Heidegger le répète inlassablement : pour les Grecs, « être » signifie « présence ». Ce qui, plus tard, s’est nommé « ontologie » renvoie ainsi à la question peut-être la plus simple parmi les questions simples : comment les choses nous sont-elles présentes ? Cette question, née en Grèce au ve siècle avant notre ère, touche, selon Heidegger, à l’essence la plus intime de la philosophie : celle qui, au cours de notre histoire, s’est déterminée comme idée chez Platon, être en œuvre ou en acte chez Aristote, représentation chez Descartes – et ainsi de suite jusqu’à la volonté de puissance nietzschéenne. Mais comment Heidegger s’est-il acquitté de la tâche immense de penser ce qu’il tenait ainsi pour le fond de toute philosophie : la présence ? Sans doute lui a-t-il fallu en déceler patiemment les diverses déterminations au fil de sa lecture des textes qui ont fait l’histoire de la philosophie. Cependant, c’est d’abord comme élève de Husserl que Heidegger a découvert la question de la présence – comme élève de Husserl, c’est-à-dire comme héritier d’une pensée qui devait marquer en profondeur le xxe siècle : la phénoménologie. Aussi est-ce à partir de la relation de Husserl et Heidegger que l’étude ici proposée s’engage sur le chemin d’une pensée de la présence – chemin au long duquel se rencontrent, bien entendu, l’œuvre qui a été à l’origine d’un profond différend entre Heidegger et son maître : Être et Temps, mais aussi une histoire de la présence dont la source jusqu’alors inexplorée se situe, elle, au-delà de la présence.
Laurent Villevieille est professeur en CPGE et chercheur associé aux Archives Husserl de Paris (ENS/CNRS).