Jean-Jacques Rousseau, penseur nostalgique de la « pure nature » perdue et de la chute dans la société technique, était-il égaré dans le siècle des Lumières auquel il était foncièrement étranger ? Cette acception galvaudée d’une œuvre qui ne peut en aucun cas être réduite à un tel cliché méritait d’être revue pied à pied. Certes, Rousseau comprend le caractère aussi déterminant qu’irréversible de la technique pour l’homme et les sociétés modernes, et il en mesure les conséquences dans tous les domaines où elle s’impose à l’individu, pour la vie morale comme en politique. Par là, d’ailleurs, il entrevoit et en dénonce de manière prophétique les risques et les dangers. Mais en même temps, l’auteur du Discours sur les sciences et les arts, de l’Émile et du Contrat social propose une philosophie qui vise à réconcilier l’homme avec ses machines, voire selon laquelle la technique permettrait à l’homme de s’accomplir au sein des sociétés humaines.
C’est donc là un autre Rousseau qui est donné à lire : celui qui s’oppose à l’idéologie du progrès pour le progrès et du « tout technologique », qui affirme les valeurs morales de l’autonomie et de la liberté, qui définit, bien avant les révolutions scientifiques de l’époque moderne, un ambitieux programme écologique et éthique de « précaution » (H. Jonas). Rousseau n’est-il pas un penseur du « durable » pour le XXIe siècle ?