Exercices sur le tracé des ombres s’inscrit de façon originale dans le champ des publications consacrées à Walter Benjamin. S’appuyant principalement sur Sens unique et le Livre des passages – soit, dans le temps, les œuvres extrêmes de l’auteur d’Origine du drame baroque allemand –, mais aussi sur sa correspondance (notamment ses échanges essentiels avec Scholem et Adorno), l’ouvrage prend en compte des points peu traités quant à lui par la critique française, dont la mise en question de la personne (de la personnalité), la construction du moi au travers des objets, des lieux, du frayage même de l’impersonnel. Y est reconsidérée – selon une perspective qui met en exergue un écrivain-philosophe foncièrement politique – sa conception du temps et de l’histoire; soulignée la puissance, pour elle, de l’idée de révolution, loin des palinodies des interlocuteurs et amis les plus chers (Adorno, Scholem). L’essai accorde toute sa place au régime de l’inactuel (cette déchronicité aussi prégnante chez Benjamin que chez Nietzsche) et s’attarde, naturellement mais avec invention, au travail de la citation : « espace-rupture », cœur intense, dans le geste d’écrire, de l’opération de minage du corps-auteur qui aura constamment mobilisé une pensée dont Anne Roche veut et sait garder vifs tous les éclats, toutes les tensions.