Pourquoi les oiseaux chantent-ils, le paon se pavane-t-il ? Pourquoi le lion ou le tigre ont-ils une livrée aussi somptueuse ? Mais aussi : pourquoi édifie-t-on des monuments sur les places publiques de nos villes ? Pourquoi les hommes ressentaient-ils jadis le besoin de s’exhiber en uniformes rutilants sur les champs de bataille ? Pourquoi les objets d’usage courant ont-ils le plus souvent été ornementés ? Bref, pourquoi cet étalage de formes ? À ces questions, on répond le plus souvent par diverses explications utilitaires et fonctionnelles : la vie animale comme la vie humaine serait régie en dernière instance par l’exigence de la survie et de la conservation.
Or, un examen sans préjugés montre que le principe d’utilité n’a qu’une validité limitée. Pour des fins purement utilitaires, des moyens réduits auraient largement suffi. Il est donc nécessaire, par fidélité au réel, d’élaborer un horizon élargi où ces laissés-pour-compte éclatants puissent devenir intelligibles sans cesser d’être partiellement énigmatiques. En effet, n’y a-t-il pas, non seulement chez l’homme, mais dans la vie animale et végétale, une tendance à manifester ce que l’on est, à paraître au lieu de simplement être ? Comme si l’être simple se redoublait dans un paraître sans fonction immédiate. La réflexion menée dans cet ouvrage sur la merveille de l’apparaître n’est pas sans analogie profonde avec celle qui se rapporte au cycle du donner-recevoir-rendre. Car l’une comme l’autre montrent, en termes philosophiques, qu’il y a une contingence des formes sociales comme des formes naturelles, qui excède tout principe de nécessité et d’utilité. Même si on peut s’apercevoir ensuite qu’il existe quelque chose comme une utilité de l’inutile.
Jacques Dewitte : La manifestation de soi. Eléments d’une critique philosophique de l’utilitarisme
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