Depuis 2019, l’impôt sur le revenu des Français est prélevé à la source. Ce qui pourrait passer pour une réforme mineure d’ordre pratique marque en fait l’aboutissement d’une longue évolution de la théorie de l’impôt débouchant sur une doctrine contraire aux principes mêmes qui le légitiment. Cette relecture raisonnée de l’évolution de l’impôt en France dans ses théories, ses modalités et son acceptation populaire, conduit le lecteur des origines mythiques de l’impôt-sacrifice au sein des sociétés tribales à l’impôt instrument de gouvernance en passant par l’impôt servitude des seigneurs féodaux, l’impôt-échange des libéraux révolutionnaires et l’impôt-solidarité des économistes de l’État providence.
L’auteur s’y propose de pointer dans des réformes telles que l’introduction d’un impôt sur les grandes fortunes, le prélèvement à la source ou les procédures de saisie sur salaire, la profondeur des mutations sociales qui en découlent et la manière dont elles redéfinissent le rapport entre le citoyen et l’État. Détaillant comment l’économie a imposé dans la pratique du pouvoir et la théorie du droit sa rationalité statistique, il dresse le saisissant portrait d’une époque où le consentement est mort, les droits fondamentaux bafoués et la responsabilité politique vidée. Une telle entreprise globale de rationalisation de la société ne saurait alors accoucher que d’agents économiques à l’amoralité glaçante.
Cette réflexion de grande ampleur s’achève sur une critique approfondie de l’allocation universelle, présentée comme fausse solution au problème politique et moral auquel la société doit aujourd’hui faire face. A ce leurre, une alternative audacieuse est suggérée : le retour d’une société de la responsabilité individuelle et de l’honneur, où l’impôt volontaire se présente comme vecteur fondamental de toute distinction sociale et moteur démocratique d’empathie entre les citoyens.
BIOGRAPHIES CONTRIBUTEURS
Hubert Etienne
Hubert Etienne est spécialiste de philosophie politique et morale. Il enseigne l’éthique de l’intelligence artificielle à Sciences Po, l’économie de la donnée à HEC Paris et la régulation des plateformes numériques à l’ENA.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Partie I. L’illusion du consentement comme artifice démocratique moderne
Chapitre 1. La rupture idéologique englobante de la Révolution
1. Du serf corvéable au citoyen contributeur
1.1. L’acquisition d’un droit de propriété
1.2. La loi isonomique
1.3. Le libre consentement
2. La théorie libérale de l’impôt-échange
2.1. L’échange au prix de revient
2.2. L’impôt-prix
2.3. Une contrepartie indirecte
3. La théorie communautarienne de l’impôt-solidarité
3.1. La question sociale
3.2. L’État-providence et les droits-créance
3.3. L’impôt-générosité
Chapitre 2. La permanence de l’esprit de l’Ancien Régime par la souveraineté fiscale
1. L’aliénation des droits inaliénables
1.1. L’imprécision du droit
1.2. L’expropriation pour motif d’utilité publique
1.3. La Coase publique
2. Un consentement arraché : l’absence de recours effectif du contribuable
2.1. Un consentement supposé
2.2. Voice : la révolte fiscale
2.3. Exit : d’un droit d’ignorer l’État ?
3. Vers un retour à l’absolutisme par la cyber-omniscience
3.1. Un État de contrôle de tous par tous
3.2. De nouvelles obligations et restrictions de libertés
3.3. Un État insaisissable
Partie I – Synthèse
Partie II. Le triomphe du rationalisme et le fantasme de l’homo oeconomicus
Chapitre 3. La soumission de la société au rationalisme et au culte de la performance
1. La perte de transcendance politique
1.1. Des origines sacrées de l’impôt à l’opportunisme fiscal
1.2. Du gouvernement charismatique à la gouvernance technocratique
1.3. La statistique érigée en science d’État
2. La désessentialisation de la loi
2.1. Les systèmes hybrides du rule by law
2.2. Le dévoiement ultralibéral de la loi rousseauiste
2.3. La volonté générale rationalisée
3. Le déclin de la souveraineté : une gouvernance par l’évitement
3.1. La société de défiance
3.2. La privatisation de l’administration
3.3. Le marché du droit
Chapitre 4. Un projet de transformation de l’homme
1. La désignation des ennemis du dedans
1.1. Des bons et des mauvais pauvres
1.2. Des riches utiles et des riches inutiles
1.3. Des politiques aux résultats mitigés
2. La gouvernance des comportements
2.1. La gouvernance par l’influence
2.2. La fiscalité incitative
2.3. Un processus fiscal de rationalisation de l’individu
3. La dystopie de l’homo oeconomicus
3.1. Du puer robustus au vir malus
3.2. La révolte des insensés
3.3. La chimère post-rationnelle
Partie II – Synthèse
Partie III. Deux projets pour une réhabilitation fiscale à l’ère postmoderne
Chapitre 5. Le projet d’une société post laborem par l’allocation universelle
1. Une théorie ancienne conjuguée au pluriel
1.1. Payne et les origines européennes du minimum de subsistance
1.2. Le glissement américain libéral de l’impôt négatif
1.3. Le renouveau contemporain et la question de la contrepartie
2. La question pratique de la faisabilité
2.1. Un revenu de base existant et réformable
2.2. Un salaire universel pour une société affranchie du travail
2.3. Limites inhérentes et dystopie programmée
3. La question éthique de la justice
3.1. La justice libertarienne de droite et de gauche
3.2. L’approche rawlsienne comme compromis
3.3. La justice comme liberté réelle pour tous
Chapitre 6. L’alternative du don démocratique par l’avènement du donator honorabilis
1. La fiscalité consentie pour renouer avec une démocratie authentique
1.1. Un impératif démocratique de liberté
1.2. Un enjeu constitutionnel d’égalité
1.3. Une utopie nécessaire
2. De la gouvernance de la raison au gouvernement des passions
2.1. Obliger sans contraindre en réveillant l’honneur
2.2. Transformer le bourgeois décamillionnaire en aristocrate thymotique
2.3. Faire accepter le don en désactivant le ressentiment
3. Penser la pratique du don après Sloterdijk
3.1. Apprendre des erreurs du passé
3.2. L’ostentation comme clef de voûte du don démocratique
3.3. Mettre en scène le don : ritualiser sans sacraliser
Partie III – Synthèse
Conclusion
Annexes
Liste des abréviations
Références