Bernard-Henri, Gaston, la télé et moi

On ne s’est pas assez moqué de BHL (né en 1948), c’est vraiment trop injuste. On n’a pas assez dit que sa vision du monde avait la profondeur de son décolleté, que sa femme ressemblait à la Castafiore mais en maigre, que l’histoire de ses engagements politiques formait un joli catalogue du « ridicule » de notre temps, que ses films (comme bien des films d’écrivains…) se hissaient à peine au dessus d’un champ de navets, que le soutien qu’il a apporté à Ségolène Royal a peut-être causé la défaite de la candidate socialiste, etc. Mais – à vrai dire – on ne se moquera jamais assez de lui, en réalité…

L’image de BHL, omniprésente dans la vie des français, ne s’use pas. Elle ne s’use jamais. Mais elle use. L’histoire d’amour entre le « nouveau philosophe » et la télévision remonte à loin. BHL est ce que l’on appelle un « bon client » dans le jargon médiatique : une télégénie irréprochable, et le sens de la tchatche… autant dire qu’il est un « attrape-audience » de premier choix… Il peut s’exprimer sur n’importe quel sujet, et sur demande. Idéal quand on est le producteur d’un programme de télé. Il est important d’avoir BHL dans sa liste d’amis. Quand un invité fait faux bond au dernier moment, pas de panique. Si BHL n’est pas en tournage en ex-Yougoslavie ou en tournée promo à New-York, voilà une idéale solution de rechange. Un plateau larmoyant sur Ingrid Aubenas et Florence Betancourt, pas de panique : BHL ! Un plateau très « féminin » sur les produits de beauté et l’épilation du maillot, pas de panique : BHL ! Un plateau sur une chaîne locale consacrée aux maladies de peau des vaches limousines, pas de panique : BHL ! C’est un tout terrain de la pensée moderne. Un 4X4. En un mot, Bernard est le Range Rover, option sellerie cuir et air conditionné, de la philosophie médiatique. Autant dire que nous y reviendrons certainement en ces pages…

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Il est toujours du côté du bien, du progrès, de l’homme, de l’humanité, des femmes, du rhum et des enfants d’abord. Arrêter les machines ! Stop ! Il est contre la maladie, la mort, la dictature, les courants d’air, et très favorable au bonheur. Son moteur (c’est un Range Rover, vous suivez la métaphore filée ?) est l’indignation. Une indignation bien rôdée. Confortable. Une indignation tout terrain…

En tant que mythologie télévisuelle BHL est un agrégat composite de séquences vidéos ( noir & blanc/couleurs/film/video, etc. ), qui sont chacune autant de pierres ajoutées à son propre édifice en perpétuelle construction. La séquence que nous souhaitons présenter ici a vingt ans d’âge… et elle a certainement contribué à la « naissance » du mythe BHL, tant l’approche apologiste de la journaliste semble être dénuée de nuance (nous verrons peut-être que non, en réalité…), et que le portrait qui est dressé de l’écrivain – constellé de « clichés » – relève ici de la peinture d’icônes sacrées… Dans cette séquence extraite du journal télévisé de la mi-journée du 10 novembre 1988, sur Antenne 2 (respectable aïeule de France 2), BHL est en mode « candidat au prix Goncourt » pour son texte « Le sombre drame des derniers jours de Charles Baudelaire ». La chaîne publique propose alors, chaque jour de la semaine, le portrait de l’un des auteurs en lice pour le fameux prix littéraire.

En plateau, le présentateur William Leymergie donne le ton du portrait qui va être diffusé, plein d’emphase : « Vous allez entendre celui que l’on a longtemps considéré comme l’enfant terrible de la République des Lettres, mais qui a acquis droit de cité avec des livres de réflexion philosophique… ». Parler d’un « droit de cité » quand l’on mesure la présence médiatique effective de BHL est un superbe euphémisme… Le portrait de l’écrivain, signé Sylvie Marion, commence par cette sentence impressionnante : « A Saint-Germain des Prés Bernard-Henri Levy est le plus déconcertant des romanciers du jour ». Si un auteur français est vraiment « couleur de muraille » à Saint-Germain, vraiment « raccord » avec le décor, c’est pourtant Bernard-Henri…. Alors que défilent les images d’un très chic salon de thé, la journaliste se lance dans un portrait romantique et maniéré du philosophe, qui pourrait aussi bien être celui d’un Oscar Wilde en plus viril et moins gay : « … l’aperçoit-on buvant calmement un thé, toujours de l’Earl Grey, vêtu de sa célèbre chemise toujours blanche, que l’on ne peut s’empêcher d’évoquer les images du combattant qu’il se veut ; à peine s’est on rappelé le nouveau philosophe sur le terrain, que l’on se souvient qu’il entretient d’excellents rapports avec la haute-couture…. ». Apologie ou ironie de la part de la journaliste ? Il n’en demeure pas moins que si le commentaire est mi-figue mi-raisin, à l’image se succèdent une pléiade de clichés du BHL raffiné (le salon de thé, le gros plan sur les mains fines, l’élégance, etc.) face au BHL engagé (dans une succession de photos de combats, aux tons « sépia »… ). Mon tout donne un BHL très valorisé, à la fois homme d’action et homme d’inaction, homme politique et homme de contemplation… prêt à porter et haute-couture…. ?

Habité par des questions profondes, BHL s’interroge sur son propre destin d’éditeur, au sein de la maison Grasset. Face caméra. La chemise flamboyante d’une immaculée blancheur…il se demande, faussement profond : « Je suis éditeur depuis maintenant une quinzaine d’années et… je me suis parfois demandé pourquoi je continue à l’être… » … on pourrait s’imaginer que c’est par goût du métier d’éditeur, ou pour le plaisir de découvrir de nouveaux auteurs… »… et bien, non…. « Moi j’ai le goût des identités multiples… et d’une certaine manière contradictoires… Dans ce métier d’éditeur je peux donner sa carrière…. » ….à de jeunes écrivains ? Vas-y BHL… à de jeunes écrivains ?! Non ! « …. A un autre aspect de moi, qui est un aspect plus ouvert, plus tolérant, plus…. » Long silence réflexif, accompagné d’un soupir… « … plus… euh… moins sectaire, voilà…. ». Le voilà le portrait du philosophe, alors, en creux ? Sectaire, fermé, intolérant ? Silence. Soupir. Silence. Silence.

Mais attention… le BHL des années 80 n’est pas seulement un philosophe combattant, calquant son action sur un Sartre de fantasme, dont le cadavre est encore chaud à cette époque, ni seulement un éditeur ( dont l’histoire de l’édition a oublié le nom )… c’est avant tout un romancier, concourant pour le si prestigieux Prix Goncourt…. Basculant alors dans les ors des hôtels de grand luxe le reportage insiste sur la bohême dorée de l’artiste : « (le romancier écrit) dans le luxe d’un hôtel quatre étoiles loué à la journée ». Et si BHL se complait dans le luxe le plus ostensible ce n’est pas simplement pour se pavaner… il écrit… et LA PREUVE… on nous montre son manuscrit. Etrange manuscrit, bordélique et composé de maints fragments de papiers collés, qui n’est pas sans rappeler les liasses chères à Pascal, mais sur du « petit-carreau » acheté chez Gibert-Jeune… le philosophe exhibe cependant le manuscrit philosophique… la chair de sa chair… : « Alors là voyez il y a eu deux lignes, et puis après… il y a eu une feuille collée par dessus, et puis après… voilà… il y a une série de collages… c’est difficile à expliquer tout ça…. ».

S’en suit une effrayante séquence où BHL pose devant un portrait photographique de Charles Baudelaire (auquel il rend hommage dans son dernier ouvrage du moment). En voyant les pelures de manuscrits de BHL, les amateurs de Baudelaire penseront aux cahiers constituants les « Fusées » et la « Belgique déshabillée » des derniers mois du poète… On n’a pas fini de scruter l’effroi dans le regard de Baudelaire…

Et soudain, quand la journaliste, demande à BHL s’il n’est pas déconcertant de se consacrer à la littérature dans le « plus coûteux des décors »… le philosophe « nouveau » se confond en justifications et propos dilatoires… « Qu’est-ce qui vous déconcerte là ? » demande BHL, pédagogue en diable… avant de poursuivre, hautain… « Il y a probablement une cohérence entre tout cela qui vous échappe, oui…. » Evidemment…. Entre l’engagement politique, la chemise haute-couture, le Earl-grey, Baudelaire, Saint-Germain, le manuscrit en charpies de cahier d’écolier… on parvient aisément à se le représenter le désarroi de la journaliste. Alors que la reporter d’Antenne 2 revient à la charge « Quelle est-elle (cette cohérence) ? »… le philosophe recule…. « Mais ça c’est le secret des êtres, je ne suis pas sûr qu’il faille dire comme cela en trois phrases voilà ma cohérence, voilà ma vérité… »

Sylvie Marion offre une conclusion pleine de malice à son sujet, faussement apologétique… indiquant que si BHL obtenait le Prix Goncourt cela le dispenserait bien de toutes justifications sur ses perpétuels « grands écarts » intellectuels, et lui donnerait enfin une « identité », si ce n’est une véritable légitimité sur la scène médiatique…. « Avec le Prix Goncourt, Bernard-Henri Levy pourrait se cacher derrière une nouvelle identité qui masquerait toutes les autres… ».

Est-il utile de préciser que BHL ne remporta pas le Goncourt cette année-là ? Ni jamais depuis… et jamais jamais ?

En regard on aimerait s’amuser à analyser rapidement cette séquence de l’émission « Cinq colonnes à la une » (décembre 1961) dans laquelle apparaît le philosophe Gaston Bachelard (1884 – 1962). Plein de modestie, et de retrait, Bachelard refuse jusqu’au qualificatif de « philosophe »… et indique qu’il passe sa journée l’oreille colée au « transistor » ( acheté par sa fille… ) pour capter les derniers flashs horaires d’information… Dans un intérieur plein de livres, plein de poussière, plein de « bordel », et plein de mystères, il évoque son rapport complexe à la réflexion…. On l’imaginerait, Bachelard, dans un hôtel quatre étoiles impatient de « toucher » son Goncourt…. ? Non. Le commentateur glisse, avec suavité…. « Une petite pièce encombrée de livres, à côté de la place Maubert… c’est le repère d’étudiant de Gaston Bachelard… 80 ans…. Philosophe français ». Bachelard, interviewé par la télé des années soixante, n’est pas sur le point de « rater » un prix, mais il vient d’en remporter un… le « Prix national des Lettres », et – claironne le journaliste – la « grande presse s’est emparée de lui ». D’où vient le succès et la familiarité de Bachelard ? Peut-être du fait qu’ « Il ressemble aux philosophes tels que nous en rêvions quand nous étions enfants… » Dur d’oreille Gaston Bachelard refuse fermement qu’on l’appelle « Maître », pas plus que « Philosophe »… il répond « Appelez-moi Gaston…. Gaston Bachelard, c’est tout…. Hein… enfin tout le monde m’appelle Bachelard hein… ». On l’imaginerait Bernard-Henri dire à la caméra « Appelez-moi Bernard, c’est tout…. » ? Non. Ravi d’écouter les flashs d’information à la radio Bachelard déclare, dans un rire « En trois minutes j’ai l’impression que le monde tourne autour de moi…. Les faits me suffisent et je fais les commentaires à ma façon… »… Ecouter l’actualité pendant trois minutes, à la radio ou la télévision ? Non…. BHL se veut l’actualité.

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