Theodor Adorno : Beethoven. Philosophie de la musique

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Résumé

Pendant plus de trente ans, Adorno a nourri le projet d’une monographie consacrée à Beethoven, que sa disparition brutale en 1969 ne lui a pas permis d’achever. Collectés dans ses carnets et complétés par des extraits d’œuvres publiées, les fragments réunis dans ce volume permettent de cerner l’armature de cette « philosophie de la musique » inédite. Passant avec virtuosité des analyses musicales les plus fines à l’interprétation philosophique la plus audacieuse, Adorno déchiffre dans la musique de Beethoven le destin contrasté des Lumières au moment où le capitalisme prend son essor. Il donne également à la contemporanéité de Beethoven et de Hegel (tous deux nés en 1770) un sens philosophique décisif, qui éclaire l’affinité élective qui dans toute son œuvre unit musique et philosophie. Quant aux analyses consacrées au « style tardif » de Beethoven, elles sont devenues, en un temps où le sentiment de l’après n’a peut-être jamais été aussi vif, une référence incontournable. Si Adorno a souvent été présenté comme le porte-parole de Schoenberg, ces textes et fragments montrent à quel point toute sa philosophie de la musique, si ce n’est l’ensemble de sa pensée, gravite autour de ce foyer qui porte le nom de Beethoven.

À de rares exceptions près, ces textes et fragments sont inédits en français. Leur édition originale allemande (Suhrkamp, 1993) a été traduite en plus de 40 langues.
Préface de Jacques-Olivier BÉGOT Édition de Rolf TIEDEMANN Traduit de l’allemand par Sacha ZILBERFARB

L’auteur

Theodor W. ADORNO (1903-1969) fut, avec Walter Benjamin, Max Horkheimer et Herbert Marcuse, l’un des représentants les plus marquants de l’« école de Francfort ». Élève d’Alban Berg à Vienne dans les années 1920, lui-même compositeur et pianiste, il ne cessa de mettre sa philosophie de la musique à l’épreuve des expérimentations menées par les avant-gardes. Auteur de monographies consacrées à Wagner, Mahler et Berg, Adorno a placé les arts, et en particulier la musique, au cœur de sa « théorie critique » de la société, jusqu’à son dernier ouvrage posthume, la Théorie esthétique (1970). De la Dialectique de la Raison à la Dialectique négative, son œuvre engage une confrontation critique avec toute la tradition philosophique. Héritier indéfectible de la promesse d’émancipation venue des Lumières, Adorno en sonde aussi la part d’ombre et tente d’élaborer une pensée d’après la catastrophe, capable de ne pas succomber au cauchemar de l’histoire.

Le préfacier

Jacques-Olivier BÉGOT est professeur à l’université de Rennes 1, où il enseigne la philosophie allemande et l’esthétique. Ses recherches interrogent la place de l’art dans la tradition de la pensée critique, notamment chez Adorno et Benjamin. Son travail le plus récent porte sur la « métaphysique d’artiste » de Nietzsche dans ses rapports avec Wagner et sur la postérité de cette confrontation jusque chez les auteurs de la Théorie critique.

L’éditeur scientifique

Philosophe et philologue, auteur de la première thèse consacrée à la philosophie de W. Benjamin, Rolf TIEDEMANN (1932-2018) fut l’assistant d’Adorno à l’Institut de recherche sociale de Francfort et le principal éditeur scientifique de son œuvre – en particulier des Nachgelassenen Schriften [Écrits posthumes], parmi lesquels la Théorie esthétique (1970) et les textes et fragments sur Beethoven (1993).

Le traducteur

Sacha ZILBERFARB est germaniste, enseignant et traducteur. Dans le champ littéraire, il a notamment traduit Edgar Hilsenrath et Stefan Zweig. Dans le domaine de l’art et des sciences humaines, les écrits de l’artiste Daniel Spoerri, la psychanalyste Helene Deutsch, les historiens de l’art Aby Warburg et Heinrich Wölfflin, le sociologue Hartmut Rosa ou encore le musicologue Carl Dahlhaus.

Sommaire

Préface, par Jacques-Olivier BÉGOT

Remarques sur l’édition

1. Prélude

« Image d’enfance » – Analyse musicale – Motifs fondamentaux : idéologie et vérité ; élément matériel et aura ; image et interdit de l’image – Faits divers* –physei versus thései.

2. Musique et concept

Philosophie de la musique ; Beethoven et Hegel ; mimésis du jugement et tentative d’y échapper – Plus vrai que Hegel ; « tenir-tête » ; sur la forme sonate ; problème de la réexposition – Tonalité comme « système » ; homéostasie ; négation comme moteur ; désaisissement et retour ; l’absolu et la tonalité

De la dialectique de la partie et du Tout : nullité du singulier et priorité du Tout ; nature et travail ; « tenir-tête » et idéologie – Du singulier nul au singulier « banal » ; le Tout comme médiation concrète ; seuil du romantisme

Constellations historiques : Bach, Mozart, Haydn ; rapport au romantisme ; extrait d’une histoire primitive de la modernité – Distance et proximité de la musique à l’égard de la langue

3. Société

L’humain comme nature ; caractère social et caractère individuel – Société bourgeoise et Révolution française ; travail social et développement dans la musique ; bêtise épique et intrigue dans le Trauerspiel ; le secret de Don Quichotte – « Assemblée du peuple » ; autonomie et hétéronomie – Texte 1 : Sur la médiation entre musique et société

4. Tonalité

Le « principe » de Beethoven ; langage de la bourgeoisie ; logique extensionnelle en musique – Mélodie et thèmes ; négation de la simple nature ; équivalents techniques du « démonique » – Écart et résistance ; théorie des sforzati de Beethoven ; melos et harmonie – Le problème des tons – La « langue » de la tonalité ; nouvelle musique et critique de la tonalité ; « matériau » versus langue

5. Forme et reconstruction de la forme

Le tournant copernicien de Beethoven ; forme héritée et spontanéité ; la dialectique sujet-objet – Du sens formel du développement ; développement et improvisation-fantaisie, développement et coda ; césure et tournant

« Mesure » ; contre la répétition ; regard prospectif – Le temps musical ; forme fermée et forme ouverte ; théorie de la variation, idée de l’Abgesang – Caractères chez Beethoven : effronterie, humour ; configurations de l’expression et gestes

Sur l’intégration compositionnelle ; forme comme contenu sédimenté ; langage objectif et transcendance de la forme

6. Critique

Primat de la réexposition ; dialectique de la domination du matériau ; forme avant-courrière de la culture de masse – Rébellion et conformisme ; sur la boursouflure ; transcendance manipulée – Réduction drastique des ouvertures ; critique du classicisme héroïque : mensonge de la totalité ; « Traits obscurs » de Beethoven : négation de la ressemblance avec l’animal

7. Première période et phase « classique »

La sonate comme « combat » ; classicisme et éléments romantiques ; C. G. Carus – « L’Appassionata » – La « sonate à Kreutzer » – Les sonates pour violon opus 12

Mystères du temps : type symphonique et type épique ; type intensif et type extensif ; type et caractère – Le trio pour piano opus 97

Parerga, en particulier sur le Beethoven de la période médiane

8. Vers une analyse des symphonies

Héroïque – Quatrième symphonie – Cinquième symphonie – Pastorale – Huitième symphonie – Neuvième symphonie – Symphonie et danse – Texte 2a : Sur l’art symphonique de Beethoven – Texte 2b : Qu’arrive-t-il aux symphonies de type beethovénien quand elle sont diffusées par haut-parleurs ?

9. Style tardif (I)

Texte 3 : Le style tardif de Beethoven – Sonate pour piano opus 101 – Sonate « Hammerklavier »– Texte 4 : Ludwig van Beethoven : Six bagatelles pour piano opus 126 – Quatuor à cordes opus 132 – Irrégularités – Retrait hors du monde phénoménal ; le regard saturnien de Beethoven

10. Œuvres tardives sans style tardif

Le problème de la Missa solemnis – Texte 5 : Chef-d’œuvre distancié. À propos de la Missa solemnis

11. Style tardif (II)

Langue du collectif ; suspension du Moi ; esprit de révolte et « mesure » – Dépérissement de l’harmonie ; défi lancé à l’idéalisme ; conventions comme décombres – Entre polyphonie et monodie ; religion et basse continue

Allégorisation ; production de « catégories » ; « l’humain proprement dit » – Style tardif et sagesse proverbiale – Rapport à la mort

12. Humanité et démythologisation

Musique comme langue ; images de ce qui est sans image ; démythologisation et mythe – Idylle et Empire ; Fidelio

Expression de l’humain et conditions de l’humanité – Le dénuement comme ferment ; l’esprit et le chthonien ; L’« homme sûr » et Rübezahl – « Bruissement », mimésis, tenir-tête

La catégorie du moment de gravité – Étoile et espoir – Texte 6 : Sur la teneur de vérité de Beethoven

Musique et domination de la nature ; spiritualisation et animisation ; l’instrumental comme ressouvenir de la nature – Les Adieux – Adieu, gratitude et conscience malheureuse – Puissance de l’apparence ; apparence et mythe

Beethoven et la shekhina

Annexes

La théorie des tempi beethovéniens par Rudolf Kolisch

« Beaux passages » de Beethoven

À propos du style tardif de Beethoven

Bibliographie

Textes d’Adorno en allemand

Textes d’Adorno en français ou anglais

Sources : littératures primaires et secondaires

Index

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Ancien élève de l’ENS Lyon, agrégé et docteur en Philosophie, Thibaut Gress est professeur de Philosophie en Première Supérieure au lycée Blomet. Spécialiste de Descartes, il a publié Apprendre à philosopher avec Descartes (Ellipses), Descartes et la précarité du monde (CNRS-Editions), Descartes, admiration et sensibilité (PUF), Leçons sur les Méditations Métaphysiques (Ellipses) ainsi que le Dictionnaire Descartes (Ellipses). Il a également dirigé un collectif, Cheminer avec Descartes (Classiques Garnier). Il est par ailleurs l’auteur d’une étude de philosophie de l’art consacrée à la peinture renaissante italienne, L’œil et l’intelligible (Kimé), et a publié avec Paul Mirault une histoire des intelligences extraterrestres en philosophie, La philosophie au risque de l’intelligence extraterrestre (Vrin). Enfin, il a publié six volumes de balades philosophiques sur les traces des philosophes à Paris, Balades philosophiques (Ipagine).