Philippe Bonnin et alii (dir.) : Vocabulaire de la spatialité japonaise

Le Vocabulaire de la spatialité japonaise1, dirigé par Philippe Bonin, Nishida Masatsugu et Inaga Shigemi, est consacré aux rapports qui unissent étroitement la spatialité et l’architecture. Qu’est-ce que la spatialité japonaise a de particulier ? C’est pour répondre à cette interrogation que l’ouvrage décline les multiples manifestations concrètes du sens de l’espace au Japon. Ce faisant, il éclaire ce qui fait la spatialité d’une société et d’une culture et comment cela se dit à tous les niveaux de l’existence humaine.

L’ouvrage ne s’en tient pas à la simple étude de l’espace, tel qu’il est vécu et représenté. Il s’intéresse à la spatialité elle-même, « le sens de l’espace dans une certaine culture ». Cet objet d’étude est épais et profond : le sens de l’espace est à la fois orientation physique dans l’espace-temps, capacité de sentir et signification. Les dispositions de l’espace sont en effet lourdes de sens : elles véhiculent les significations dont nous avons investi les choses.

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Chaque habitat semble projeter le monde intérieur dans le monde matériel extérieur, extraposant pour ainsi dire une structure mentale, culturelle, pratique et sociale, à la fois pour la signifier, la faire exister et la livrer aux regards dans le commerce mondain. Par le terme « spatialité », il faut donc entendre à la fois une collection de lieux spécifiés, la façon dont l’homme ordonne les choses dans l’étendue, enfin les opérations de représentation (ou internalisation) et de construction (ou externalisation).

Confronter notre culture spatiale actuelle aux cultures spatiales passées ou étrangères, ce n’est pas opérer des contrastes, mais entrer en dialogue. La culture spatiale nippone n’est pas l’opposé symétrique de la nôtre. Le comparatisme et la position de l’exotisme doivent ici laisser place au retour réflexif sur notre propre spatialité, dans l’espoir de « comprendre une autre spatialité, tout en sachant que ce sont nos yeux qui la regardent ». Seule cette interaction peut permettre une compréhension authentique de l’autre culture. Pour cette raison, le Vocabulaire de la spatialité japonaise offre un travail pluridisciplinaire, qui adopte une démarche à la fois scientifique, sensible et nuancée. Tout semblait exiger d’allier l’analyse rationnelle à une approche sensible et intuitive, qui recourt volontiers à la photographie.

L’ouvrage révèle qu’en matière de spatialité, l’Occident et le Japon sont complémentaires : l’un a exploré la voie « logocentrique, dualiste et mécaniste » ouverte par Descartes et Newton ; l’autre envisage une spatialité qui échappe au dualisme et au mécanicisme. Le Japon recherche fondamentalement « la « contréité » de l’espace lié à l’existence humaine ». C’est cette concrescence, ce « « croître-ensemble » de l’existence humaine avec les choses » qui se donne à entendre dans les mots de saison que les japonais nomment « haïkus ».

L’intérêt d’envisager la spatialité comme une langue à part entière est de révéler « les liens étroits qui unissent culture, pensée et espace ». Singulière entreprise que celle d’offrir le vocabulaire d’une « « langue non verbale » » ! Car ce qui compose cette langue, ce sont « des dispositifs et notions qui structurent la ville, l’habitat et le paysage ». Il s’agit d’étudier en même temps la morphologie des dispositifs et des objets concrets qui constituent les espaces habités – et l’idéel qui a présidé à la création de ces phénomènes culturels. Tenter d’expliciter une langue qui a été apprise avant même la langue maternelle, voilà qui n’est pas une mince ambition ! Cette démarche implique une enquête sur « l’histoire parallèle des mots et des dispositifs spatiaux qu’ils désignent », afin de dégager ce qui rapproche et ce qui distingue la spatialité et la langue : 

« La structure spatiale compose notre structure de pensée et par là notre langage ».

La spatialité n’est pas seulement une langue : elle est aussi une culture. Dès l’enfance, nous apprenons cette culture de la spatialité, ensuite incorporée à l’habitus, jusqu’à ce qu’elle nous paraisse évidente et immédiate. Les notions fondamentales de la topologie humaine sont construites en même temps que les autres apprentissages d’une culture. Comme telles, elles structurent notre rapport au monde et à l’autre, mais aussi le langage qui exprime ces relations :

« Nous sommes ces structures topologiques, nous les vivons dans notre corporéité ».

Les arts de l’espace, en particulier l’architecture, révèlent une véritable « culture sociale de l’espace », la culture de l’habiter. Saisir les notions topologiques fondamentales permet d’appréhender ce que les formes d’organisations de l’espace humanisé et habité ont de commun dans différentes cultures.

In fine, c’est notre propre sens de l’espace qui s’en trouve transfiguré. A mesure qu’il s’approfondit, il peut en venir à connaître un mouvement d’élargissement, d’expansion indistinctement extérieure et intérieure, qui confine à la joie.

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  1. Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu, Inaga Shigemi (éd.), Le vocabulaire de la spatialité japonaise, coordonné par Fabienne Duteil-Ogata, Patricia Marmignon, Marie-Elisabeth Fauroux, CNRS-éditions, 2014
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