Clotilde Leguil : L’être et le genre

Clotilde Leguil est psychanalyste et philosophe, professeure [Nous optons pour une féminisation des titres, dans la mesure où Clotilde Leguil plaide en faveur d’un différentialisme assumé. Nous n’avons à ce sujet pas d’opinion et serions, du reste, tentée de préférer au mot « auteure », que nous emploierons néanmoins par la suite, celui d’« autrice » en vigueur jusqu’à la moitié du XXe siècle, et ce dès le latin autrix. Nous suivons néanmoins ici l’option majoritaire actuellement.] au département de Psychanalyse de l’Université Paris 8. Dans son ouvrage L’Être et le Genre. Homme/Femme après Lacan, qui vient d’être réédité (en 2018) après une première publication en 20151, elle propose une analyse ontologique et psychanalytique de la catégorie de « genre » ; en cela, elle prend le contrepied d’une sociologie qui fait du genre une construction strictement culturelle. Le problème est le suivant : le genre relève-t-il de la nature ? Si tel est le cas, il faut admettre une posture « essentialiste » et différentialiste, selon laquelle il y aurait « une femme » idéale et « un homme » idéal. La majorité des courants du féminisme s’accordent pourtant à récuser un tel postulat. Faut-il pour autant ne voir dans le genre qu’une construction culturelle socio-normée, de sorte qu’il serait une entrave à l’individuation ? C’est selon Clotilde Leguil le point de vue dominant en sociologie, mais ce n’est pas ce qu’en psychanalyste elle souhaite défendre. Elle entend plutôt dépasser l’antagonisme entre « nature » et « culture », pour ancrer dans un psychisme toujours en remaniement la différenciation du genre. Ce faisant, elle promeut un véritable existentialisme du genre, arguant qu’il est toujours en train de se faire, à échelle individuelle, dans la relation que le sujet tisse avec autrui. Or, il ne saurait y avoir de lien à autrui sans séparation et reconnaissance d’une différence réciproque ; c’est cette reconnaissance réciproque d’une différence, condition de la relation à autrui, que Leguil appelle « genre ». Son optique est donc clairement différentialiste, mais assurément pas essentialiste : elle est existentialiste.

La philosophe et psychanalyste souligne l’intérêt des gender studies : de tels travaux sociologiques ont permis de montrer qu’ « en la matière, il n’y a aucune évidence. Rien ne va de soi. Ni d’être une femme, ni d’être un homme, ni d’aimer le sexe opposé ni d’aimer le même sexe[p. 8]. » Monique Wittig et Judith Butler ont fait « apparaître la fabrique du genre », faisant « décrocher le rapport au genre de toute référence à la nature[p. 8] ». Le genre n’étant pas « naturel », il ne peut qu’être « culturel », selon la sociologie des gender studies.

Ce faisant, elles ont mis en évidence et dénoncé, notamment, et tout particulièrement, les stéréotypes homophobes. L’intérêt principal de ces travaux sociologiques est donc d’avoir permis aux sociétés de saisir la souffrance occasionnée par la normativité sexuelle et de genre au niveau individuel. La norme est en effet nécessaire à la structuration des sociétés, mais elle peut représenter une nuisance pour l’individu. En distinguant le sexe biologique de la sexualité, d’une part, et du genre, d’autre part, les gender studies ont montré qu’il n’y avait aucune nécessité comportementale associée au sexe ou au genre, et que cette normativité était construite socialement. Aussi faut-il voir dans les « avancées épistémologiques » permises par la sociologie du genre « un véritable progrès éthique et politique[p. 9] », qui a permis la « reconnaissance » de « droits » à bon nombre d’êtres humains jusqu’alors marginalisés.

La psychanalyste ne tient en aucun cas à remettre en question la nécessité éthique d’une telle reconnaissance, mais elle s’interroge sur la logique binaire des gender studies : considérer que le genre n’a rien de déterminé essentiellement implique-t-il que le genre ne soit qu’une construction sociale ?

« Cet abord du genre, tel que le proposent les études de genre américaines, […] est-il le seul abord légitime ? Cette approche politique du genre est-elle la seule souhaitable ?[p. 9] ».

Derrière ces questions, Clotilde Leguil souhaite interroger la normativité même des gender studies, ce qui n’est pas le moindre des reproches puisqu’elle retourne la critique propre aux gender studies contre les gender studies elles-mêmes : « le genre ne peut-il s’entendre qu’en termes de norme ?[p. 9] ». Il est vrai, les gender studies refusent les normes de genre, donc elles refusent toute normativité. Mais ce faisant, elles font du genre une norme, ce qui par conséquent n’affranchit toujours pas le genre de la moindre normativité.

C’est l’objectif que se donne ici l’auteure, au prisme de la psychanalyse lacanienne en particulier :

« Entre la voie des gender studies qui font du genre une norme aliénante et la voie de la tradition qui refuserait d’interroger le genre, il y a peut-être une troisième voie[p. 10] ».

Car s’il y a quelque spontanéité à dévier de la norme, comme le laissent entendre les gender studies c’est qu’il y a de la spontanéité dans le choix du genre ou dans l’orientation sexuelle, et que précisément le genre peut s’affranchir de la norme : on ne peut pas « dissoudre le genre dans les normes que l’on rencontre ». C’est à ce niveau que le travail de Clotilde Leguil se situe : quoique reconnaissant l’importance des travaux menés par Judith Butler et Monique Wittig, elle se pose en critique du réductionnisme de ces dernières. En cela, ses travaux rejoignent les revendications différentialistes les plus actuelles, lesquelles sont mobilisées pour justifier notamment le changement de sexe biologique. Nous y reviendrons au début du II.

Le point de vue de Leguil est, on le comprend, distinct d’ « une approche sociologique et politique[p. 10] » car cette dernière ne se préoccupe du collectif. Les gender studies sont nécessaires du point de vue collectif, politique et juridique, mais elles se préoccupent peu du sujet à échelle individuelle. A contrario, en psychanalyste, Leguil entend s’intéresser au vécu subjectif du genre, c’est-à-dire à la façon dont chacun.e détermine pour ainsi dire existentiellement son genre.

L’un des premiers reproches adressés à Judith Butler, l’une des représentantes majeures des gender studies, est en particulier de réduire la difficulté à s’inscrire dans le genre à la cause homosexuelle. Or, comme le souligne Leguil, « chacun rencontre la question du genre, quelle que soit son orientation sexuelle, autrement qu’en termes de normes de genre[p. 12]. » C’est que « l’abord par le stéréotype », c’est-à-dire l’approche sociologique qui pose le genre comme norme, « est lui-même pris dans le piège des stéréotypes[p. 12] » : autrement dit, en faisant du genre une norme exclusivement sociologique, les gender studies empêchent de penser le vécu individuel et la performativité toujours singulière du genre. En somme, les gender studies essentialisent le genre, à partir du moment où elles en font une catégorie. Or, selon Leguil, le genre se diffracte en autant de façons qu’il y a de s’individualiser, et ne saurait constituer une catégorie universalisable.

Le projet de Leguil est donc clairement de « sortir des discours pour tous[p. 12] », c’est-à-dire de mener à son terme le projet des gender studies, que ces dernières semblent avoir échoué à accomplir : « le genre renvoie à un sous-texte qui n’est écrit qu’en pointillé en chacun […]. L’histoire de chacun en tant qu’être d’un genre ou d’un autre, est une histoire qui n’a rien d’officiel[p. 13] ».

Les références théoriques de Leguil sont Freud et Lacan ; aussi tend-elle à penser le genre à partir de la relation à autrui et du désir : « C’est plutôt à travers une parole de l’autre que l’on apprend à connaître son propre genre[p. 13]. » En la voyant ainsi subordonner le genre à la parole de l’autre, l’on est toutefois en droit de se demander si elle n’invalide pas cela même qu’elle prétend soutenir, à savoir la détermination subjective du genre : si je suis maître du genre que je me donne, comment peut-on dans le même temps affirmer que je suis dépendant d’autrui ? Autrement dit, l’on pourrait interroger l’apparente subordination du genre au lien avec l’autre, c’est-à-dire sa subsomption sous le désir d’autrui — et, dans une certaine mesure, la réduction consécutive du genre à l’orientation sexuelle, c’est-à-dire au désir pour autrui. Toutefois, comme en attestera le développement de cette thèse dans l’ouvrage, ce n’est pas à l’autre que Leguil réfère le genre, bien au contraire : le genre se construit selon elle tout à fait subjectivement, mais par la médiation de l’altérité à soi.

C’est donc de subjectivité du genre dont il va être question dans tout le texte, subjectivité qui seule présente la puissance d’invalider la normativité sociale du genre : « le genre n’est ni seulement une norme, ni seulement une seconde nature. Il renvoie à une part intime qui n’est dicible ni en termes de stéréotype ni en termes naturalistes[pp. 13-14] ». Leguil postule ainsi une certaine labilité du genre, qu’elle qualifie de « précaire : « Quel que soit le corps que l’on a, on se sent homme ou femme selon certaines rencontres, selon certains émois, selon certaines passions à certains moments de son existence. Il ne s’agit pas d’un caractère acquis une fois pour toutes. Et ces expériences sont au regard des normes d’une insoutenable légèreté[p. 14]. » Ce faisant, Leguil prend implicitement le parti de lier le genre au désir et aux relations entretenues par le sujet avec autrui. C’est bien pourquoi le genre n’est ni totalement construit par les autres, sociologiquement, ni totalement « naturel » puisqu’il est relativement contingent. Le parti pris de Leguil est donc de poser le genre entre nature et culture, dans l’aire psychique des intentionnalités relationnelles : « Avec Lacan, la question « qui suis-je ? » conduit à se demander comment être un homme, comment être une femme, avec le corps que l’on a, parfois même en contredisant ce corps, dans la rencontre avec les autres, et sans disparaître derrière les normes de genre[p. 19]. »

La posture de l’auteure s’oppose en cela à celle des gender studies, et cette opposition est le point de départ de sa thèse : les gender studies se méprennent fondamentalement sur la psychanalyse, parce qu’elles voient indûment dans cette dernière une réitération de l’essentialisme idéaliste platonicien. Leguil se donne pour projet de récuser un tel a priori, pour montrer dans quelle mesure les théories freudienne et lacanienne pourraient au contraire sortir les gender studies de l’écueil délétère dans lequel elles se trouvent.

En philosophe, Clotilde Leguil souhaite interroger la tension qui va du genre à l’être, postulant que le genre n’est pas qu’une question de « parure » et de « semblant[p. 14] ». La référence à Lacan est ici évidente quoiqu’implicite. Elle reproche notamment aux gender studies de ne pas étudier le genre pour ce qu’il est, dans sa positivité, mais seulement par rapport à ce qu’il n’est pas, c’est-à-dire « par opposition au sexe[p. 15] » biologique. Aussi propose-t-elle d’interroger le genre d’un point de vue existentialiste, afin de frayer une troisième voie par-delà l’opposition dichotomique entre naturalisme/essentialisme du genre et constructivisme social. Car il y va selon elle de la liberté de chacun.e que d’écrire son propre genre, liberté qui s’accompagne d’une certaine angoisse. « Rien [des pratiques sexuelles pas plus que du corps] ne suffit à dire à chacun ce que c’est que d’être un homme, ce que c’est que d’être une femme. C’est bien pour cela que l’angoisse surgit[p. 20]. » Si le genre n’est jamais donné, toujours à construire, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit construit par la société, ni qu’il exclue les spécificités subjectives propres à chacun. La question du genre déploie la liberté humaine tendue entre le sujet et les autres ; le genre relève de l’existence et de la façon dont, au quotidien, nous tentons de résoudre l’angoisse de notre liberté.

I. S’affranchir des normes de genre

Nous préférons ici ne pas nous attarder sur les très nombreuses références cinématographiques et littéraires contemporaines de l’auteure, pour mieux nous concentrer sur le message théorique qu’elle souhaite faire passer. Dans son premier chapitre, intitulé « S’affranchir des normes de genre », elle note une coïncidence thématique entre psychanalyse et gender studies : « La question du genre, avant d’être celle des gender studies, fut, est et reste aussi celle de la psychanalyse au XXIe siècle. Mais il est vrai qu’elle ne se pose pas en psychanalyse dans les mêmes termes que ceux des gender studies[p. 24] ». C’est bien l’enjeu de ce chapitre : attester de la préoccupation psychanalytique pour le genre, non comme essence mais bien comme auto-détermination, afin d’invalider la méprise des gender studies et l’opprobre jetée par ces dernières sur la démarche psychanalytique. Aussi Leguil a-t-elle pour objectif ici de « clarifier ce qu’est le genre dans la perspective de l’inconscient[p. 24] ». C’est de « désir » et de rapport à autrui dont il sera question tout au long du texte : ce faisant, l’hypothèse d’un « essentialisme de genre » refusée par les gender studies, mais à tort attribuée à la psychanalyse, se voit immédiatement récusée : « Dans la psychanalyse, le genre est de l’ordre d’une position subjective rendant compte d’un certain rapport au corps et à l’Autre[24] ». On comprend ici la suspicion potentielle des gender studies pour la psychanalyse : si le genre est lié « au corps » et « à l’Autre », ne tend-on pas à réduire le genre au sexe biologique d’une part, et à la sexualité d’autre part ?

Ce type de reproche est illégitime selon l’auteure : en aucun cas la psychanalyse ne pose le genre comme un donné qui s’impose au sujet. Au contraire, « [p]our la psychanalyse, le genre est plutôt ce après quoi le sujet court », c’est-à-dire ce qu’il ne saurait posséder une fois pour toutes. Mais justement, puisqu’il « court » après le genre, le sujet ne saurait se satisfaire, selon Leguil, du leitmotiv des gender studies : « [p]our les gender studies, le genre est ce que le sujet doit fuir s’il veut vraiment pouvoir assumer sa vie sexuelle, disposer de son corps comme il l’entend[p. 25]. » Il ne s’agit pas pour Leguil de réduire le genre à la sexualité, mais de penser que les deux ne sont pas mutuellement exclusifs l’un de l’autre : ils peuvent se conjuguer sans se subsumer l’un l’autre. Aussi se dessine-t-il ici, au début de ce premier chapitre, l’objet de l’ouvrage : récuser la façon dont les gender studies entendent l’acception psychanalytique des termes « homme » et « femme ». En se méprenant sur la signification de ces termes en psychanalyse, les gender studies s’estiment en droit de récuser la psychanalyse tout entière. Or, en aucun cas selon Leguil la psychanalyse ne saurait être considérée comme « la gardienne des normes de genre » : « on ne reconnaît plus vraiment le Lacan des Écrits ou du Séminaire lorsqu’on lit Judith Butler[p. 26] ». Au contraire, l’objectif de l’auteure est de réfuter la critique de la psychanalyse par les gender studies : « la psychanalyse, tout en répondant différemment à la question du genre que les gender studies, ne considère pas pour autant que le désir quel qu’il soit devrait être normalisé, ni que l’hétérosexualité jouit d’un privilège quelconque au regard de l’homosexualité[p. 26]. »

Il est temps de nommer les « responsables » de l’échec des gender studies : c’est de Monique Wittig dont il va être question dans un premier temps, et dont il sera principalement question tout au long de l’ouvrage, la critique de Leguil portant avant tout sur sa déclinaison des gender studies. L’auteure lui reproche en particulier ses préjugés erronés sur la psychanalyse :

« celles et ceux qui luttent contre les stéréotypes de genre n’hésitent pas à colporter de tels stéréotypes sur la psychanalyse […]. Il y a plutôt haine de la psychanalyse et refus de reconnaître que ces stéréotypes sur la cure analytique n’ont rien à voir avec l’expérience singulière d’une analyse dans la vie d’un sujet, hétérosexuel ou homosexuel[p. 27]. »

Leguil passe au crible l’ouvrage de Wittig : La Pensée Straight, et lui reproche d’invalider le concept même de « femme » : « Si elle s’inscrit dans le courant féministe, ce n’est pas sans contester le terme lui-même de “féminisme“ dans la mesure où il fait référence à la catégorie de “la femme“ dans dans son nom même[p. 28]. » C’est un des écueil en effet d’un certain « féminisme », ou du moins le reproche le plus commun à l’endroit « du » féminisme : il arrive à certaines personnes de réprouver « le » féminisme au motif qu’il refuse aux femmes leur droit à être des femmes et que, ce faisant, il porte bien mal son nom. Aussi la critique formulée par Leguil à l’encontre de Wittig permet-elle d’invalider à son tour la critique parfois adressée « au » féminisme, pensé à tort au singulier : il ne faut pas réduire « le » féminisme à son acception wittigienne. Wittig est faillible ; mais sa faillibilité ne saurait discréditer pour autant « le » féminisme dans son entier, puisque celui de Wittig n’en est qu’une déclinaison parmi d’autres.

Dans La Pensée Straight notamment, Wittig récuse l’hétéronormativité de la société. Elle estime que « la pensée droite et rigide [est] la pensée des hétérosexuels. Or, pour elle, “l’hétérosexualité est le régime politique sous lequel nous vivons, fondé sur l’esclavagisme des femmes“[p. 29]. » L’idée de Wittig est que l’hétérosexualité est une norme imposée par le politique, norme qui exclut désir et pulsion spontanés. On le comprend, le reproche de Leguil à l’endroit de Wittig consiste dans l’exclusion par ce qui est qualifié d’ « hétéronormativité » de la sexualité elle-même. Tout se passe comme si Wittig ne parlait pas de « sexualité » et seulement de norme politique. Au-delà de ce premier problème, Leguil souligne la volonté wittigienne de « détruire politiquement, philosophiquement et symboliquement les catégories d’homme et de femme[p. 30] » au motif, précisément, que ces catégories sont politiquement hétéronormées. Or, il faudrait selon Leguil introduire de la nuance : critiquer et invalider l’hétéronormativité n’implique pas nécessairement d’en déconstruire les catégories de fait, mais d’invalider le passage présenté comme nécessaire du fait au droit et au devoir. Autrement dit, il faut aussi penser les genres autrement qu’en termes de rapports de force : en réduisant le genre « femmes » à la catégorie « dominées », Wittig ne fait qu’entériner une telle réduction au lieu de l’invalider. « Dans [sa] perspective, la différence des sexes est engendrée par un régime politique qui exerce sur les corps un pouvoir de façon à les diviser en dominants et dominés. Ceux ou elles qui affirment “le primat de la différence“ sont considérés comme les agents de la domination[p. 32] ». On le comprend : avec Wittig, nulle différence de genre pas plus que de sexe ne valent. Il n’y a pas de différence d’homme à femme, et la catégorie « femme » pourrait aussi bien porter le nom de catégorie « dominés » car c’est ce à quoi elle renvoie. Le problème de cette indistinction de genre et de sexe selon Leguil, c’est qu’elle revient à récuser tout désir, et tout amour possible « dans un monde » devenu « sans sexe[p. 32] ». La posture théorique de Wittig semble insoutenable et sans cohérence avec le réel factuel. Soulignant que « Monique Wittig se présente en héritière de Simone de Beauvoir[p. 32] », Leguil met en évidence aussi le fait que ni la cause des femmes ni même les gender studies ne sauraient se satisfaire d’une telle posture théorique. « Pour elle, on ne naît pas femme, c’est certain, mais il faut tout faire pour ne jamais consentir à le devenir non plus[p. 33]. » Or, si la démarche de Beauvoir, consistant à « détruire le mythe de la femme[p. 33] » s’est avérée hautement nécessaire, en aucun cas il ne s’est agi d’invalider le droit à être une femme. C’est pourtant ce que fait Wittig en jetant l’opprobre sur toutes celles qui se revendiqueraient « femmes » : « celles encore qui considèrent ne pas souffrir d’être une femme seraient dans une impasse[p. 33] ». La lecture faite par Wittig du Deuxième Sexe s’avère en cela erronée. Le motif de Beauvoir est existentialiste : il s’agit de susciter un processus non seulement d’émancipation féminine, mais en outre de subjectivation c’est-à-dire d’appropriation du genre. On a à devenir un sujet, non à se supprimer en tant que sujet. En cela, Beauvoir promeut le refus de tout « assujettissement à des attentes sociales[p. 34] », mais pas l’invalidation d’un « devenir femme » individuel et subjectif. S’il n’y a pas de « nature » féminine, cela ne signifie pas pour autant chez Beauvoir que l’on « ne devient pas femme » : son optique est existentialiste, c’est-à-dire que selon elle « la féminité » se construit subjectivement, ou doit se construire subjectivement. Mais qu’elle doive se construire subjectivement ne récuse pas le fait qu’elle doive se construire : pour invalider « le mythe de la femme », il faut refuser de n’être-que-pour-autrui et décider d’être-pour-soi. Devenir-femme est un « processus » qui s’invente : il s’agit de devenir sujet. Or, selon Wittig, l’invalidation des inégalités sociales de fait doit en passer par la négation de toute différence de fait. Ce que soutient Leguil au contraire, suivant en cela Beauvoir, c’est que la différence ne saurait justifier l’inégalité. Ce n’est donc pas la différence qu’il faut invalider pour récuser l’inégalité, mais le passage de la différence de fait à l’inégalité de droit et l’injustice sociale. Faute de quoi l’on nie à chacun sa singularité, ce qui est refuser à chacun le droit à la reconnaissance. Le problème de la normativité sociale est bien le fait qu’elle implique un jugement moral et un jugement de valeur de ce qui dévie de la norme ; c’est ce jugement-là qui doit être récusé.

Lorsque Wittig soutient que « la catégorie elle-même […] doit disparaître[p. 36] », elle semble donc, paradoxalement, entériner et justifier l’inégalité associée à la différence. Dans une certaine mesure, elle entérine l’hétéronormativité qu’elle prétend récuser, ce qui n’est pas la moindre des contradictions. Le fait d’être femme « n’existe pas en dehors d’une relation de soumission à l’être homme[p.37] » ; mais est-ce juste ? Est-ce normal, est-ce légitime ? C’est ce que l’on pourrait demander à Wittig. De quel droit passe-t-on de la différence à l’inégalité ? De quel droit passe-t-elle, elle aussi, de la différence de fait à l’inégalité de droit ?

C’est que Wittig « récuse […] ce qu’elle appelle “le principe illogique de l’égalité dans la différence“ et s’écarte par là de la proposition de Beauvoir. Les féministes feraient fausse route en croyant pouvoir défendre les femmes tout en maintenant leur différence d’avec les hommes[p. 37]. » Contre un tel différentialisme, Wittig propose de dépasser toute catégorie de sexe, aussi bien que de genre, dans la mesure où « toute référence culturelle à la différence des sexes conduirait inévitablement à la reproduction du régime politique de l’hétérosexualité obligatoire et à l’exclusion par conséquent des individus non hétérosexuels[p. 38]. » Le projet peut être formulé simplement : il s’agit de supprimer toute partition de genre aussi bien que de sexe, pour invalider l’hétéronormativité sexuelle. Cela pose d’immenses problèmes éthiques, que souligne la psychanalyste Clotilde Leguil : au lieu de permettre à chacun.e de se singulariser par différenciations successives et évolutives, Wittig refuse tout processus de subjectivation. Dans La Pensée Straight, elle lutte contre l’idée qu’un individu puisse être « malade » en soi, et estime au contraire qu’il ne fait que souffrir d’une société hétéronormative. L’idée n’est pas inintéressante, mais en rejetant ainsi toute pathologie sur le cadre sociétal, n’interdit-on pas aussi à l’individu le droit d’exister au sens propre, c’est-à-dire de manifester sa liberté par rapport aux normes ? Leguil reconnaît que « l’on peut respecter le combat politique de Wittig » mais estime qu’ « on ne peut pas la suivre dans cette approche presque naïve et en tout cas simpliste de la psychanalyse[p. 40] ». Elle relève en particulier que le discours tenu par Wittig manifeste plutôt un point de vue personnel que scientifique, et exprime plutôt une « haine[p. 40] » pleine d’affects qu’une critique rationnelle et sérieuse de la psychanalyse. Au contraire, rappelle Leguil, « [l]’approche psychanalytique constribue […] à dépathologiser les souffrances et à détacher le sujet de sa croyance en une normalité face à laquelle il se sentirait en défaut[p. 40]. » Par la parole, le sujet s’affranchit précisément de ce qu’il prend pour une norme et qu’il vit comme une injonction. Il ne s’agit donc en aucun cas, en psychanalyse, et contrairement à la conviction de Leguil, d’entériner une hétéronormativité sociale, bien au contraire.

Leguil note en outre que le refus wittigien du signifiant « femme » peut être mis en rapport avec le refus de la psychanalyse, c’est-à-dire le refus de l’hypothèse de l’inconscient au motif que « l’inconscient est hétérosexuel » et que la psychanalyse culpabiliserait l’individu non hétérosexuel. Dans une certaine mesure, le refus tout en bloc de la psychanalyste au nom d’une grave méprise sur la théorie, et la condamnation du signifiant « femme », pourraient résulter d’un « mécanisme de défense » propre à Wittig. Car elle reçoit la psychanalyse lacanienne — du moins, selon Leguil — de manière erronée : « “Suis-je une femme ?“, “Qu’est-ce qu’être une femme ?“, sont pour Lacan des questions qui conduisent le sujet à se confronter à une absence de réponse toute faite[p. 41]. » En soutenant que la psychanalyse lacanienne impose des réponses sous forme de catégorie de genre, Wittig semble tout ignorer de la psychanalyse, ou du moins être de très mauvaise foi.

Clotilde Leguil en vient dès lors à considérer la réception butlérienne de la psychanalyse lacanienne, et sa manière propre de réprouver les catégories de genre. L’analyse est plus rapide, probablement aussi parce que l’auteure trouve moins à redire à Butler — ou parce que la réprobation de cette autre figure majeure des gender studies à l’endroit de la psychanalyse est moins forte.

Aux yeux de Judith Butler, « ce qu’il y a de dangereux dans le genre, c’est l’effet qu’il produit sur les sujets[p. 43] ». Autrement dit, la dichotomie de genre à l’œuvre dans les sociétés présente le risque de normer a priori les individus — et c’est bien le cas — au lieu de leur laisser la possibilité de se dessiner d’abord. Leguil reproche en revanche à Butler de penser l’individu à ce point contraint par « le genre » et les discours hétéronormatifs qu’il ne pourrait pas s’en affranchir. En cela, elle semble aller à l’encontre de l’existentialisme de Beauvoir : « le genre conduit à une substantification, à une essentialisation[p. 44] ». De façon générale, Butler récuse l’essentialisme, qu’elle impute à la philosophie platonicienne. Or, comme le remarque Leguil, la philosophie ne pose pas l’être à partir du genre : si certes on trouve chez la plupart des philosophes la mention des catégories « femme » et « homme », ce n’est chez chacun d’eux qu’une différenciation seconde par rapport à l’être. Il y a certes motif à critique légitime de la part des gender studies à l’endroit de l’histoire de la philosophie, mais certainement pas concernant l’idée que le genre serait une essence.

Toutefois, le discours de Butler présente des apports indéniables ; il s’inscrit dans la continuité de la critique formulée par Foucault à l’égard de la normativité sociale. Sa démarche relève de la philosophie politique, et pose que les catégories de genre participent d’un discours qui s’impose à l’individu et l’enclave.
Mais Butler comme Wittig tendent à récuser, des distinctions de genre, ce qui relève plutôt des discours sur la sexualité. Autrement dit, chez Wittig la souffrance sociale occasionnée par son orientation homosexuelle lui vaut de refuser la catégorie « femme », comme si finalement le genre, l’hétérosexualité et la différence biologique des sexes signifiaient une seule et même chose. Cette assimilation est hautement discutable, assimilation que récuse précisément Butler : « Relativement à la différence des sexes, elle considère plutôt que celle-ci doit rester une question pour chacun et non pas qu’elle doit disparaître. Relativement au signifiant “femme“, elle témoigne elle-aussi de son embarras, s’interrogeant sur le fait que ce signifiant puisse désigner autre chose que la classe des femmes opprimées par les hommes. Il s’agit pour Butler de se servir des normes de genre pour les subvertir et inventer de nouveaux genres qui brouillent les pistes de l’hétérosexualité obligatoire[p. 46]. » En d’autres termes, d’un côté Wittig prétend annihiler la différence des genres, parce qu’elle est pensée en termes d’hétéronormativité ; de l’autre côté, Butler au contraire démultiplie la différence des genres, dans le même but d’éliminer l’hétéronormativité. Si le projet de Butler est beaucoup plus humaniste, faisant droit à la singularité de chacun.e et aux processus individuels de subjectivation, il présente toutefois un défaut commun au projet de Wittig : celui, finalement, d’entériner l’idée que « le genre » n’a rien de subjectif, et n’est relatif qu’à des constructions sociales.

Leguil plaide au contraire en faveur d’une « fluidité[p. 47] » du genre, c’est-à-dire de son caractère évolutif. Surtout, elle suggère de penser l’ancrage psychique de la façon dont on « performe » le genre, par-delà la sociologie et le politique.

II. Préhistoire du modèle unisexe

Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, l’auteure souhaite montrer que, loin d’être une innovation propre à Wittig, le « modèle unisexe » est historiquement antérieur à la dichotomie de genre.

Clotilde Leguil souligne la « lourdeur », la « pesanteur » du genre : il « s’impose » aux corps et aux individus, parce qu’assurément il est en partie social, et n’est pas réductible au sexe biologique. C’est « [c]e que nous apprennent les études de genre […] [:] la différence des sexes, bien qu’inscrite dans les corps anatomiques, est une production culturelle[p. 52] ». On pourrait ici reprocher à Clotilde Leguil de ne pas tenir compte, précisément, d’un des apports des gender studies : elle tend à confondre genre et sexe biologique. Si le genre est bien une construction sociale, c’est par différence d’avec le sexe qui, lui, est biologique. Mais de fait, les gender studies et leur évolution sous forme de queer studies conduisent à penser désormais le sexe sur le même modèle que le genre, et à considérer que le sexe biologique est lui aussi culturellement construit. L’enjeu est de réaligner le sexe sur le genre afin de légitimer, notamment, les changements de sexe biologique par les moyens techniques et médicaux aujourd’hui à disposition. Par conséquent, il n’est pas absurde de penser l’alignement du genre sur le sexe biologique, dans la mesure où une telle affirmation résulte de l’évolution même des gender studies.

Clotilde Leguil corrobore l’hypothèse d’une construction culturelle et discursive du sexe biologique : « [d]ès qu’il y a discours sur la différence des sexes, il y a […] disparition de la différence des sexes au naturel[p. 52]. » Autrement dit, les discours reconstruisent le naturel, et en font du culturel : « [o]n interprète cette différence et on la fait parler[p. 52] ». En cela, le discours sur la différence des sexes autant que sur la différence des genres tend à « assign[er] […] des êtres à certains comportements[p. 52] ». Les « stéréotypes » sont « produits par l’ordre social dans le but d’assujettir les êtres », certes, mais ils sont également « produit[s] par l’angoisse des sujets eux-mêmes face à ce qui ne relève pas d’un savoir prédéfini[p. 52] ». La différence ne s’imposant pas à l’être, mais étant appelée par le processus d’individuation et de différentiation, elle doit être construite par des discours. Certes, la construction discursive des genres et des sexes laisse ouverte la possibilité d’interprétations stéréotypiques. Mais elle autorise aussi les processus de subjectivation, dès lors que l’individu agit sa parole propre : le genre est performatif.

Toutefois, que la différentiation des genres et des sexes relève d’une construction discursive n’impose pas pour autant qu’elle soit seulement sociétale. Selon Leguil, il revient à chacun.e de construire son genre, d’interpréter ses propres caractéristiques biologiques, certes par rapport à des normes, mais sans nécessairement s’en laisser imposer une interprétation quelconque.

L’auteure admet que la société tend à imposer des clichés de genre, lesquels viennent apaiser l’angoisse de l’indétermination : « les clichés viennent à la place de cette inquiétante étrangeté[p. 53] ».

Après avoir rappelé que Lacan entérine la différence des sexes et des genres, la question de Leguil est la suivante : « comment parler de la différence des sexes sans tomber dans des stéréotypes ?[p. 53] ». Elle souhaite légitimer le discours de Lacan à propos de la différence hommes/femmes, sans valider pour autant les stéréotypes associés aux femmes et aux hommes. Elle opte pour un différentialisme existentialiste, et non essentialiste : « À quelles conditions finalement peut-on parler du corps sexué et de l’identification masculine et féminine sans chosifier les êtres ?[p. 54] » Son objectif est donc, en suivant Lacan, de déterminer ces conditions afin de concilier posture psychanalytique et gender studies.

Leguil ne souhaite pas récuser l’idée d’une domination masculine, qu’à bon droit les gender studies ont dénoncée. Mais elle reproche plutôt aux gender studies de tomber dans « un piège idéologique toujours au service de la domination masculine[p. 54] », notamment chez Wittig. En somme, Leguil veut parler de la différence des sexes et souhaite montrer que la posture différentialiste et existentialiste pourrait permettre aux études de genre de sortir de l’impasse.

Le moyen de cette affirmation consiste à reprendre des gender studies, leur « détachement à l’égard de l’ontologie[p. 55] », c’est-à-dire leur conviction que l’essentialisation du genre nuit aux individus. Cependant, en récusant l’essentialisme dans son entier, afin de récuser « le genre », Wittig fait une grave erreur : aucune philosophie essentialiste ne pose l’antériorité du genre sur l’individu. Au contraire, l’être étant ontologiquement antérieur au genre, c’est précisément au moyen d’un retour ontologique à l’être que Wittig pourrait montrer et démonter la construction sociale du genre.

Le refus de toute démarche métaphysique et ontologique, au prétexte qu’elle déclasserait certains individus en essentialisant leur genre, est donc très maladroite. Aux yeux de Wittig, « l’être » ne serait d’ailleurs « lui-même qu’un artefact métaphysique destiné à faire du mâle le seul modèle ontologique recevable ». En somme, le genre « mâle » serait premier, et le genre « femelle » serait le résultat d’une discrimination première. Une réserve s’impose face au texte de Leguil : « mâle » et « femelle » sont des caractéristiques biologiques et sexuelles ; peut-être aurait-il été plus prudent de bien user des concepts propres aux gender studies et de parler plutôt de genres « masculin » et « féminin ». Moyennant cette réserve, nous pouvons revenir à l’argumentation de Leguil : l’erreur de Wittig consiste à associer elle-même un genre à l’être, alors que l’être précisément est, en philosophie, départi de toute considération de genre. Il est, selon les termes de Leguil, « unisexe ». Aussi l’erreur de Wittig consiste-t-elle à récuser l’ontologie, à laquelle elle reproche une supposée « essentialisation de la différence sexuelle et la différence de genre », pour proposer un modèle unisexe… qui est celui de l’ontologie elle-même. En effet, « le modèle unisexe que défendent les études de genre à la fin du XXe siècle est la version hypermoderne et déthéologisée d’un modèle antérieur. Ce qui apparaît comme une révolution porte la trace d’un retour à un ancien modèle, à partir duquel on pensait les corps dans l’Antiquité, au Moyen Âge et même encore à l’Âge Classique. Les gender studies reviennent à certains égards au modèle unisexe qui précéda l’avènement de la reconnaissance de la différence des sexes[p. 65] ». Dès lors, invalidant les outils théoriques susceptibles de soutenir son argumentation, Wittig se coupe en quelque sorte l’herbe sous le pied.

Selon Leguil, Wittig fait donc un faux procès à la philosophie métaphysique, laquelle n’essentialise pas le moins du monde la différence de genre ni de sexe. Mais elle fait tout autant un faux procès à la psychanalyse : Lacan lui-même met en évidence la construction discursive de la différence des sexes et des genres. « [I]l n’a jamais été question de pure évidence naturelle. Il n’y aurait pas l’amour s’il n’y avait pas la culture, aimait à constater La Rochefoucauld. Il n’y aurait pas non plus les hommes et les femmes s’il n’y avait pas la culture, pourrait-on dire après lui. Car les hommes et les femmes ne sont pas seulement mâle et femelle, mais signifiants et ces signifiants ont reçu des signifiés différents selon l’époque dans laquelle ils ont surgi[p. 59] ». Le genre résulte donc d’interprétations évolutives, selon Clotilde Leguil : « le sexe, le corps et le genre ont toujours fait l’objet d’une interprétation portant la marque de l’esprit du temps[p. 59] ». En réalité, la différence des sexes n’a pas toujours été pensée comme elle l’est aujourd’hui, et bien plus : elle est relativement récente. S’appuyant sur les travaux de l’historien américain Thomas Laqueur et en particulier son ouvrage la fabrique du sexe, Leguil soutient ainsi que « nous sommes passés, au cours des deux mille ans qui nous séparent de l’Antiquité grecque, d’un modèle unisexe à un modèle où deux sexes sont reconnus comme tels[p. 61] ». C’est que « le sexe » et « le genre » s’enchâssent dans des discours et des traditions potentiellement patriarcales, certes, mais également dans le langage. Ce que l’on entend par « féminin » et « masculin » résultent donc d’autant d’interprétations et de tricotages qui peuvent se détricoter ou s’ajuster à chacun. Le corps lui-même est toujours « discursivement constitué[p. 62] », souligne Laqueur. Leguil présente Lacan comme l’outil théorique d’un existentialisme de genre par opposition à tout supposé essentialisme : « C’est bien Lacan qui a opéré une rupture en psychanalyse avec toute croyance dans un rapport instinctif ou intuitif aux besoins du corps, non médiatisés par l’ordre symbolique. […] le sujet dans son existence singulière accède à un rapport à son corps à partir des gestes et des paroles que l’Autre lui adresse[p. 63] ».

C’est que la pensée du genre, estime Leguil, ne saurait faire l’économie d’une pensée de l’altérité en tant qu’altérité. Autrement dit, si sa posture est qualifiable de « différentialiste », c’est d’abord et avant tout parce qu’elle affirme la nécessité de reconnaître à chacun.e le droit à « la différence », c’est-à-dire de reconnaître la singularité de chaque être humain. Une posture « humaniste » et la reconnaissance de la personne humaine requièrent la reconnaissance de la singularité ; celle-ci ne saurait se subsumer dans l’indifférentiation, pas plus que dans la catégorisation hétéronome et arbitraire. Pour récuser l’essentialisme, il est donc requis selon elle d’être différentialiste, c’est-à-dire de reconnaître à chacun.e le droit à la singularité et à l’unicité. Dans une certaine mesure, ce que Leguil reproche à Wittig, c’est d’avoir construit l’essentialisme de genre en récusant la reconnaissance du droit à la différence.

La mobilisation de Laqueur permet à l’auteure de faire retour sur la construction du genre féminin. Ce passage de l’ouvrage est extrêmement intéressant, car il permet de comprendre le leurre d’un supposé « essentialisme de genre » aujourd’hui récusé : en réalité, un tel « essentialisme » est discursivement construit. Autrement dit, l’ « essentialisme » duquel nous parlons est un concept que nous aurions construit au XXe siècle, mais ce qu’il subsume n’a pas de réalité factuelle avant le XVIIIe siècle.

La fabrique du genre s’ancre, selon Leguil et d’après Laqueur, dans une première fabrique : celle du sexe biologique féminin, et du corps féminin en premier lieu. Jusqu’au XVIIIe siècle, il n’y a qu’un seul corps, unisexe. Le corps féminin n’est qu’une déclinaison de ce corps unisexe. Ce n’est qu’au siècle des Lumières que la question se pose de savoir s’il n’est pas, peut-être, tout autre. Toutefois, une question peut se poser au lecteur : pas de différence sexuelle, vraiment ? Que penser du Roman de la rose et autres textes du Moyen Âge sur la galanterie — ne supposent-ils pas pourtant une fascination pour l’Autre ? Que penser par ailleurs des textes bien connus de l’Antiquité, tels ceux de Platon, qui marquent une nette réprobation de la version féminine du corps, et une misogynie affichée ? L’auteure n’évoque pas ces cas pourtant problématiques, probablement parce que Laqueur lui-même n’y fait pas référence. Ce n’est pas ici le lieu de discuter de ces affirmations, mais du moins nous permettons-nous d’émettre une interrogation à ce sujet.
Malgré notre réserve, donc, les pages qui suivent s’avèrent de grand intérêt. Laqueur identifie deux grands paradigmes d’interprétation de la différence biologique : selon le premier, la différence est de degré et non de nature, et inclut « une hiérarchie entre le corps masculin et le corps féminin ». Ce modèle serait hérité de la tradition théologique. Nous nous permettons là encore d’émettre une réserve : il semble bien plutôt hérité d’un certain platonisme que de l’Ancien Testament, lequel poserait selon bon nombre de théologiens l’égale dignité entre « la femme » et « l’homme », quand bien même toutes les traditions théologiques posent leur différence et leur stricte incommensurabilité[Dans la Genèse, on peut lire en traduction française : « Puis Dieu dit: « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et sur toute la terre, et sur les reptiles qui rampent sur la terre. » Et Dieu créa l’homme à son image ; il le créa à l’image de Dieu : il les créa mâle et femelle. » (Genèse 1, 26-27). Or, le mot « homme » dans la première partie de phrase traduit l’hébreu Basar, c’est-à-dire tout être humain indépendamment de sa sexuation ou de son genre ; en revanche, dans la seconde partie de la phrase, il est bel et bien question cette fois de différenciation sexuelle, et le mot « mâle », parfois traduit par « homme », désigne l’hébreu Adam. Cette différentiation est donc ontologiquement seconde, et pose en outre, dès la Genèse, l’égalité stricte entre les deux sexes.]

Le second modèle, et en vérité celui que critiquent les gender studies, serait né au siècle des Lumières. Il pose une différence de nature, un différence donc qualitative et non plus de degré entre corps masculin et corps féminin. Le premier modèle biologique suppose donc une hiérarchie de niveau : le corps féminin est un corps inachevé ; le second une « incommensurabilité[p. 66] », sur laquelle s’est ensuite rabattue une hiérarchisation sociale. Aussi le premier modèle peut-il être compris comme « unisexe », mais aussi bien hiérarchisé. Le second modèle est différentialiste ; il n’en est pas moins hiérarchisé, sur la base de considérations scientifiques : « On ne peut donc pas considérer comme le fait Wittig que la reconnaissance de la différence des sexes est nécessairement un masque de l’exercice du pouvoir et de la domination masculine[p. 67] ». En effet, il est né selon Laqueur au moment du développement des sciences et résulte de la rupture opérée par la Révolution Française. Il faut en effet, alors, « distinguer » entre individus pour mieux récuser les dominations et se révolter.

Laqueur estime dès lors que le problème de Freud et de sa psychanalyse sera de parvenir à concilier la différence biologique des sexes avec le caractère unisexe de la libido. En réalité, selon la psychanalyse, il faut impérativement s’affranchir du mythe de la complémentarité des sexes : la différence est incommensurable, et c’est moyennant cette incommensurabilité qu’il devient illégitime de penser la dépendance mutuelle de l’un à l’autre. Autrement dit, la revendication d’incommensurabilité permet à la fois de reconnaître la différence, d’admettre le désir, mais aussi de récuser toute « domination ». Il ne saurait légitimement y avoir « domination », parce que l’altérité radicale rend injustifiable la moindre « aliénation ». Je ne peux pas me soumettre à l’Autre, parce que nous sommes radicalement autres, incommensurables l’un(e) à l’autre. Aucune subsomption n’est possible, ni en droit, ni en fait.

Toutefois, selon Laqueur, à partir du XVIIIe siècle, le « genre » devient, en même temps qu’une catégorie biologique, une catégorie ontologique. Jusqu’alors, la différence de degré allant de « l’homme » à « la femme » (une dégradation) était irréductible à toute ontologisation, puisqu’il s’agissait d’une même essence. Il y avait une hiérarchisation, certes, mais elle n’était que sociologique. À partir du moment où l’on pense le sexe à partir de la biologie, il devient possible d’ontologiser la différence sexuelle sous la forme de catégories de genre, sur un même niveau d’horizontalité et non plus selon un schéma vertical. L’objectif d’un véritable combat contre les discriminations sociales liées au genre serait donc plutôt de dé-hiérarchiser la distinction de genre, mais en aucun cas de l’annihiler car la suppression des différences de genre ne suffit pas à supprimer la hiérarchisation sociale. La suppression des différences de genre et de sexe ramène donc simplement à un modèle antérieur à celui du siècle des Lumières, sans favoriser pour autant la moindre égalité sociale.

Qui plus est, « le modèle unisexe […] est un modèle phallocentrique[p. 71] » : le modèle « unisexué » n’est pas un modèle « asexué[p. 71] ». Aussi le paradigme proposé par Wittig est-il, selon Leguil, un paradigme proprement phallocentrique… ce qui ne saurait récuser le phallocentrisme. Leguil reconnaît que le modèle unisexe proposé par Wittig n’est toutefois pas absolument équivalent à celui de l’Antiquité : son paradigme « décentre[p. 74] » le modèle masculin et rend possible sa déclinaison, notamment chez Butler, en autant de genres qu’il y a d’individus. « Il s’agit de faire déchoir le corps masculin en faisant disparaître aussi bien le corps féminin qui ne servirait que de faire-valoir au premier[p. 74] ». Mais cela ne revient-il pas à invisibiliser de nouveau les femmes, c’est-à-dire à reproduire une tradition de domination masculine ?

Leguil ouvre une piste, à partir de Lacan : reprenant sa formule « la femme n’existe pas[p. 75] », elle suggère de repenser la catégorie « femme » à partir du langage, sans pour autant la nier. Autrement dit, cette catégorie n’en est pas une, mais en revanche il y a bien « des femmes », c’est-à-dire autant d’individus qui déclinent dans leur singularité et leur différence propres une certaine interprétation de leur singularité. En psychanalyste lacanienne, Leguil considère que cette interprétation se fait par la médiation du langage. L’enjeu est d’invalider la légitimation des hiérarchies sociales et d’une domination masculine par la différence de genre et de sexe ; l’objectif est au contraire de rendre possible l’appropriation du genre et du sexe par les individus, plutôt que de leur ôter le droit à la reconnaissance de leur singularité. En rendant possible la reconnaissance d’une singularité que chacune s’est appropriée et a interprétée à sa façon, Leguil souhaite invalider le discrédit et l’opprobre portés par une société patriarcale sur la catégorie « femme ». Refuser la catégorie « femme » au motif qu’être une femme, c’est être inférieure, ce serait en même temps entériner l’idée qu’être une femme, c’est être inférieure aux hommes. Si au contraire l’on se bat pour l’égalité, il faut nécessairement se battre pour la reconnaissance du droit à la différence. De même que les personnes « noires » se battent aujourd’hui contre leur invisibilisation, de même il ne semble pas cohérent d’effacer la catégorie « femme » car ce serait légitimer la hiérarchisation entre hommes et femmes. Aussi la « différence des sexes en psychanalyse conduit-elle […] à se défaire de toute norme pour affronter le champ de ce qui ne correspond plus à aucune norme[p. 81] » et relève en revanche de la façon dont on donne sens à son existence. En cela, le tour de force de Leguil consiste à concilier l’existentialisme sartrien et de Simone de Beauvoir avec la psychanalyse lacanienne, par l’entremise du concept foucaldien de « discours » et la mise en évidence de son pouvoir performatif. Par la façon dont j’interprète ma différence sexuée et genrée, je fais advenir une singularité discursive, irréductible à toute catégorie sociologique. S’y joue une reprise des revendications féministes de la première heure, à savoir une nette dissociation entre maternité et féminité, moyennant le recours à Freud et Lacan : loin que « la maternité » soit « la voie royale d’accès à la féminité », « le devenir femme vient […] à se distinguer irrémédiablement du devenir mère[p. 81] ».

III. L’inquiétante étrangeté du genre

Le troisième chapitre est l’occasion, pour Leguil, de prendre de nouveau position contre les postulats de certains courants des gender studies : « le genre est le lieu d’un questionnement qui précisément ne trouve pas de réponse au niveau des normes sociales[p. 83] ». En quelque sorte, si le genre s’impose à l’individu, c’est en tant que questionnement plutôt que comme réponse. La société n’apporte pas, selon Leguil, de réponse définitive et absolue à la question du genre : « les normes sont un langage qui vaut pour tous mais ne dit rien de spécifique à chacun[p.83] ». En particulier, le recours au langage et à la parole dans la psychanalyse est l’occasion de construire le genre que l’on souhaite se donner : « Avec Freud et Lacan, le genre n’obéit plus au régime de la nécessité, mais à celui de la contingence[p.83] ». C’est donc bien que la psychanalyse s’accorde avec le féminisme de Beauvoir : l’on « devient femme », notamment, par le discours que l’on parle soi-même et le lien que l’on tisse avec les autres, c’est-à-dire aussi par le désir que l’on émet ou avec lequel on se joue. Ni les normes sociales, ni les contes de fées ne déterminent le genre une bonne fois pour toutes. Leguil estime que « le genre » résulte de l’interprétation que chacun.e fait de son sexe biologique. Elle insiste en cela sur la performativité individuelle du genre : « Le genre […] est […] un cheminement, un parcours, un devenir. Ce parcours n’a rien de straight[p. 84] », comme l’affirme à tort Monique Wittig, « Car le rapport du sujet à son sexe est toujours de travers[p. 84] » ; Lacan emploie d’ailleurs le qualificatif de « skew[p. 85] » pour souligner la contingence de cette interprétation.

Leguil entreprend dès lors de réhabiliter Freud dans une perspective féministe : en effet, il est communément admis que sa psychanalyse est phallocentrée, et en cela valable dans une perspective masculine seulement. En forgeant l’hypothèse de l’inconscient, Leguil soutient toutefois qu’il a revalorisé la subjectivité et ouvert en cela « une perspective inédite sur le corps, la féminité et la sexualité[p. 85] ». Il est vrai que les premiers patients étudiés par Freud furent des patientes. Peut-on pour autant qualifier Freud de « féministe », dans la mesure où il a projeté son propre paradigme psychique sur ses patientes ? Comment peut-on concilier différentialisme de genre et phallocentrisme psychique ?

L’inventeur de la psychanalyse n’a pas différencié deux types d’inconscient : si « la sexualité » est centrale chez Freud, en revanche « l’inconscient n’est ni tout à fait sexe ni tout à fait genre ». « Bien que présente du point de vue de l’anatomie, la différence des sexes ne s’inscrit pas du point de vue psychique[p. 102] ». Aussi « Le genre en psychanalyse se conçoit[-il] par-delà les déterminismes anatomiques ou sociologiques[p. 86] », dans ce que le sujet qui parle « a fait de ce qu’on a fait de lui[p.87] ».

En écoutant ses patientes, Freud leur reconnaît une subjectivité, un cogito propre, qui leur était refusé jusque-là en raison de leur genre féminin. Dans le même temps, l’hypothèse de l’inconscient invalide l’idée que le sujet se connaisse en propre : « Le sujet n’est plus tant là où il se sait être que là où il pense le moins être[p.88] ». Par conséquent, le symptôme convertit ce qui a à se dire et ne parvient pas à advenir ; en cela, Freud reconnaît à ses patientes un « être » en deçà du corps, un cogito antérieur à leur genre et à leur sexe. Elles ne sauraient se réduire à leur anatomie : quelque chose existe qui n’est pas hétéronormé, quelque chose de singulier et que ne subsume aucune catégorie.

Pour autant, ces femmes qui parlent sont des êtres sexués. Faut-il admettre avec Freud que la différence sexuelle joue un rôle dans le psychisme ? C’est ce qu’il affirme ; mais il soutient aussi et surtout que la différence sexuelle ne prime pas sur l’être : le psychisme est le discours se jouant entre l’être et la différence sexuelle, c’est-à-dire le discours du désir. Car à la question « Qu’est-ce qu’un être sexué ? », la psychanalyse répond qu’il s’agit d’un « être pris dans le désir de l’Autre ». « Comme le dit Sartre, ”être sexué en effet signifie […] exister sexuellement pour un Autrui qui existe sexuellement pour moi”[p. 89] ». Les symptômes sont autant de maladies du désir, selon Freud, c’est-à-dire de désirs qui ont « du mal à se dire ». Ils témoignent de la sexualité, c’est-à-dire de l’attirance pour l’Autre, le différent. Nier la différence, c’est nier l’évidence, c’est-à-dire le fait que nous sommes mus par du désir. Au contraire, c’est sur la base de nos altérités réciproques que nous interprétons notre propre différence, en particulier la différence sexuelle et anatomique. C’est dès lors, selon Leguil, dans cette interprétation que se joue, à échelle individuelle, la performance d’un genre toujours singulier : « L’être en psychanalyse est plus héraclitéen que parménidien. Il est de l’ordre d’un devenir[p. 92] ». Le plaidoyer pour la psychanalyse prend ici tout son sens : en alignant le genre sur la norme sociologique, les gender studies entérinent la normativité du genre, et en récusant le genre sur cette base, loin d’affranchir les individus des normes de genre, elles les amputent de leur liberté légitime. Au contraire, la psychanalyse affranchit les femmes des normes sociétales en leur offrant l’espace pour se dire, c’est-à-dire aussi pour interpréter et performer la différence singulière propre au désir de chacune : « Là où les études de genre voient dans le sexe et le genre le lieu à partir duquel le sujet se soumet à des normes qui limitent sa vie sexuelle, la psychanalyse fait du sexe et du genre une énigme pour le sujet. Le discours sur le sexe et le genre devient le lieu à partir duquel une remise en question de toute croyance dans les normes commence[p. 95] ». Dans une certaine mesure, il semble possible de penser avec Leguil que la psychanalyse constitue, peut-être, un processus de subjectivation.

Les chapitres qui suivent ont principalement pour fonction de d’illustrer par l’exemple l’objectif de l’auteure : montrer que la psychanalyse rend possible la sortie de l’aporie à laquelle les études de genre semblent conduire. Ils s’appuient en particulier sur des œuvres au carrefour entre fiction et récit autobiographique : En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis, Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan, le film Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne ou encore, et de façon récurrente, Mulholand Drive de David Lynch. L’auteure fait également référence aux essais autobiographiques d’Élisabeth Badinter, de Sylviane Agacinski et de Nancy Huston, toutes témoignant de la performativité de la maternité elle-même, et de la distinction requise entre expérience de la maternité et expérience de la féminité. Si, précisément, la féminité ne se rabat pas sur la maternité, comme le revendique Simone de Beauvoir, n’est-ce pas parce que le genre féminin a à se construire à échelle individuelle ? Leguil accorde également la part belle au récit autobiographique de Catherine Millet Jour de souffrance, dont le détail corrobore sa thèse. Toutefois, si nous n’entrons pas ici davantage dans le détail du texte, c’est parce qu’il nous semble que l’essentiel est dit au terme du troisième chapitre. Le lecteur très au fait de la psychanalyse trouvera probablement matière à réflexion dans les chapitres suivants, mais dans la mesure où l’objectif de Leguil est de plaider la cause de la psychanalyse, nous nous demandons si son plaidoyer ne s’adresse pas à un public déjà acquis à sa cause. C’est aussi pourquoi nous n’avons détaillé que les trois premiers chapitres de l’ouvrage, lesquels en revanche nous ont paru une adresse directe aux lecteurs et lectrices connaisseurs/connaisseuses des gender studies et peut-être un peu moins de la psychanalyse.

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  1. Clotilde Leguil, L’Être et le Genre. Homme/Femme après Lacan, Paris, PUF, 2015, rééd. 2018.
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