Karl Löwith : Max Weber et Karl Marx

Max Weber et Karl Marx publié en 1932 est le premier portrait parallèle des deux penseurs. Dans cet ouvrage, il importe à Karl Löwith de faire appréhender la constitution capitaliste de l’économie et de la société modernes. En dépit de leurs différences, un trait commun relie le sociologue « bourgeois » au révolutionnaire communiste. L’un et l’autre se donnent pour objet la société moderne en tant que société capitaliste bourgeoise. Insistance sur le capitalisme d’autant plus forte que pour Weber comme pour Marx, la formation sociale capitaliste « embrasse l’homme contemporain dans le tout de son humanité ».

Il s’agit dans cet essai de remédier à une double perte. D’une part, recouvrer la radicalité de l’analyse critique de Marx effacée par la vulgate marxiste, de l’autre réactiver les thèmes premiers de Weber. Tableau contrasté donc : du côté de Weber, une interprétation du capitalisme à partir de la rationalisation, du côté de Marx, une critique unitaire du capitalisme qui prend pour fil conducteur l’aliénation de soi, le coeur de la pensée marxienne selon Karl Löwith. Si l’on tient compte du fait que pour Weber la raison peut s’inverser en son contraire, une rencontre ne se produit-elle pas avec Marx et le phénomène de l’aliénation de soi ? Mais tandis que Weber invite à un renoncement pour préserver la liberté attachée à la rationalité, Marx appelle à un renversement révolutionnaire. Selon le préfacier Enrico Donaggio, soit la liberté de tous, après le capitalisme, soit la dignité de quelques-uns, malgré le capitalisme. Il n’en reste pas moins qu’un étrange échange existe entre les deux penseurs, comme si la langue de la rationalisation pouvait se traduire dans la langue de l’aliénation de soi et inversement.

La traduction de cet ouvrage paraît particulièrement bienvenue. A travers ce que l’on appelle « la crise » une évidence revient en force, à savoir que nous vivons sous l’emprise du capitalisme tel qu’il contribue à déterminer le destin humain du monde contemporain. Weber, Marx, deux oeuvres qui, au-delà de leurs différences, circonscrivent au mieux « la tragédie de la modernité »., rationalisation ou aliénation de soi ou jeu croisé des deux.

Le préfacier italien, Enrico Donaggio, spécialiste de Karl Löwith, retrace dans un précieux avant-propos l’itinéraire intellectuel de l’auteur. Premier élève de Heidegger, marqué par le charme enchanteur de Max Weber, Karl Löwith conçoit le projet d’une anthropologie philosophique qui s’assigne pour tâche la définition de la condition humaine à la lumière de la condition moderne. La lecture des écrits du jeune Marx à partir de 1927 l’engage à élargir cette analyse de la relation intime de l’émitié et de l’amour au champ politique et social. De là l’écriture de l’ouvrage désormais classique, Max Weber et Karl Marx où Enrico Donaggio perçoit « deux trouées d’espérance » pour celles et ceux qui se refusent à considérer le capitalisme comme notre inéluctable destin.

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