Jean-Louis Fabiani : Pierre Bourdieu

Par son ampleur, son ambition et sa radicalité, l’œuvre de Bourdieu suscite des positions extrêmes. Soucieux d’éviter l’orthodoxie autant que le rejet viscéral, Jean-Louis Fabiani, jadis élève et doctorant de Bourdieu, tente d’en proposer une relecture plus dépassionnée en la recontextualisant à partir de ses propres outils. Sur les traces de l’Esquisse pour une auto-analyse, il cherche, dans l’œuvre même, les concepts susceptibles d’en fournir un meilleur éclairage.

Avec Michel Foucault, Pierre Bourdieu est un des auteurs les plus lus et les plus cités du XXe siècle. De sa génération, il est un des rares, sinon le seul, au temps de la fin proclamée des grands récits, à oser proposer une théorie globale et systématique ; systématicité qui peut-être ne fut pas étrangère d’ailleurs à son succès. La réception internationale de cette œuvre cependant s’est souvent faite au détriment de la précision. En réponse à sa reformulation dans des langages théoriques parfois éloignés de son ambition initiale (pragmatisme, constructivisme, structuralisme), il faut dès lors revenir aux enjeux, constellations intellectuelles et théoriques de sa naissance et de son évolution ; revenir peut-être à Bourdieu lui-même, aux contradictions d’un auteur qui se sentit toujours étranger à un milieu dont il maitrisait pourtant les rouages en virtuose et fut acteur autant que témoin de sa propre consécration académique.

Le livre1 interroge de cette façon la possibilité d’une histoire des remaniements progressifs de la pensée de Bourdieu, entre la systématisation d’une théorie générale et la mise en œuvre d’une inventivité conceptuelle et méthodologique remarquable. Suivant ainsi le sociologue pas à pas, elle donne les clefs permettant de comprendre la pluralité des références invoquées, de Husserl et Merleau-Ponty à Wittgenstein, Berger, Dewey, ou Goodman. Ce mode d’exposition rend parfois l’ouvrage difficile à lire ; à la logique temporelle s’ajoutent en effet de nombreux retours en arrière et développements critiques. Souvent aporétiques, ceux-ci refusent la possibilité d’une position de surplomb sur l’œuvre ; instructif et éclairant, l’ouvrage n’en est pas moins pour cela ardu à résumer.

Champs, habitus, capital symbolique et culturel

Un premier mouvement s’intéresse à la genèse à l’évolution du triplet matriciel constitué par les concepts de champ, d’habitus et de capital symbolique. Moins stable que ceux d’habitus ou de capital social, le concept de champ est présenté le premier. Il d’autant plus ambigu, souligne Fabiani, que jamais Bourdieu n’en a proposé de théorie générale. Le champ est en effet d’abord introduit comme un principe ordonnateur, permettant une définition relationnelle de positions se caractérisent les unes par rapport aux autres ; le concept de champ ainsi défini vise en premier lieu à prémunir le sociologue de l’illusion de sa propre indépendance en replaçant son propre travail au sein d’un tel système.

Dès lors, l’enquête généalogique cherchant les origines du concept chez d’autres auteurs est selon Fabiani moins pertinente que l’étude des modalités de son apparition dans les études de Bourdieu. Les règles de l’art, travail ancré dans un contexte historique singulier et nourri des travaux d’historiens (de Robert Darnton ou d’Alain Viala), illustrent la difficulté d’un projet à la fois historiciste et structuraliste, où l’histoire nourrit la perspective structuraliste et, ce faisant, la questionne. Le champ est-il une forme historique particulière des relations sociales ou bien une forme archétypique universelle de sociation ? Comment donner une portée générique à un concept tellement lié à ce contexte singulier qu’est le monde littéraire français au XIXe siècle ? Ici, note par ailleurs Fabiani, la tentative de Bourdieu constitue tout autant une variation sur un classique de la culture khâgneuse de l’époque de Bourdieu, mettant en oeuvre, à l’instar de Derrida dans L’écriture et la différence, le couple « genèse et structure » posé par un article célèbre d’Hyppolite.

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Les analyses de Bourdieu dans Les règles de l’art sont en vérité plurielles : elles se situent à la croisée de deux méthodes, structurelle et historique, autant qu’à la croisée des niveaux de temporalité, entre l’analyse de la mise en place des conditions génériques (économiques, politiques) au sein desquelles le champ prend forme et les coups de forces individuels flaubertien et baudelairien, instituant l’autonomie de ce champ en même temps que les figures couplées de l’écrivain et de l’éditeur de combat. De fait, la constitution d’un champ est inséparable pour Bourdieu de l’action de forces extérieures ménageant à leur tour autant de possibilités de reconfigurations internes : l’autonomisation du champ littéraire ainsi aurait été inconcevable sans l’extension du public permise par l’accroissement de la part scolarisée de la population, la baisse du coût du livre. Tout autant cependant, elle semble liée à la capacité de personnalités charismatiques (Flaubert, Baudelaire) à faire exister dans le champ de nouvelles positions par rapport à laquelle toutes les autres auront à se définir. Là encore, les conditions mêmes de ces coups de force sont multiples, et la contingence n’y est pas étrangère : la reconnaissance dont a bénéficié l’œuvre de Flaubert est-elle par exemple séparable des salons de la princesse Mathilde, de la rivalité de celle-ci avec la princesse Eugénie ?

Les conditions d’ajustements concrètes des individus aux champs, la façon dont ils s’y positionnent autant que leur capacité à y agir (voire, à agir sur eux) demeurent, selon Fabiani, peu interrogées. Elles sont par contre directement envisagées par le développement de la théorie de l’habitus. En effet, celui-ci est introduit comme principe générateur, inspiré en cela de la méthode de Panofsky. Il est principe d’inculcation des schèmes organisateurs de la pensée et en ce sens, à la fois produit et producteur. Mieux, souligne Fabiani, il vise à la constitution d’un site spécifique pour la sociologie, dans la mesure où irréductible à la simple intériorisation de normes, il l’est également aux méthodes de l’analyse économique. En ce sens, l’habitus met un nom sur un horizon problématique plutôt que sur un phénomène bien déterminé : il faut peut-être dès lors le considérer comme un concept opératoire et non thématique, selon la distinction de Fink (lequel distingue les concepts pris explicitement comme thèmes et développés comme tels, aux concepts opérationnel dans l’analyse sans que le phénoménologue n’en développe une théorie formelle2).

En effet, l’habitus perd vite l’aspect univoque de boite noire que lui confère d’abord Bourdieu. Sa description s’enrichit des développements sur sa nature autant que sur ses modalités de fonctionnement. Préréflexif, il n’est pas pour autant inconscient, et met en jeu des actualisations conscientes que Bourdieu évoque en terme de stratégie. Cette stratégie n’est cependant pas un calcul : l’habitus donne en quelque sorte une capacité de lecture du jeu et permet un sens du placement plus ou moins grand selon les situation. Pour autant, ces dispositions ne s’activent pas de manière équivalente ni automatique : les acteurs tirent diversement partie de leur habitus et manifestent une qualité différentielle de jeu. Au fur et à mesure de ces travaux, Bourdieu s’éloigne par ailleurs d’une définition trop fonctionnelle de l’habitus : celui-ci est autant principe d’ajustement que de désajustement. L’effet d’hystérésis manifeste une puissance de rappel du passé qui peut aussi devenir un obstacle à l’actualisation efficace des dispositions acquises : en ce sens, l’habitus n’est pas un principe magique d’harmonie, ces désajustements participant des processus d’auto-éviction de certaines catégories sociales (exemplairement, les enseignants chercheurs) et conduisant parfois à des situations d’oppositions telles que des groupes d’acteurs sont amener à contester un jeu dont ils ne reconnaissent plus les règles. En lui-même enfin, l’habitus n’est pas nécessairement approprié ni cohérent. Il peut-être clivé, clivage susceptible d’ouvrir au sein des pratiques l’espace d’une distanciation.

Le concept de capital a connu pour sa part une inflation qui finit par le rendre méconnaissable. Fabiani s’attache sous cette prolifération à retrouver les traits fondamentaux de la conception que Bourdieu en propose. Thématisée par Schütz et Becker, ce concept est en effet repris par le sociologue dans le contexte de ses observations de la société kabyle, à partir desquelles Bourdieu distingue capital économique et symbolique. Le concept de capital symbolique, plus wébérien que marxiste, rejette les conceptions conférant à l’économie le rôle de déterminant de dernière instance. Avec l’idée de capital symbolique, Bourdieu fait de la domination et de l’imposition arbitraire de références et de signes auxquels tous doivent céder le moteur de toute organisation sociale. Le capital symbolique devient alors la forme la plus pure du capital : elle en exprime à la fois l’autorité et l’ambiguïté, le symbolique étant à la fois le lieu d’expression de la domination et ce qui la masque. Cette référence wébérienne faisant du religieux le paradigme de la puissance symbolique est cependant concurrencée chez Bourdieu par le modèle des champs culturel et artistique, animés par une lutte permanente entre insiders et outsiders. Par ses trois états intériorisés, objectivés et institutionnalisés, le capital culturel se distingue du capital symbolique tout en ayant intimement partie liée avec lui.

Un modèle français

L’accent mis sur le capital symbolique et culturel invite à refuser les interprétations marxistes de Bourdieu et à resituer son projet dans une tradition rationaliste et critique. C’est dans cette perspective en particulier qu’il faut considérer la critique bourdieusienne du système scolaire. Celle-ci, en explicitant les modes de transfert des inégalités, se veut en effet au service d’un projet réformiste impliquant la mise en place d’une pédagogie rationnelle. Celui-ci à son tour atteste l’enracinement profondément républicain du projet de Bourdieu et la prévalence dans son œuvre d’un modèle méritocratique faisant de la fonction publique française et de l’état jacobins des idéaux-types implicites. Fabiani défend de manière convaincante l’adhésion profonde de Bourdieu à une certaine idée de la fonction publique, de la république et de l’Etat. Il la considère également comme une source du désenchantement croissant du sociologue, tant devant la pulsion autodestructrice d’une discipline incapable d’accomplir son rôle que devant la faillite d’un Etat se dépossédant peu à peu de ses prérogatives et de sa fonction « providentielle ».

Et en effet cette prévalence extrême, chez Bourdieu, du modèle français, de la culture scolaire et symbolique française, frappe. Le concept de champ, si approprié à la littérature dans la France du XIXe siècle, est-il par exemple si aisément transposable ? Le modèle curial étudié par Norbert Elias, le langage bureaucratique, très ancré dans la fonction publique et le monde universitaire français, auxquels se réfère Bourdieu, sont-ils à ce point universels ? La concurrence est-elle la force ordonnatrice pour tous les champs ? Quelle place laisse-t-il pour la coopération, l’association, pour les juxtapositions et cohabitations ?

Tout autant d’ailleurs, le concept d’habitus tel qu’introduit par Bourdieu semble lié à ce modèle français. Il présuppose en effet de son côté la puissance de la culture scolaire, l’intériorisation précoce d’un système de dispositions et son efficacité durable. Sans doute la question scolaire reste-t-elle ici encore à l’horizon : l’école est en effet cette institution assurant l’homogénéité du système en imprégnant chacun des valeurs dominantes. Comment expliquer sinon l’efficace symbolique de systèmes ininterprétables par les agents?

Les réponses de Bourdieu à cet égard sont duales : l’influence du modèle français rend la société française exemplaire, paradigmatique, susceptible d’expliciter des structures rendent compte d’un grand nombre de contextes. En quelque sorte, on retrouverait ici l’aporie de la variation eidétique husserlienne, sensée retrouver, à partir d’un exemple quelconque mais exemplaire des structures déterminant l’ensemble d’un champ d’objet. Quelles que soient les réserves qu’on peut éprouver envers une telle réponse, on ne peut qu’être admiratif de la capacité d’une œuvre si ancrée dans une histoire, un contexte et un champ spécifiques, à manifester une telle force d’universalité.

Inventivité méthodologique

Plus que la volonté d’établir une théorie générale, c’est l’inventivité conceptuelle et méthodologique dont Bourdieu fait preuve tout au long de son itinéraire au fil des difficultés qu’il rencontre que Fabiani ne cesse de souligner. Les chapitres 4 et 5 de l’ouvrage sont en ce sens essentiels. Ils montrent la façon dont l’œuvre de Bourdieu, malgré la stabilité de ses outils, est en construction permanente, s’alimente de toutes sortes d’opportunités et de rencontres. Ainsi, Bourdieu n’hésite pas à mobiliser son orientation phénoménologique initiale au service d’un projet inspiré aussi bien de la démarche structuraliste de Levi Strauss que de la sociologie wébérienne. De même, la collaboration avec les statisticiens permise par la Guerre d’Algérie a doté l’école bourdieusienne d’un outil statistique bien plus maitrisé et sophistiqué que l’école fonctionnaliste de Lazarsfeld.

Cette technique, par ailleurs, n’est jamais mise en œuvre indépendamment de la réflexivité. La méfiance envers les « causalités » prétendument mises à jour par les régressions statistiques conduit Bourdieu à privilégier une approche structurale, consciente des biais introduits par la sélection des variables, et cherchant à faire parler les données par le choix d’un système explicitant leurs interrelations. L’analyse géométrique, qui semble devenir la marque de l’école bourdieusienne à partir de la distinction, remplit très bien cette fonction de rendre visible non seulement des corrélations, mais de se donner comme la manifestation visible du champ.

Peut-être d’ailleurs, insiste Fabiani, met-on trop l’accent sur l’opposition méthodologique entre analyse géométrique et régressions linéaires, dont les critiques près tout ne sont pas l’apanage de la sociologie bourdieusienne. Peut-être est-ce plutôt l’usage de l’analyse géométrique au sein de l’ouvrage qui s’avère remarquable. Succès scientifique et grand public, La Distinction se caractérise par l’inventivité de sa présentation. Se méfiant des biais de la forme classique du discours et de sa temporalité, Bourdieu le module à travers une riche panoplie de modes d’expositions ; pagination, mises en regard, sont autant de façons de rendre explicite une problématique dont la nature est rétive à une présentation linéaire et univoque. Ici, l’usage des données, des exemples, des tableaux est tout sauf neutre ; la mise en évidence d’un champ résulte toujours de coups de force : propensions statistiques plus ou moins fortes à certains gouts réinterprétés en principes d’opposition, portraits de personnages choisis pour leur représentativité, s’enracinant dans des archétypes presque littéraires… D-Ces effets de réel facilitent la pénétration de l’œuvre, participent de sa richesse, mais constituent autant de risques de simplifications.

La Distinction ainsi apparaît comme un sommet, un point d’équilibre, mais aussi un point d’équilibre précaire. Elle illustre l’ambivalence d’un projet soucieux autant de sa réception large et de déjouer les pièges de son institutionnalisation. Ainsi, rappelle Fabiani, la première phase de l’œuvre, à vocation critique, lutte contre sa propre trivialisation. L’usage d’une langue technique, volontairement abstraite, vise à couper court aux illusions de la compréhension, aux connivences stylistiques afin de favoriser la réappropriation compréhensive des questions soulevées par les concepts d’habitus, de doxa, etc. La Distinction ouvre pour sa part une phase intermédiaire. Une dernière phase enfin, illustrée par La misère du monde, reproduit dans un contexte différent le coup de force méthodologique de La distinction. Bourdieu ne peut cependant plus, semble dire Fabiani, rester sauf des dévoiements de l’arène publique dans laquelle il a décidé d’entrer. En effet, dirions-nous, le parti pris de fureur butée, pourrait bien avoir piégé Bourdieu dans un rôle endossé bien malgré lui et assigné par le système auqueil il s’oppose ; à une époque où esprit de sérieux et esprit de dérision paraissent comme deux facettes d’une même doxa post-moderne, la distanciation ironique opposée par Gunther Grass au sérieux bourdieusien aurait pu être une alliée précieuse dans la poursuite d’un projet critique.

De l’habitus clivé à la révolution symbolique

Tout au long de l’ouvrage, Fabiani met en balance la marginalité revendiquée par Bourdieu et la virtuosité de sa maitrise du champ académique. En tant que tel, le trajet de Bourdieu est en effet bien moins hétérodoxe que le sociologue ne l’affirme. Celui-ci emprunte des voies bien balisées du champ académique depuis Durkheim et Mauss ; les sciences sociales françaises à cette époque, peu institutionnalisées, favorisent par ailleurs la reconversion de personnalités mobilisant un fort capital symbolique à leur refondation. Ces choix de carrière n’impliquent qui plus est aucun renoncement au prestige de la philosophie, d’autant que les positions de marginalité consacrée sont elles-mêmes inscrites dans la structure institutionnelle du champ universitaire et de ces lieux francs (EHESS, Collège de France). Elles sont précisément l’apanage d’individus dotés d’un fort capital scolaire et se plaçant d’emblée dans une perspective stratégique imposée par l’extrême précarité des carrières philosophiques et les risques élevés que celles-ci comportent.

Adoubé par le monde philosophique (Vuillemin, Canguilhem, Guéroult), engagé dans une thèse consacrée aux structures affectives de la temporalité chez Husserl et protégé par Canguilhem, Bourdieu a fait sciemment le choix des sciences humaines contre celui d’une carrière universitaire philosophique. Celui-ci n’est donc pas fait par défaut, bien au contraire. Au modèle académique offert par Canguilhem (celui de transfuge des classes populaires ayant voué sa vie à l’institution), Bourdieu privilégie celui, plus ambitieux, de réformateur. Ce modèle fait par ailleurs tout autant alors partie de son horizon des possibles : des auteurs aussi prestigieux que Braudel et surtout Levi Strauss l’incarnent alors. Ce dernier, tout à la fois refondateur de la science, écrivain et entrepreneur intellectuel et éditorial, montre la voie que Bourdieu empruntera à son tour.

C’est à la croisée de ces oppositions, sciences sociales plutôt que philosophie académique, structuralisme plutôt que sociologie sorbonnarde, que les choix de Bourdieu s’explicitent ainsi. D’emblée, son rapport aux sciences sociales se place dans cet horizon de conquête. La patte philosophique du concept d’habitus, utilisé par Bourdieu contre ceux de socialisations primaire et secondaire, illustre, s’il est nécessaire, l’ambiguïté de ce rapport à une philosophie moins rejetée que considérée impuissante à accomplir sa vocation critique, et cependant sans cesse remobilisée pour une refondation des sciences sociales. La sociologie apparaît en quelque sorte comme l’outil d’une radicalisation de l’interrogation philosophique, d’une intensification de la réflexivité critique. Dans la tradition de Kant, Bourdieu promeut d’une part un rationalisme critique impliquant l’exercice de la réflexivité à l’intérieur de ses institutions ; dans celle de Pascal et Wittgenstein d’autre part, il entame une prise de distance à l’égard de l’ « autorité » des concepts et institutions philosophiques. Aussi bien, Bourdieu ne cessera, depuis ses premiers travaux sur l’affectivité jusqu’aux études sur l’espace littéraire, d’aller défier Sartre sur son terrain, et, tout en déconstruisant son magistère, d’en récupérer le sceptre.

Derrière les linéarités des effets de champs et d’habitus, l’ouvrage ne cesse ainsi de rappeler le poids des rencontres et l’audace des coups de force. L’évolution des travaux de Bourdieu eux-mêmes nous invite à porter notre attention à ces dimensions affectives. L’habitus clivé conduit à la rage, à la fureur butée ; l’appartenance à des systèmes de valeurs contradictoire met en jeu aussi bien des mécanismes de soumission que des affects. De là peut-être le caractère héroïque que prend la figure de Bourdieu, aux prises avec la nécessité d’une révolution symbolique. Flaubert, en Frédéric Moreau, aurait peint son négatif ; personnage sans place assignée, mais flottant et sans force, Frédéric est le jouet de forces que Flaubert a su, lui, mobiliser pour renverser la table. Bourdieu, de son côté, n’aura cessé de souligner la puissance des systèmes, des champs, des déterminations, au sein d’une œuvre exerçant par là même sa force transformatrice. Ainsi se comprend mieux aussi une volonté permanente d’être à contre-courant, de se positionner contre les approches jugées dominantes (contre les althussériens, le fonctionnalisme, Latour et le constructivisme) tout en ne cessant d’être soi-même prescripteur.

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  1. Jean-Louis Fabiani, un structuralisme héroïque, Paris, Seuil, 2016
  2. Cf. E. Fink, « Les concepts opératoires dans la phénoménologie de Husserl », Husserl, Cahiers de Royaumont – Philosophie n° III, Paris, Les Éditions de Minuit, 1959, p. 21-24l
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