affects doit, pour se déployer, s’affranchir doublement des doctrines phénoménologiques fondatrices de Husserl et Heidegger. Une première fois en transgressant l’a priori universel de corrélation, qui légitime le statut de l’objet phénoménologique chez l’un, et l’a priori structurel-existential qui radicalise le projet ontologique du Dasein chez l’autre. Une seconde en instaurant une autre approche du sentir et du corps de chair, « grands absents » d’Être et Temps, où l’affect est bien désigné selon sa « cooriginarité » au comprendre mais ans que leur entrelacs advienne à la parole philosophique. L’éclairement de l’existence et de ce à quoi elle s’origine a toujours exigé du philosophe, selon le mot de Hegel, des « concepts inconcevables » – et si l’affect se donne dans son événement comme rebelle au concept, vivant de le déborder – se donne comme l’irréductible surgissement d’un surcroît, où vacille le sens d’être, sinon se volatilise son là, c’est qu’il a partie liée avec l’aventure d’exister, et l’imprévisible des courants qui la traversent, ou des écueils qui la brisent.
Ce troisième tome de la Phénoménologie des sentiments corporels, consacré à la joie, la jouissance et l’ivresse, est lisible indépendamment des précédents. Il explore le sens de ces affects selon diverses voies, de la jouissance orgasmique à la joie de la compréhension, dans différentes traditions, de la Torah au bouddhisme tibétain, et chez de nombreux penseurs, d’Epicure et Platon à la philosophie française contemporaine.