Cocktail de philosophie médiatique : Hommage à Pierre Hadot

De quelle façon meurent les philosophes ?

Les philosophes naissent. Ils vivent un peu. Ils vont à l’école. Ils font l’amour à des femmes cultivées, ou non. Ils achètent du rutabaga à l’épicerie du coin. Puis ils font des enfants. Et ensuite, un jour, ils meurent. C’est souvent pénible et douloureux, mais après ils vont au Paradis, car ils le méritent bien.

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Carnet du Monde concernant la disparition de Pierre Hadot

Pierre Hadot (1922-2010) vient de mourir. Etrangement toute la presse a signalé la disparition de cet original pointu, traducteur de Marc Aurèle et d’Ambroise de Milan… (Avouez que vous n’aviez pas connaissance de ce dernier !) Figure importante de la pensée contemporaine, et propagateur ardent de la sagesse antique, Hadot s’en va doucement sans faire de bruit. Le bonhomme, Professeur au Collège de France (depuis le début des années 80), était un discret dans l’âme, et craignait les sunlights médiatiques. Ses réflexions sur les pensées hellénistique et néoplatonicienne nous manqueront… Robert Maggiori écrit dans Libération : « Personnalité réservée, ancien prêtre, il a exercé une influence souterraine certaine, notamment sur les derniers développements de la pensée de Michel Foucault concernant « le souci de soi» et l’esthétique de l’existence. » Comment n’être pas attaché à un homme qui déclare : «La philosophie n’est pas une construction de système, mais la résolution, une fois prise, de regarder naïvement en soi et autour de soi.» ?

Mais comment meurent les philosophes en général ? Bonne question. En héros ? En martyres ? Au terne d’une sauvage exécution à la ciguë, comme Socrate ? Rarement… La plupart du temps les philosophes s’en vont doucement, sans faire de bruit, sans même faire d’ombres… Souvent les philosophes s’en vont comme Pierre Hadot… Comme si de rien n’était.

Audiovisuel, mon amour !

La chaîne de télévision éducative France 5 a annoncé le lancement d’une nouvelle émission consacrée à la philosophie « Le bonheur selon Julia ». Il s’agit d’un programme court (20 unités de 2 minutes), présenté par Julia de Funès, et diffusé du lundi au vendredi à 17h40, à partir du 5 avril.

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Le Monde du 4 avril 2010 signale le lancement de cette nouvelle émission

Loin de l’esprit de sérieux de l’émission « Philosophie » de Raphaël Enthoven, diffusée sur Arte (à qui nous avions consacré un article en ces pages. Cf.https://www.actu-philosophia.com/spip.php?article101), ce programme court présenté par la petite fille de Louis de Funès, qui est agrégée de philo1, a pour ambition de rendre la discipline « populaire et savoureuse » de façon « ludique mais sans simplification excessive » (ces mots délicats sont de la présentatrice). Pourquoi pas ?

Le format même de l’émission ne devrait cependant pas aider à aller au fond des choses, mais le propos est plutôt séduisant : Julia de Funès propose de partir d’une idée reçue (quelques thèmes d’émissions sont révélés par Le Monde : « être épicurien, c’est profiter au maximum des plaisirs de la vie », « être libre, c’est faire ce qu’on veut » , « l’amour-propre, c’est l’amour de soi-même »…) et d’en faire la critique philosophique en s’appuyant sur les auteurs classiques de la discipline.

Une émission qui fait clairement songer, soit dit en passant, par son propos et son format, au très piquant programme de Canal+ « Pas si vite » co-présenté par Jacky Berroyer, Michel Field et Mlle. Agnès, diffusé dans les années 90. Mlle. Agnès se posait des questions diverses sur la « vie » auxquelles les deux philosophes répondaient sur un mode « décalé », le tout dans un univers graphique joyeusement barbouillé à la palette graphique.

Reste à savoir si ce nouveau projet de France 5 ne tombera pas dans la mièvrerie d’une liste de « recettes » du bonheur. Le titre du programme fait un peu peur, et n’est pas sans évoquer les pires heures du pays occupé par les terroristes cathodiques d’AB Prod et leurs sinistres pantins de la « Philo selon Philippe » qui nous gavaient de concepts mous, d’intrigues outre-crétines et de couleurs angoissantes à donner des épilepsies chromatiques carabinées. Nous attendons évidemment mieux du « Bonheur selon Julia », même s’il un peu effrayant d’apprendre que les textes seront co-écrit par Isabelle Motrot, moraliste mièvre du terrifiant rock band de Laurent Ruquier. Espérons que ce projet visant à « décomplexer » le public par rapport à la philo ne vire pas au cocktail baba-new-age mêlant développement personnel, zen et obsession du bonheur et du bien être. Affaire à suivre… (Et nous ne manquerons pas d’y revenir ici-même à l’occasion)

Et pour s’amuser, une fois n’est pas coutume, des coulisses de la télévision, voici un petit morceau de la conférence de presse de lancement de cette émission. On note toutes les précautions qui sont prises par les producteurs pour faire passer le message aux journalistes qu’il s’agira d’une philo « sympa », légère, et certainement pas académique ! Ouf ! Les annonceurs seront rassurés.

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  1. Il est à noter que la demoiselle a un blog : http://coupdephilo.over-blog.com/ Elle est aussi l’auteur de Coup de philo sur les idées reçues, Michel Lafon, 2010.
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