« Lors de la réception des colis de sa mère, Nietzsche accroche les saucisses – délicates au toucher – sur une ficelle pendue à ses murs : il faut imaginer le philosophe rédigeant L’Antéchrist sous un chapelet de saucisses…»
Michel Onfray
L’insignifiance, chez les philosophes, se mesure souvent au degré de mimétisme qu’ils affichent avec leurs maîtres respectifs. Ainsi Bernard-Henri Levy ne sera que la pâle copie de son Sartre de fantasme (Jamais avare d’un engagement en faveur du bien). Alain Badiou apparaîtra comme un amusant petit Marx à lunettes (Rêvant secrètement d’une conversion des jeunes de banlieue, de la si festive économie de marché à la si austère doctrine communiste). Et Tony Negri, vivant certainement dans le paradoxe d’un amour sauvage (mais inavoué) pour Silvio Berlusconi, se présentera comme l’ombre sautillante – mi-Polichinelle d’opérette mi-Roberto Bénigni – d’un Gilles Deleuze goût pépéroni, convaincu de pouvoir changer la face de l’occident grâce à son superbe accent italien et accessoirement à ses « idées ». Dans cette tradition de l’insignifiance philosophique se dresse aussi le monument qu’est Michel Onfray, auteur à succès, promoteur de subversives « Universités populaires » (construites sur une foi sincère en l’éducation populaire, mais aussi sur une antipathie affichée envers la philosophie académique et universitaire), pourfendeur des religions, athée compulsivo-fanatique, ami d’Olivier Besancenot, défenseur d’une improbable « gestion libertaire du capitalisme », proche de l’agriculteur bio José Bové, comique troupier, convaincu que le nazi Eichmann était inspiré par le kantisme1, hédoniste en carton pour « Espace culture » de Centres Leclerc provinciaux, libertaire de plateaux de télévision et philosophe français contemporain.
Michel Onfray chouchou de la presse française et bouffeur… de curés.
Michel Onfray marche dans les pas de Nietzsche. Il aimerait sincèrement se faire appeler « Friedrich » par son bottier prussien ou son chapelier munichois. Caresser la chevelure d’une quelconque Lou Andréas-Salomé en lui récitant des poèmes allemands. Devenir complètement dingue à Venise. Jouer du piano quand rien ne va plus. Philosopher à coups de marteau et écrire Le Gai savoir pour épater la galerie. Bref, Michel Onfray aimerait bien rejoindre son idole sur les hautes cimes du panthéon philosophique mondial. On imagine bien son intérieur tapissé de posters de Nietzsche. On soupçonne sa cuisine de receler quelques mugs « Nietzsche » commémoratifs du meilleur goût. On craint aussi qu’il porte souvent, sous son sage costume bourgeois, quelques tapageurs t-shirts reproduisant la figure du grand chinois de Königsberg.
Un mug commémoratif « Nietzsche » issu de la collection personnelle de Michel Onfray. (Merci à sa famille)
C’est bien en héritier de Nietzsche que la presse le célèbre bruyamment depuis des années. Onfray est typiquement le philosophe « rebelle ». A la fois rebelle à la société de consommation, au libéralisme, aux religions, aux « pouvoirs », aux pensées mortifères, à tout ce qui milite contre le plaisir individuel ; mais aussi « rebelle » à la philosophie institutionnelle. Rebelle à la philosophie telle qu’elle est enseignée au lycée et à l’Université. Rebelle à la philosophie des « grands » auteurs classiques, et promoteur d’une histoire « alternative » de la philo, peuplée d’auteurs secondaires et/ou incompris. Onfray est vraiment notre néo-Nietzsche compatible à 100% avec le monde moderne et son système médiatique – qui l’a accueilli comme un « messie », une figure religieuse… ce qu’il est profondément.
Yann Moix, l’auteur de Podium, le louait en ces termes dans le Figaro littéraire au mois de février 2009 : « Voici dix ans qu’il a irrémédiablement claqué la porte de la Sorbonne et des dissertations. Son amphithéâtre est la France profonde, et je vous prie de bien vouloir prendre « profonde » dans son acception la plus digne : qui entre profondément dans les choses. » Brrrrrrr…. Encore cette saleté de Sorbonne et ces ignobles dissertations bourgeoises ! Elles ont encore frappé ! L’amphi de Onfray est la France profonde. Evidemment. Tourner le dos à la Sorbonne c’est aussi tourner le dos au quartier latin… Quelle idée ! Yann Moix, fasciné par toutes les grandes figures de la pensée française de Claude François à Michel Onfray, repart au combat pour défendre son philosophe fétiche : « On critique son sectarisme ? C’est de la cohérence. On moque son entêtement ? Il s’agit de constance. On déplore son arrogance ? De la pure fermeté. On évoque son dandysme ? Ça s’appelle la liberté. » Inattaquable l’icône Onfray. Aucun défaut. Immaculée conception. Moix n’a pas peur de grossir le trait. Son Michel Onfray sent bon la perfection dont on forge les surhommes. A tel point que cette perfection en devient aveuglante… Moix, reconnaissant les imperfections de la lecture souvent caricaturale de Nietzsche par son idole, en vient à prétendre que la précision est secondaire en philosophie : « Quant à Nietzsche, c’est très simple : en admettant que Michel se trompe, je préfère la façon dont il en parle en se trompant que la manière dont d’autres en parlent sans se tromper ! »
A l’heure de l’hégémonie du storytelling, l’exactitude d’un commentaire philosophique ne pèse pas bien lourd dans la balance. L’important est de raconter une belle histoire. D’alimenter un discours badin destiné aux médias. L’important est de bavarder, en somme… Mais attention… on retient son souffle avant de lire cette fulgurance de Yann Moix… que les femmes, les enfants et les plus sensibles d’entres vous quittent la pièce sans délais…. « Nietzsche vu par Philippe Sollers, ce n’est pas Nietzsche, c’est Philippe Nietzsche. Vu par Onfray, c’est Michel Nietzsche. » Ca fait très mal. Je vous avais prévenu. Dès lors que « Philippe Nietzsche » et « Michel Nietzsche » l’emportent sur l’auteur de Zarathoustra, naturellement tout est permis… Moix finit évidemment son article en opposant sans surprise un méchant Nietzsche de l’université, qui ne serait pas en prise avec les préoccupations des individus, et un autre Nietzsche autrement plus intéressant, celui des « possibles », le « Michel Nietzsche », celui qui est un peu bancal et inexact, mais tellement plus sympa…
Dans un autre registre le Nouvel Observateur dressait, en 2003, le portrait suivant de ce « Michel Nietzsche » si attachant, en professeur d’Université Populaire : « Tous les mardis, Michel Onfray, philosophe hédoniste, quitte la djellaba rapportée d’Egypte, son bleu de chauffe d’écrivain, comme Flaubert, embrasse sa compagne Marie-Claude, monte dans son vieux coupé Mercedes (380.000 kilomètres), s’engage dans la rue des Fleurs, à Argentan (Orne), qu’il parfume de ses volutes bleues, et par la route de Falaise, familière jadis aux ducs de Normandie, rejoint Caen, où l’attendent la coiffeuse retraitée, l’infirmière de nuit, le neurochirurgien honoraire, l’employé des pompes funèbres, le pilote d’Airbus qui aménage ses rotations à Air France en fonction de ce rendez-vous et 250 autres élèves qui pour rien au monde ne manqueraient le cours du professeur Onfray, à l’Université populaire qu’il a fondée en 2002 et anime sans relâche. » Les héritiers de Nietzsche roulent donc dans de vieilles berlines allemandes décaties, écrivent dans des djellaba, sont amoureux de femmes s’appelant Marie-Claude et bravent les kilomètres pour aller à la rencontre des « vrais gens » et au contact du pays réel… On le verrait, Nietzsche, donner des cours de philo à des pilotes de lignes et à des mandarins hospitaliers surpayés ?
Mais, plus sérieusement, cette inspiration nietzschéenne ne doit pas nous faire ignorer l’autre grande influence de Michel Onfray : la figure de Diogène de Sinope, dit « le chien », fondateur de l’école philosophique « cynique ». Personnage atypique, attachant, déambulant souvent nu dans Athènes, invectivant les passants, baladant une éternelle lanterne allumée en plein jour, et criant sous le soleil de midi « Je cherche un homme ! Je cherche un homme ! » Personnage provocateur et exhibitionniste, toujours en représentation sur la place publique, face aux athéniens subjugués. Provocateur professionnel, n’hésitant pas à lancer au grand Alexandre : « Pousse-toi, tu me caches mon soleil ! », alors que le maître du monde se penchait au-dessus du tonneau qui servait d’abris au « chien ». C’est moins le sens de la provocation et de la subversion de Diogène de Sinope que Michel Onfray semble reprendre à son compte, mais son extraordinaire sens secrètement narcissique de la représentation…
Car Michel Onfray est vraiment de toutes les émissions culturelles, de tous les débats télévisés, de toutes les causeries radiophoniques, de tous les shows tv transgenre mêlant échanges d’idées et variété. Il est partout. A l’instar d’un certain nombre d’autres « philosophes médiatiques », il a été breveté par les médias audiovisuels francophones comme un « bon client », capable de s’exprimer et de débattre à propos de n’importe quel sujet de commande, capable – surtout – de trimbaler les vieilles guêtres de sa « rebellitude » professionnelle chic sur le canapé d’un Michel Drucker comme sur la sellette d’un Laurent Ruquier. Alors forcément on s’est attaché. Comme il est partout présent, on a commencé à bien l’aimer. Peu à peu il a fait partie de la famille. Et on ne raterait pour rien au monde ses passages dans la lucarne enchantée…
Et justement, c’est à un grand numéro d’exhibitionnisme télévisuel que Michel Onfray s’est récemment livré dans l’émission « Thé ou café » diffusée par France 2, et présentée par Catherine Ceylac. Durant près d’une heure, le philosophe s’est livré, la larme à l’œil, au jeu des confidences auto-biographiques. Mais à la différence de son idole Nietzsche, donnant des clés de ses œuvres, avec distance et humour dans Ecce Homo… Onfray nous a offert le spectacle assez désolant de la mise en scène de son immodeste « moi » gouvernant sa pensée. Ce « moi » que Malraux qualifiait avec raison de « misérable petit tas de secrets », en balayant d’un revers de la main les tentatives d’intrusions dans sa véritable histoire personnelle. Onfray, lui, ne cherche pas à bâtir une légende. Il est très satisfait de nous renseigner sur ses motivations intimes, sur sa vie quotidienne, sur son histoire personnelle…
Michel Onfray – thé ou café -19.04.08 – part1-3
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L’émission « Thé ou Café », diffusée depuis le milieu des années 90 par France 2, est programmée très tôt le week-end (8h50 le samedi et 7h le dimanche). Catherine Ceylac, la présentatrice, s’est fait une spécialité des confidences sur canapé, des interviews cosy, des déclenchements lacrymaux, des conversations à battons rompus ; le tout dans un univers « féminin », mêlant bienveillance maternelle, couleurs pastelles du décor, sourires charmeurs, et froissements de jupe2. L’émission est habituée à recevoir des stars du show-biz (pour les dernières semaines : Gérard Klein, Gilbert Montagné, Olivia Ruiz, Patrick Sébastien, etc.), et n’invite que rarement des écrivains tels que Michel Onfray.
Le site web de France 2 nous offre, à propos de ce programme, cette accroche certainement rédigée par la régie publicitaire de la chaîne : « Depuis 1996, Thé ou café conjugue avec brio information, conversation et intimisme. Comment expliquer le succès de ce rendez-vous installé depuis plus de 10 ans comme le leader absolu de sa tranche horaire ? »3 Catherine Ceylac donne sa clé : « Depuis le temps que nous sommes à l’antenne, un climat de confiance s’est créé avec eux (les invités). Nous montrons le meilleur d’eux-mêmes, et travaillons énormément en amont pour nous familiariser au maximum avec leur univers. » Inutile de dire que l’état d’esprit des interviews de Catherine Ceylac n’est pas à la polémique, du moins en apparence, comme nous allons le voir. La bienveillance garantit certainement les 30% de part d’audience du programme…
L’animatrice présente en ces termes son atypique invité écrivain : « C’est un libre penseur, c’est un hédoniste, c’est un épicurien, c’est un homme qui se dit athée, c’est aussi un philosophe… »…Ceylac plaisante, tant la profession de son invité dénote par rapport aux habitués de son émission : « Les téléspectateurs vont se dire… ‘non… un philosophe !’… ils vont fuir… » Dès le début du programme, l’enfance d’Onfray est convoquée. Et le nom de Freud est prononcé dès la troisième minute de l’émission…. Onfray a eu une enfance heureuse à la campagne, avant de subir l’enfer dans un établissement scolaire tenu par des religieux. Dans un style à la Marcel Pagnol, il évoque avec une nostalgie calibrée : « Le jardin de mon père, et la cuisine de ma mère ». Ah ! Ce père ouvrier qui rentrait « fourbu » du travail ! Ah ! Cette mère femme de ménage, abandonnée à sa naissance, à l’assistance publique ! Ah misères de l’enfance ! Ah ! Beauté morale du prolétariat ! Ah ! Parcours sacré de l’intellectuel issu des couches plébéiennes ! Ah ! Ah ! Ah !
Ceylac est pro. En moins de dix minutes le tableau est brossé. La table est dressée. Et Onfray, déjà mis à nu, lâche le morceau : la philo l’a « sauvé ». Car oui, pour Onfray la philosophie « sauve » et aide à vivre. Elle ne s’étudie que dans cette perspective individuelle. Un premier reportage réalisé par Alexandra Gardes revient sur la jeunesse de Michel Onfray. Le philosophe reconnaît que son projet de vie (« être libertin et libertaire »), plonge ses racines dans son passage difficile chez les pères Salésiens. Sa conscience politique, quant à elle, plonge ses racines dans une première expérience professionnelle difficile dans une fromagerie où il « découvre l’anarchisme ». L’histoire pourra dire que Michel Onfray a trouvé l’anarchisme dans un fromage ! Le petit reportage d’Alexandra Gardes revient encore et toujours sur le parcours intime du philosophe : son désir de vie s’est aussi ancré dans l’épreuve – surmontée – d’un infarctus subi à l’âge de 28 ans. Amour de la vie, haine des « pouvoirs »…. Onfray voit naturellement dans l’Université classique une machine destinée à « reproduire » la société, et à fabriquer des « pions » sans épaisseur. Dans ce contexte Onfray, qui a été enseignant de philosophie en établissement technique durant 20 ans, rejette désormais en bloc l’enseignement académique. Pour rien au monde, et par haine du « pouvoir », il ne redeviendrait ce professeur-fonctionnaire qu’il a été, obligé de fréquenter ses collègues du corps professoral jouant les « petits chefs qui jouissent de produire des domestiques qui leur ressemble ». Onfray le dit : horreur du pointage des absences ! Horreur de l’exigence d’ordre et de discipline durant les cours ! Horreur de se plier aux diktats fascisants des règlements intérieurs ! D’autres souligneront que son abandon du métier d’enseignant correspond surtout à l’époque de ses premiers succès d’auteur. Pourquoi rester sous l’empire de jeunes barbares, bruyants et bornés, quand on peut l’être d’un éditeur et d’un public fidèle de lecteurs amicaux ?
Michel Onfray – thé ou café -19.04.08 – part 2-3
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La séquence du « miroir » est un grand classique de l’émission. Toujours dans une veine psycho-show, l’invité est mis en scène dans un exercice qui n’a rien de vraiment périlleux : répondre à des questions banales en se regardant dans un miroir. Onfray se prête au jeu. Ce visage il le connaît par cœur, pour l’avoir déjà tellement contemplé… dans le ruisseau, tel Narcisse, ou dans le miroir de sa salle de bain. Le philosophe, n’ayant toujours pas vraiment parlé de philosophie depuis le début de l’émission, évoque sa situation familiale : « Vivant maritalement comme on dit quand on coche les cases de la sécurité sociale ». Ceylac répond « Non Pacsé ? » Non ! On sent une certaine déception se dessiner sur le visage de l’animatrice. Le Pacs aurait complété le tableau d’un homme hyper-moderne, sans Dieu, ni maître, ni épouse… mais avec un pacte républicain garanti sur facture, ce si romantique contrat aux avantages fiscaux inégalables. Mais Onfray franchit les étapes devant le miroir. Il se dit pressé, impatient. Obsédé par le fait de vivre. Plein d’une suffisance comique, notre Nietzsche en carton nous garantit qu’il fait usage de la philosophie dans sa vie quotidienne, et que : « les philosophes doivent être à la hauteur de ce qu’ils enseignent. » Haro sur ces méchants universitaires qui ne « vivent » pas la philosophie, mais la dissèquent, coupés du monde, du haut de leurs chaires académiques imprenables ! Haro sur ces vrais salauds qui étudient et commentent Spinoza, Nietzsche ou Platon – sans vivre selon leurs philosophies respectives ! Onfray ne surprend pas dans ce registre, populaire et presque populiste. Et si les philosophies étaient, plutôt, faites pour être comprises et non pour être vécues ?
Un second reportage d’Alexandra Gardes vient compléter ce portrait intimiste de l’écrivain. La journaliste suit Onfray dans son village natal, à Chambois, près d’Argentan en Normandie. Chambois, 400 habitants, est une sorte de « trou du cul du monde » paumé, équivalent pittoresque de la ville de Seattle pour un new-yorkais moyen. Bourgade normande visiblement sinistre, où Onfray a pu s’acheter un pavillon grâce aux droits du « Traité d’athéologie ». Malgré la sentence populaire assurant que « bien mal acquis ne profite jamais », notre provincial semble se plaire dans sa propriété bourgeoise. Poutres apparentes. Grands volumes. Déco digne d’un appartement de BHL. On aimerait voir l’émission « Question maison » de France 5 débarquer sur les lieux. A moins que cela ne soit déjà fait. Alexandra Gardes insiste beaucoup sur l’ancrage rural du philosophe, qui déclare fièrement : « Je ne peux pas être un philosophe comme d’autres le sont, à Saint-Germain des Prés, ou dans le 6ème arrondissement (ndlr : de Paris). Quand je sors dans la rue je rencontre des gens vrais ». Toujours cette lutte de la province contre Paris, de la capitale contre les paysans…. Onfray est évidemment du côté du vrai, du vécu, de la sensation immédiate, c’est un militant du plaisir et des relations humaines authentiques…. Alors que les sorbonnards, évidemment, vivent et aiment comme des robots.
Mais le sujet d’Alexandra Gardes va plus loin : non seulement Onfray prétend aimer les vrais gens, les modestes, les sans-grades, etc., mais on le voit également à la rencontre de ses fans ruraux de Chambois !
Etat des lieux…. Chambois, jour d’affluence : deux personnes sur la place du village, et un nuage inquiétant au-dessus du clocher de l’église. Une sorte de paysan perdu et un type à bicyclette circulent dans les rues désertes de cette microscopique ville fantôme. On se sert les mains, on se congratule bruyamment. Bravo à l’enfant du pays ! Bravo au petit prolo qui a réussi à passer à la télé ! Encore une équipe de télé dans le village, chic ! Onfray connaît la clé de son succès auprès des « vrais gens »… ces derniers l’aiment car « Il n’a pas épousé un top model et qu’il n’est pas parti à Paris ». Dont acte.
Véritable mine d’or, ce reportage s’aventure aussi sur le thème inépuisable des relations de Michel Onfray au plaisir. Il est « libertaire et libertin », ne l’oubliez pas ! Sauf qu’au lieu de lire Homère dans le texte, ou de jouer du piano, comme son idole Nietzsche… quand il avait dix ans, il « lutinait les filles » dans les haies. Et Onfray nous montre les haies historiques ayant masqué au monde ses premiers exploits sensuels. L’usage du terme « lutiner » est même comique en soi. Son envie d’être rattaché à une tradition libertine suinte de cette séquence. Il voudrait lutiner comme Sade. Il voudrait écrire comme Nietzsche ! Mais aussi cuisiner comme un « chef » : il nous présente ainsi l’épicerie du village. Il se fait une salade de fruits « de saison ». Le plaisir ne passant pas que par la chair, mais aussi par l’assiette… Puis, infatigable agitateur de clichés, Onfray nous présente son crâne humain de collection, qui est pour lui un « objet de méditation ». Superbe crâne édenté, dont le propriétaire défunt doit se mordre les doigts – au paradis – de laisser la plus noble partie de ses ossements prendre la poussière dans la bibliothèque de Michel Onfray…. L’écrivain nous présente aussi les cartes postales envoyées par l’une de ses fans féminines anonymes, dont un gigantesque phallus destiné à « célébrer l’arrivée du printemps ». Et bien le printemps sera chaud à Chambois !
Même si Ceylac, moins insignifiante qu’il ne pourrait le sembler au premier abord, souligne le luxe d’une vie menée selon la devise « Ni dieu ni maître » et selon les préceptes d’un libertinage old-school, Onfray nous assure qu’il a construit sa vie pour ne dépendre de « rien ni de personne »…. Sauf de ses lecteurs et des médias ?
Après quelques nouvelles questions assez banales sur la politique (« Les partis politiques sont comme des religions ! » Ben voyons !) et sur l’institution du mariage – reposant sur une exigence de monogamie si difficile à assumer…. Ceylac balance le gros morceau de son émission de la semaine. La pépite. La séquence émotion. Sortez vos mouchoirs, on va chialer.
Alexandra Gardes (encore elle !) est partie à la rencontre des parents de Michel Onfray, Gaston et Irène. Tandis que les géniteurs de l’écrivain rendent hommage à leur rejeton (mais lui disent également ses « quatre vérités »), on voit le visage de Michel Onfray en incrustation vidéo dans un coin de l’image. Il est crispé. Attentif. Nerveux. Inquiet. Surpris. Ses parents disent le petit Onfray « turbulent et nerveux », et s’intéressant aux filles. Naturellement, le mythe du libertinage, je n’y reviens pas. Mais Gaston et Irène se disent aussi « fâchés » par certains des écrits du philosophe consacrés à sa jeunesse. Ils ne s’y retrouvent pas vraiment. Même si, au mur, on peut voir un poster Michel Onfray (comme chez Michel Onfray on peut voir un poster Nietzsche), il y a un passif à liquider entre l’écrivain et ses parents. Il y a eu des brouilles, des réconciliations, de l’émotion brute. De l’amour. La séquence sauve peut-être l’ensemble de l’émission du naufrage, parce qu’elle est parfaitement sincère. A la fin tout le monde pleure, Gaston, Irène et même Michel, au retour sur le plateau… Ceylac jubile. Objectif atteint. Contrat rempli. 30% de part d’audience. Et des larmes à la clé, comme un trophée.
Le « philosophe », dont l’image traditionnelle est attachée à la réflexion et à une certaine austérité prend un sacré coup. Mais Ceylac l’avait promis avec ironie dès le lancement de l’émission… souvenez-vous… elle garantissait, en ouverture, à ses 30% de part d’audience de ne surtout pas fuir devant un « philosophe »…. Ce philosophe-là, Onfray, pleurerait et cabotinerait exactement comme ses invités habituels, dont une belle galerie de portraits défile dans le générique du début, de Dany Boon à Olivier Besançenot. Il serait comme les autres. Promis.
Pour finir de faire l’éloge de notre paysan-philosophe, son ami François Busnuel, directeur de la rédaction de LIRE « qui a consacré plusieurs couvertures à Onfray » y va de son hommage. Jamais avare de slogans chocs le journaliste lâche « Il y a les philosophes qui cherchent et les philosophes qui trouvent » Et, bien sûr, Onfray est de ceux qui trouvent ! Puisqu’il est du côté de la vie et de bonheur, et non dans le versant mortifère de la philosophie académique ! « Pour Onfray la philosophie est une diététique du bonheur ». Celle-là je la note dans mon carnet à spirales, je pense que je pourrais la ressortir en société !
N’oubliant finalement pas qu’elle est aussi journaliste, et pas seulement potiche aux yeux de biche, Ceylac pose vite-fait, en fin de programme, l’air de rien, les questions qui fâchent vraiment : « Etes-vous un gourou, un prêcheur ? » Ou encore : « Vos livres et vos CD n’est-ce pas un fond de commerce ? » Pro de la communication, Michel Onfray ne se démonte pas. Non, il n’est évidemment pas un gourou. Et oui, il touche des royalties sur ses livres et ses disques4, mais comme il est « célibataire », le Fisc lui « prend beaucoup »…. Dur dur dur… Le Fisc commence à prendre aux riches pour rendre aux pauvres ! C’est dégueulasse ! Dans ce sprint final Onfray gémit, couine, chouine, s’ébroue, pleurniche… en plus les gens sont méchants, il leur arrive de « dégrader » sa voiture. Son vieux coupé Mercedes (380.000 kilomètres) ? C’est un penseur riche, mais pauvre. Populaire, mais incompris. Aimé, mais jalousé.
C’est la séquence « dos à dos » qui clos l’exercice. Tradition du programme : l’invité doit coller son dos à celui de Catherine Ceylac, sous une lumière tamisée, pour répondre à d’ultimes questions « intimistes ». La première réaction de la blonde présentatrice, au contact du corps du philosophe, est : « Vous avez le dos très chaud ». Oui, bien sûr, les libertins sont chauds-bouillants… Ecce homo. Le penseur se dit à la fois « cérébral et physique en amour ». On se demande sincèrement où ce « dos à dos » va nous mener, et de quelle façon il va entraîner le service public dans sa chute ?
Mais pas de panique. Ce n’est pas du vrai direct. Ouf ! La sage Ceylac offre finalement, à son invité, un exemplaire du livre « Les philosophes et l’amour » de Aude Lancelin, autre grande figure de l’intelligence blonde. L’intellectuel a été mis à nu ! « Ecce homo » !
L’invité de demain matin sera Foucault dans « Thé ou café »….
Michel ?
Non, … Jean-Pierre….
A droite, impitoyable et vigilant, le philosophe Michel Foucault regarde de travers la une de « Télé Poche », focalisée sur ce coquin de Jean-Pierre Foucault. Comme si la vie était si facile… Saloperie d’homonymie…. !
- A propos du livre d’Onfray Le songe d’Eichmann, Roger-Pol Droit écrivait récemment dans Le Monde, d’une plume impitoyable : « Michel Onfray, dans Le Songe d’Eichmann, n’hésite pas à faire porter à ce philosophe du devoir (Kant) une responsabilité écrasante dans le fonctionnement des camps de la mort.(…) Ces énormités, philosophiquement intenables pour qui connaît ne fût-ce qu’un peu l’œuvre et la pensée de Kant, résultent d’une pensée platement binaire où Michel Onfray semble à présent se complaire. Nietzsche incarne pour lui le bon rebelle, qui se dresse contre les normes et défie l’autorité, garantissant ainsi la joyeuse harmonie des libertés. Kant est le mauvais moraliste, qui veut l’ordre, la règle et la maîtrise, et fabrique en fin de compte la servitude, l’exclusion et le meurtre. »
- Qui, au passage, croirait que cette charmante femme, épouse de Claude Serillon, a commencé à faire de la télé sous Giscard ? Pfui…
- cf. http://the-ou-cafe.france2.fr/index-fr.php?page=catherine-ceylac&id_rubrique=10
- Des enregistrements de ses cours de philosophie au sein de ses différentes « Universités Populaires ».